samedi 24 octobre 2009

Marie-Hélène, le bandit manchot et le jeu du dictateur




C'est une histoire un peu triste, un brin pathétique d'un côté, mais aussi diablement intéressante du point de vue de l'analyse du comportement humain.
Depuis des mois, Marie-Hélène, joueuse invétérée de bandit manchot, fréquentait les casinos et misait régulèrement de petites sommes en compagnie de Francis. Elle, plus fortunée manifestement, misait et lui appuyait sur le bouton. Le contrat tacite entre eux : un partage équitable des gains. Grosso modo, tout se passait bien, elle récupérait approximativement sa mise en gagnant de petites sommes et, surtout, elle s'adonnait au plaisir du jeu en toute complicité avec le brave Francis (cette affaire est expliquée ici ou ).
Jusqu'à un soir de mars dernier, au casino Partouche de Palavas-les-flots, le bandit manchot affiche un gain défiant l'entendement de ces petites gens, plus de deux millions d'euros affichés au compteur de la machine infernale. Comme d'habitude, Marie-Hélène a misé cinquante euros et Francis, le doigt de Dieu, a appuyé sur le bouton et des étincelles lui ont jailli des doigts.
Cela aurait pu être une histoire d'amitié qui finit bien, c'est une histoire d'a... qui, comme dans la chanson des Rita Mitsouko, finit mal. En effet, Marie-Hélène refuse alors de partager le gain comme à l'habitude et pose devant la direction du Casino en tant que seule et unique gagnante. Francis, manifestement un peu sonné par des événements qui le dépassent un peu, mets quelque temps avant de réaliser qu'il est passé à côté d'un pactole qu'il a peu de chances de retrouver un jour, et porte plainte contre Marie-Hélène. En effet, si Marie-Hélène a misé, c'est bien lui qui a déclenché le bandit manchot et, par conséquent, sans sa chance personnelle, le gain astronomique n'aurait certainement jamais existé.
Les ex-amis se déchirent depuis à coups de médias interposés et de machine judiciaire enclenchée, l'affaire étant actuellement en cours de jugement.
L'aspect purement juridique m'échappe un peu, mais je parie que le pauvre Francis n'aura pas gain de cause, sauf si lui est possible de prouver que le partenariat avec Marie-Hélène était un fait avéré et public, et que des témoins peuvent prouver cela. Ce n'est toutefois pas le propos de ce billet, qui s'intéresse à la dimension comportementale de l'interaction entre Marie Hélène et Francis.
Marie-Hélène argue du fait qu'en réalité, son association était en quelque sorte charitable, c'est bien elle qui misait et elle permettait au pauvre Francis d'accéder au gain potentiel en le faisant participer symboliquement à la décision. Quant à Francis, il n'en démords pas, c'est grâce à sa veine de pendu que le gain est là, et surtout, c'est de sa main qu'il a touché le mât de cocagne.
Bien évidemment, il y a beaucoup de dimensions intéressantes si on considère le problème de décision individuelle de Marie-Hélène qui, peut être, a misé en étant persuadé que la probabilité que Francis gagne était supérieure à la sienne propre, d'où le partenariat. Mais ce n'est pas sous cet angle de théorie de la décision, néammoins fondamental, que je vais l'aborder, car, encore une fois, c'est l'interaction stratégique entre ces amants terribles qui m'interpelle.
En fait, du point de vue du jeu, chaque protagoniste a sa propre vision des choses, et c'est cette vision qui détermine manifestement la ligne de défense du point de vue judiciaire. Marie-Hélène était partenaire avec Francis pour des raisons charitables, et le partage de gain était le fait de son bon vouloir. Pour Francis, le partenariat avec Marie-Hélène allait bien au-delà : c'est grâce à lui qu'elle pouvait gagner de manière récurrente, et c'est encore grâce à lui qu'elle devient millionnaire. Sans lui, point de salut, et sans son action pas de gain.

Aussi une vision de cette histoire est que Marie-Hélène voit leur partenariat comme un jeu du dictateur (ou en tout cas défend cette vision des choses d'un point de vue public), alors que Francis voit le partenariat comme un jeu de l'ultimatum.
J'ai déjà évoqué le jeu de l'ultimatum ici mais je peux en rappeler le principe en deux mots : un joueur A propose le partage d'un gateau qui lui est attribué à un joueur B. Ce joueur B, informé de la proposition, accepte ou décline le partage. Dans le cas d'un refus de sa part, chaque joueur repart les mains vides.
Le jeu du dictateur est encore plus simple : le joueur A fait une proposition de partage au joueur B qui n'a pas les moyens de l'accepter ou de la refuser (il n'a aucun droit de veto). Le jeu du dictateur a été inventé pour isoler la dimension altruiste des comportements car le jeu de l'ultimatum ne permets pas de le faire. En effet, l'équilibre du jeu de l'ultimatum consiste pour le joueur B a accepter n'importe quelle proposition de partage dès lors qu'il obtient une somme positive. Sachant cela, le joueur A, s'il est rationnel doit proposer un partage très inégalitaire du gâteau que B acceptera toujours.
Les analyses expérimentales de ce jeu de l'ultimatum ont donné lieu à une des controverses les plus vives parmi les expérimentalistes, notamment entre des économistes tel que Al Roth d'un côté et de l'autre Werner Güth, l'inventeur de ce jeu avec Reinhard Selten, tout le problème étant d'interpréter correctement ces résultats. La plupart des études montrent en effet que l'équilibre théorique du jeu n'est que rarement observé dans le laboratoire : les refus de partages inéquitables sont nombreux et le partage modal s'établit en général autour de 60% pour le joueur A et de 40% pour le joueur B, loin du partage prévu par l'équilibre de Nash (99.99% vs 0.00.%).
Une des explications invoquées était celle de l'altruisme, quelle que soit sa forme, le joueur A se refusant pour des raisons morales à proposer un partage inéquitable. Le problème de cette explication est qu'elle est insuffisante à de nombreux titres. On peut par exemple penser que le joueur A est généreux simplement parce qu'il sait que le joueur B peut le punir d'être aussi injuste en refusant tout partage trop inéquitable. Les partages résultent donc en fait autant de motivations d'altruisme que de sentiments de réciprocité.
Le jeu du dictateur a été en partie mobilisé pour cette raison : si dans le jeu de l'ultimatum, c'est l'altruisme qui explique des partages relativement équitables, alors de tels résultats devraient être observés également dans le jeu du dictateur. Ce jeu est donc souvent utilisé pour étudier les dimensions du comportement social qui ne peuvent relever de l'égoïsme individuel. Dans les faits, il est troublant de constater que, même dans la situation du dictateur, plus de la moitié des participants choisissent de donner des fractions non négligeables de leur gain.
Revenons à Marie-Hélène et Francis. Francis pense qu'il est dans un jeu de l'ultimatum, quand à Marie Hélène elle pense qu'elle est dans un jeu du dictateur (ou peut être fait elle semblant de penser que).
Le fait est que le partenariat entre les deux a volé en éclats quand les gains ont pris une dimension très importante. Toute la question est donc de savoir si le partage, qu'il soit issu d'un jeu du dictateur ou d'un jeu de l'ultimatum, est sensible à la magnitude des gains.
En fait, du point de vue de la littérature empirique, tout dépend du jeu dont on parle. Une revue extensive concernant le lien entre incitations, niveau d'effort et niveau de coopération a été réalisée en 1999 par Camerer & Hogarth et à ma connaissance, aucune actualisation n'a été proposée depuis. Les résultats sont assez édifiants. Dans le cas du jeu de l'ultimatum, le fait d'avoir une magnitude des gains différente d'une expérience à l'autre (on multiplie les gains par 10 voire par 100) n'a pas de conséquence sur le partage moyen (Cf Camerer, 1999 ; Forsythe et al., 1994 ; Toth et al., 1991 et Guth & Schmittberger, 1982, le partage reste autour de 60% pour A et de 40% pour B).
Dans le cas du jeu du dictateur, l'évidence empirique est plus ambigüe, mais là encore il semble que la générosité du dictateur ne soit que faiblement affectée par l'amplitude du gain : il ne s'avère pas moins généreux si la taille du gâteau est vraiment énorme que dans la situation où le gâteau est tout petit.
Bref, cela ne nous explique donc pas le revirement subit de Marie-Hélène qui refuse de donner 50% de son énorme gain alors qu'elle acceptait de partager sans problème de tout petits gains.
Une étude récente publiée par Robert Oxoby et John Spraggon en 2008 ici est particulièrement éclairante : ils comparent un traitement dans lequel des sujets A jouant avec des sujets B font un jeu unique du dictateur, la taille du gâteau donnée au dictateur étant aléatoire, mais pouvant varier de 10$ canadiens à 40$. Dans un autre traitement ("gain personnel du dictateur"), les dictateurs (les A) arrivent un peu avant et doivent réaliser un certain nombre de tâches d'effort individuelles qui déterminent le gain qu'il pourront ensuite partager avec les B. Dans un dernier traitement (que j'appelle "gain personnel du receveur"), ce sont les B qui arrivent un peu avant les A (les dictateurs) et qui doivent réaliser des tâches qui déterminent le gâteau qui pourra ensuite être partagé par les A.
Dans les trois traitements, d'un point de vue théorique, en l'absence de préférences sociales, le dictateur devrait ne rien partager. Toutefois, dans le traitement dans lequel le dictateur fait au préalable un effort (gain personnel du dictateur), celui-ci devrait maximiser son effort pour avoir le plus gros gâteau possible (qu'il conserverait pour lui). D, alors que, dans le traitement où ce sont les B qui font l'effort, ceux-ci ne devraient faire aucun effort, anticipant que le dictateur leur prendra la totalité du gâteau.
Les résultats sont assez spectaculaires : dans le traitement de base, les auteurs retrouvent les résultats habituels. En moyenne, le dictateur donne 20% du gâteau quelle que soit sa taille. Dans le traitement gains personnels du receveur, plus le gain de B a été important (plus il a fait d'effort), plus le partage est équitable. Si par exemple B a réussi à accumuler 40$ lors de la première phase car il a fait beaucoup d'efforts, alors le dictateur lui accorde les 2/3 du gâteau. A contrario, dans le traitement "gain personnel du dictateur", le dictateur ne partage rien, et respecte ainsi totalement la prédiction théorique du jeu. Aussi, si le dictateur estime avoir toute légitimité sur le partage du gâteau, sa générosité disparaît. Cette expérience montre l'importance de la légitimité procurée par les droits de propriété sur les préférences sociales.
Quid de Marie-Hélène ? Ben, somme toute, Marie-Hélène a estimé que, la mise de départ de 50 euros étant le produit de son effort personnel, il n'était pas normal en tant que dictateur qu'elle partage avec Francis, alors qui si Francis avait fait un effort supplémentaire, au-delà du simple fait d'actionner personnellement le bandit manchot, elle aurait peut être été beaucoup plus généreuse, même en étant en position de force.
Moralité de cette histoire ? "Si les grands bonheurs viennent du ciel, les petits bonheurs viennent de l'effort" (proverbe chinois), on peut aussitôt lui juxtaposer le plus classique "aides-toi et le ciel t'aidera!"

samedi 17 octobre 2009

Elinor Ostrom, les pêcheurs bretons et la tragédie des communs




Contrairement à beaucoup d'économistes, et comme cela ne m'arrivera peut être pas si souvent dans l'avenir, je connaissais les travaux d'Elinor Ostrom, co-lauréat féminin du Prix Nobel d'économie décerné mercredi dernier.
En effet, Elinor Ostrom a traité une seule et même question de manière quasi-exclusive, ce de tous les points de vue et avec toutes les méthodes mises à la disposition des économistes : le problème de l'utilisation optimale des biens communs et le rôle des institutions dans le monitoring de ces ressources. Au-delà de sa tenacité remarquable (personnellement je pense que je serai incapable de travailler sur le même sujet pendant trente ans), il faut également souligner sa volonté d'utiliser toute la palette disponible de méthodes empiriques pour confronter théories et réalité.
En particulier, elle a commis en 1994 une série d'études en économie expérimentale publiée notamment dans l'ouvrage écrit avec Roy Gardner et James Wakker « Rules, Games and Common-Pool Resources ».
Les études expérimentales réalisées pour cet ouvrage sont extraordinairement intéressantes, et je ne peux que te conseiller, lecteur, de t'y reporter si tu veux plus d'informations. Un des résultats intéressants de ces travaux expérimentaux est notamment de montrer, conformément à une thèse défendue depuis longtemps par Ostrom, que les individus peuvent arriver à gérer un bien commun de manière beaucoup plus efficace que ce qu'une approche purement théorique du problème peut donner en supposant que les agents sont opportunistes et égoïstes. Elle remet donc en cause l'idée communément acceptée de " tragédie des communs" évoquée par Hardin (1968) et la conclusion selon laquelle les biens communs ne peuvent être correctement utilisés que dans le cadre d'une intervention publique forte.
Etant breton depuis quelques années, j'aime bien, avec un brin de provocation qui ne me vaudra pas forcément  l'affection de mon poissonier, illustrer le problème des communs par la question de la surexploitation des ressources halieutiques issue de la pêche. C'est un exemple typique de bien commun soumis à un risque de disparation du fait d'une utilisation trop intensive.
Basiquement, un jeu de common-pool est comparable à un jeu de bien public, mais la fonction de gain des joueurs incorpore une externalité négative liée à l'effort des participants concernant leur niveau d'usage du bien commun. Plus ils l'exploitent, plus ils en retirent un gain important, mais au fur et à mesure que l'usage augmente, le poids de l'externalité négative croit et finit par donner des gains potentiellement négatifs.
Du point de vue expérimental, le protocole, tel qu'il est implémenté dans l'ouvrage de Ostrom, Gardner et Wakker déjà cité, est relativement simple. Dans une version de base, on dote chaque participant d'une certaine somme, puis on leur donne la possibilité de choisir d'investir ces jetons dans un bien privé ou dans un bien commun (en fait chaque jeton non investi dans le bien commun est considéré comme étant investi dans le bien privé). Les participants ne connaissent pas forcément au départ la technologie du bien commun et le jeu est alors répété pour qu'ils puissent procéder à un apprentissage.
Prenons un exemple. Supposons 2 joueurs ayant une dotation de 12 jetons (cette dotation représente en fait le niveau d'effort possible concernant le bien commun). Si on appelle Q le nombre total de jetons mis dans le bien commun, le rendement du bien commun est décrit par exemple de la manière suivante :
G€=(13Q-Q2)
le point central dans cette fonction est que le gain de la ressource commune dépend positivement de la somme des efforts mais également négativement, et si le niveau d'extraction Q est trop important, le terme négatif va l'emporter sur le terme positif. Par ailleurs, tout jeton non utilisé en direction du bien commun rapporte 1€ par hypothèse.
Le gain de chaque participant dépend donc de la somme des extractions individuelles (celle de son partenaire et la sienne) et ce gain est également proportionnel à son niveau d'extraction : si nous sommes deux pêcheurs bretons, et que la quantité de poissons que nous avons pêchée est au total d'une tonne moyennant 10 heures de pêche, si mon temps de pêche personnel représente 6h, soit 60% du total, alors j'aurai une pêche de 600 kgs.
Le gain de chaque participant dans ce jeu est donc, si on appelle qi le niveau de l'extraction du pêcheur i
gi=(qi/Q)*G€ + (12-qi)*1€
Dans un tel jeu (en supposant que le jeu ne soit pas répété), l'équilibre de Nash correspond à un niveau d'extraction égal à 4 jetons par participant soit 8 jetons au total. Le niveau optimal au sens de Pareto serait un niveau d'extraction égal à 3 par joueur, soit 6 au total dans le groupe. Pour ce niveau d'effort total dans le bien commun, le gain total des deux joueurs est de 60 euros alors qu'à l'équilibre de Nash, il n'est que de 56 euros. La nature économique du bien commun est donc d'être un dilemme social. Tu peux noter, lecteur, que dans ce jeu, une exploitation nulle du bien commun est également sous-optimale, le gain total pour la collectivité étant en effet égal dans cette situation à 24 euros.
Les résultats expérimentaux obtenus sont assez intéressants : les participants tendent bien évidemment à surexploiter le bien commun et donc le niveau de coordination est insuffisant. Du reste, ils ont tendance à l'exploiter au-delà même de ce que prévoit l'équilibre de Nash, en étant en fait proche de ce que Gordon (1954) a appelé l'équilibre de rente nulle (les joueurs n'ont pas des comportements stratégiques et ne considèrent pas la décision de l'autre joueur comme une donnée de leur problème personnel de choix optimal). Si on suppose cela, le niveau d'extraction est encore plus fort, chaque participant investissant 6 jetons dans le bien commun, pour un total de 12 jetons qui dégrade considérablement le bien-être, puisque le gain du groupe est alors théoriquement égal à 24 euros (contre 60 à l'optimum).
Le graphique ci-dessous retrace les résultats d'un jeu en classe que j'ai réalisé il y a quelques années avec 14 étudiant(e)s, divisé en paires de 2 joueurs. Un premier traitement correspondait au jeu décrit ci-dessus, avec les mêmes paramètres, et dans un second traitement, on augmentait le rendement du bien privé (le coût d'opportunité du bien commun) en le portant à 7€ au lieu de 1€. L'intérêt de ce second traitement est que, en portant le coût d'opportunité de l'usage du bien commun à 7€, le choix individuel basé sur un raisonnement en termes d'équilibre de Nash se rapproche de l'optimum de Pareto que, par exemple, un décideur public souhaite atteindre. Dans ce traitement, le niveau total d'extraction souhaitable est de 3 jetons, soit 1.5 par individu et l'équilibre de Nash conduit à une extraction totale de 4 jetons.



Les choix observés évoluent quelque part entre l'équilibre de Nash et l'équilibre de rente nulle. Dans le premier traitement, le niveau d'extraction total est en moyenne de 5.5 par sujet soit 11 au total par groupe, contre environ 3 dans le traitement 2 soit 6 au total. On est donc beaucoup plus proche en fait de l'équilibre de rente nulle décrit par Gordon que de l'équilibre de Nash, mais au global, la principale conclusion est que la surexploitation est réelle.
Un des importants résultats obtenus par Ostrom, par exemple dans Ostrom & Wakker 1991 est que cette surexploitation n'est pas une fatalité. Si on laisse aux joueurs la possibilité de communiquer avant chaque période de jeu, en réalisant ce que l'on appelle en théorie des jeux du cheap talk, la coopération fonctionne et permet au joueurs de se coordonner sur des décisions d'extraction proches de l'optimum de Pareto.  Ou encore, des sujets expérimentés (ayant déjà joué le jeu) arrivent à se coordonner de manière plus efficace et limitent le niveau d'exploitation de la ressource commune. Il n'y a donc pas de fatalité dans les dilemmes sociaux et pas toujours la nécessité absolue de recourir à la puissance publique pour mettre fin aux défaillances du marché...

samedi 10 octobre 2009

Politique de lutte contre l'absentéisme scolaire et cagnotte expérimentale



L’académie de Créteil, sous le patronage du Commissaire à la Jeunesse Martin Hirsch, vient de mettre en place une expérimentation sur l’absentéisme qui a fait grand bruit dans les médias Cette expérimentation consiste à mettre les classes en compétition pour l’obtention d’un prix, la classe gagnant le prix étant celle qui a obtenu la meilleure performance au regard d’objectifs à atteindre, en particulier de taux d’absentéisme des élèves Le prix consiste en une somme d’argent qui sera utilisée dans le cadre d’un projet pédagogique profitant à la classe, cette somme pouvant aller de 2000 € à 10000 € (voir le dispositif décrit ici). L’objectif principal est de lutter contre l’absentéisme, particulièrement important dans les lycées professionnels dans lesquels cette action est mise en place.

Une autre expérience est mise en place à Marseille, mais de nature un peu différente, les élèves les plus assidus au sein d’une classe pouvant gagner des billets pour assister aux matches de foot.



La première question que je me suis posée, dans mon for intérieur, est : à quel horizon les élèves seront-ils plus payés que les enseignants pour assister à leurs cours ?

[Il se trouve que j’ai découvert cette histoire en ayant devant les yeux ma fiche de paie, et ceci explique sans doute cela]

Cela pose un intéressant problème économique, mais ce n’est pas du tout de cela dont je vais parler aujourd’hui.

En effet, les réactions ont été souvent passionnées et il faut bien le dire, majoritairement critiques à l’égard de cette expérience, la plupart des gens, y compris les enseignants, voyant dans celle-ci une ébauche de marchandisation de l’école.

Certains ont également avancé que le capitalisme, tel le loup, entrait dans la bergerie de l’école. Si on veut dire par là que l’on met en place des incitations, qui existent dans le monde du travail, là où il n’y en a pas encore, on se fourre à mon avis le doigt dans l’œil, une grande partie de la pédagogie consistant à construire le système d’incitations adéquat pour conduire nos chères têtes blondes à faire un minimum d’effort lors de leur passage à l’école. Par ailleurs, inutile de le cacher, il y a heureusement une relation positive entre le niveau d’effort et la réussite à l’école et, comme vient de le rappeler l'économiste et sociologue Eric Maurin, une relation positive entre la réussite à l’école (le niveau et la qualité du diplôme), le niveau de salaire des individus et l’assurance contre le chômage.

J’avoue que, bien que choqué également à divers titres (voir la question un brin ironiquement désespérée que je me suis posée plus haut), ce procès en sorcellerie m’est apparu en définitive un brin grotesque. Il ne s’agit pas de violer un temple de la solidarité nationale et de le brûler sur l’autel du capitalisme. Il s’agit simplement de savoir si des incitations de nature monétaire peuvent avoir une plus grande efficacité que des incitations de nature non monétaire (sanctions, mauvaises notes, etc.) sur la variable qui nous occupe, à savoir l’importance de la présence dans les cours.

Le principe de cette expérimentation, à travers ce que j’ai pu compiler comme information, est ce que nous appelons nous les économistes du « field experiment » (expérience de terrain dans laquelle, comme en économie expérimentale, les participants sont rémunérés en fonction de leurs décisions, et impliquant en général des groupes de traitement que l’on va comparer à des groupes témoins, voir Harrison & List, 2001, JEL). Le protocole de cette expérimentation de terrain a été réalisé par l’Ecole d’Economie de Paris et sera évaluée par elle (voir les actions expérimentales financées ici).

Le principe est le suivant : certaines classes participent à l’expérience, et je suppose ou j’espère, elles ont été sélectionnées au hasard, et bénéficient d’une cagnotte initiale de 2000 euros. La classe doit alors définir un contrat global d’objectifs en termes d’assiduité et de discipline qu’elle doit remplir si elle veut voir cette cagnotte prospérer. Le niveau d’atteinte des objectifs est évalué périodiquement par un tiers, toutes les six semaines, et plus le niveau d’atteinte des objectifs est élevé, plus la cagnotte est abondée, ce à concurrence d’au maximum 2000 euros par période d’évaluation. Comme il y a quatre périodes de six semaines, la cagnotte peut donc passer de 2000 euros à un maximum de 10000 euros qui profitera à la classe dans son ensemble, lui permettant de réaliser un projet pédagogique.

Lecteur, tu te doutes certainement que ce qui m’a intéressé dans cette histoire réside dans la dimension comportementale et en particulier dans le modèle sous jacent de jeu proposé à ces classes.

Il me semble évident que ce qui est mis en place dans cette expérimentation est un problème de contribution volontaire à un bien public. Le bien public est la fameuse cagnotte qui profitera à tous, nonobstant le niveau d’effort que chaque élève de la classe aura fait sur son assiduité personnelle. Sans ce système incitatif, le problème est essentiellement celui d’un choix individuel d’élèves qui à travers leur manque d’assiduité se tirent des balles dans le pied et diminuent leurs chances de réussite à l’école. Il y a une forme d’externalité négative dans ce comportement, puisque leur conduite génère des coûts pour l’ensemble de la société en termes de pertes de revenus potentiels et en termes d’assurance chômage. C’est ce qu’une analyse « froide » en termes économiques peut d’ores et déjà mettre en évidence. Stéphane d'éconoclaste a déjà évoqué tout cela ici.

Prenons un exemple afin de démontrer que le système d’incitations correspond bien à un jeu de contribution volontaire à un bien public. Supposons que la classe concernée se fixe comme objectif d’atteindre un maximum de 5% d’absentéisme (le ratio entre le total des jours d’absence pour tous les élèves de la classe sur le nombre de jours d’école doit être inférieur à ce seuil). Par ailleurs, toute baisse de l’absentéisme au-dessous de ce seuil donne des euros en plus dans la cagnotte, ce proportionnellement à la performance collective. En tant qu’élève de la classe, le fait que je m’absente personnellement au-delà de ce seuil diminue potentiellement les chances d’atteindre l’objectif collectif et donc le montant de la cagnotte finale en euros. Mais je peux juger que mon voisin lui sera plus sérieux que moi et choisira d’être moins absent, ce qui au global permettra peut être d’atteindre l’objectif. Bien évidemment, si on suppose tous les élèves comme étant égoïstes et opportunistes, personne ne change son comportement et reste absent de la même manière qu’avant l’instauration du dispositif.

La mise en place d’un système de contribution au bien public peut-elle améliorer les choses de ce point de vue, les élèves étant mis explicitement au sein d’un groupe (la classe) dont l’objectif commun est de créer la plus grande quantité de bien public possible ? Du point de vue de la théorie économique la plus simple, la réponse est bien évidemment non. En effet, chaque élève profitant potentiellement de la cagnotte même s’il n’y a pas contribué du tout, le problème de passager clandestin émerge et du coup, aucun élève ne change son comportement. Donc exit l’expérience financée par Martin Hirsch, l’impact sur l’absentéisme de cette incitation financière devant être nul.

Bien évidemment, l’évidence empirique tirée des expériences en laboratoire dit des choses un peu plus nuancées (lecteur, si tu n’as pas suivi ce blog ou oublié comment fonctionne cette expérience, tu peux aller voir ce billet). On sait depuis longtemps que dans le jeu de contribution au bien public, les contributions sont, contrairement à ce que prévoit la théorie, initialement positives (autour en moyenne de 30% du total de la dotation des participants), mais décroissant au fur et à mesure que le jeu est répété (et ici le jeu est répété six fois). Au global, sans autre précision, il pourrait donc empiriquement y avoir un effet faiblement positif mais tendant à disparaître de ce dispositif sur l’absentéisme et la discipline, même si on suppose que le comportement individuel en termes de contribution au bien public n’est observé qu’à un niveau agrégé, au niveau de la classe par exemple.

Ce n’est bien évidemment pas le cas : les comportements individuels seront observés par les autres élèves et par les enseignants référents, et surtout chaque personne au sein du groupe pourra juger de l’écart entre les engagements de chacun et la contribution réelle finale au bien public « cagnotte ».

Cette structure incitative est en fait très proche d’une étude expérimentale que David Masclet, Charles Noussair et moi-même venont récemment de publier ( voir ici, une étude proche avait été réalisée par Sell & Wilson en 1997). Dans cette expérience de laboratoire, réalisée à Rennes avec 120 étudiants, et qui est un jeu de contribution volontaire au bien public, nous réalisons plusieurs traitements. Un premier traitement, benchmark, est celui du jeu de contribution au bien public standard réalisé à dix ou vingt reprises. Trois autres traitements sont réalisés, chaque participant ayant à jouer au moins deux traitements. Un premier traitement dit « annonce » dans lequel les participants doivent annoncer leur intention de contribuer au bien public avant que la prise de décision (simultanée) soit faite sur les contributions. Un second traitement est celui dit « d’observation », dans lequel les participants peuvent connaître le montant contribué ex post au bien public par chque personne appartenant à leur groupe. Enfin, le dernier traitement « annonce + observation » mixe les deux traitement annonce et observation, chaque participant au sein d’un groupe devant s’engager devant ses partenaires sur un montant de contribution et les partenaires pouvant vérifier ex post en observant les contributions réelles si la promesse de chacun a été tenue.

D’un point de vue théorique, ces traitements ne devraient donner aucune modification en termes de contribution, la stratégie optimale étant toujours d’être un passager clandestin (toute cette information donnée au joueurs s’assimile en fait à du cheap talk du point de vue de la théorie des jeux).

Du point de vue émotionnel, deux types d’émotions sont générées au sein d’un tel protocole, ces deux émotions négatives pouvant être finalement un support de la coopération au sein du groupe : la culpabilité (je sais que j’ai triché et que je n’ai pas respecté mon engagement, et même si personne ne le sait, j’en éprouve du remords) et la honte (j’ai triché et tout le monde le sait). Dans le traitement « annonce », seule la culpabilité est en œuvre, dans le troisième « Annonce + Observation », c’est principalement la honte qui est présente (dans le second, on pourrait aussi invoquer la honte, mais il est difficile de dire que certains participants ont honte d’être des passagers clandestins).

Quels sont les résultats expérimentaux ? L’effet de l’annonce sur le niveau des contributions est très faiblement positif et en fait non significatif d’un point de vue statistique. Il en de même pour l’effet de l’observation. Seul l’effet des deux ensembles (annonce et observation) a un impact faiblement positif sur le niveau des contributions comme le montre le graphique ci-dessous :







source : Denant-Boemont, Masclet & Noussair (2009), forthcoming, Pacific Economic Review

Au global, les contributions sont en moyenne augmentées de 30 % dans le traitement dans lequel les participants font des engagements et peuvent vérifier le respect de ses engagements de manière symétrique.

Quelle transposition peut-on faire au niveau des classes expérimentales de l’académie de Créteil ? Si je me base sur nos propres résultats, l’effet devrait être positif au moins faiblement, et le taux d’absentéisme devrait baisser. Mais il y aussi des éléments dont les impacts sont difficiles à anticiper : dans notre expérience, l’anonymat était de rigueur, et dans les lycées concernés, il n’y a  je pense aucun anonymat au sein de la classe dans cette expérimentation. La levée de l’anonymat joue en général positivement sur le niveau de contribution dans un jeu de bien public (voir l'étude d'Andreoni et Petrie, 2004, publiée dans le Journal of Public Economics), et cela pourrait donc renforcer l’effet de l’observabilité des performances individuelles couplée à un engagement personnalisé de chaque élève. Enfin, si des seuils d’absentéisme sont définis dans le contrat collectif auquel s’engage la classe afin de pouvoir alimenter la cagnotte, on sait que la mise en place de seuils de contribution conditionnant l’existence du bien public améliore aussi la coopération au sein du groupe ...

Donc, à tout le moins, avant de jeter l’opprobre sur un tel dispositif, donnons-lui la chance d’être testé, cela permettrait ensuite de discuter sainement des coûts et des avantages qu’il y aurait à le généraliser… Certains vont penser que je défends un peu ma boutique, mais c’est aussi je crois une position raisonnable d’un point de vue scientifique. Par ailleurs, certains, nombreux, ont suffisamment pesté contre la mise en place de politiques publiques sans qu’une évaluation sérieuse ex ante en ait été faite ou même qu’une ébauche d’expérimentation ait permis d’en identifier les impacts saillants. C’est donc également du point de vue démocratique qu’une telle démarche d’expérimentation de terrain est à encourager, chaque politique publique devant être un minimum évaluée avant de savoir s’il est opportun de la mettre en œuvre. Rien ne dit d’ailleurs que, concernant l’expérimentation dans l’académie de Créteil, les avantages soient supérieurs aux coûts directs et indirects.

samedi 3 octobre 2009

Juliet, Sawyer et l'aversion aux pertes dans Lost



Le dernier épisode de la saison 5 de Lost, les disparus, vient juste d’être diffusé sur une grande chaîne et je ne peux pas m’empêcher de réagir à un des développements de l’histoire, qui n’a rien à voir avec l’économie mais en fait pas mal avec la psychologie ou si on veut avec l'économie comportementale…
Lors de cette saison, une partie des protagonistes est revenue trente ans en arrière sur l’ile (je passe sur les rebondissements qui ont conduit à cela et qui me feraient rédiger un billet de quelques centaines de pages). En particulier, Sawyer (le bad boy de service) et Juliet (un ex des autres) filent le parfait amour depuis trois ans quand, débarquant du futur, leurs compagnons de trente ans en avant débarquent sur l’ile et leur proposent de modifier le futur en faisant exploser une bombe atomique à un moment crucial.
[Lecteur, j’ai bien conscience que si tu n’es pas fan de lost tu vas vite décrocher, mais sois patient, je touche au but]
Dans les premiers moments de cet épisode final, Juliet annonce à Sawyer qu’elle va aider Jack (le docteur boy scout un peu perturbé psychologiquement il faut bien le dire) à faire exploser cette bombe alors qu’initialement les deux amoureux avaient décidé de quitter l’ile pour construire leur vie ailleurs dans la sérénité. Sawyer qui, comme beaucoup d’entre nous, ne comprend pas ce revirement soudain propre à la gent féminine, lui demande des explications, et ce d’autant plus qu’il vient de se battre avec Jack en se ramassant des beignes à côté desquelles les baffes des « tontons flingueurs » font figure d’aimables caresses.
Celle-ci lui explique alors qu’elle préfère tout effacer de leur histoire commune que d’avoir à envisager le risque de le perdre après l’avoir connu (il faut dire que le dit bad boy a un faible pour Kate, une des autres protagonistes, qui elle ne sait pas trop pour qui elle a un faible entre Jack et Sawyer).
[Bon sang, où ai-je rangé ma caisse d’aspirines ?]
Elle lui déclare donc tout de go : « Je préfère ne pas te connaître, ça m’évitera d’avoir à te perdre… ».
Ce genre d’attitude est presque un cliché scénaristique dont se servent la plupart des films hollywoodiens à l’eau de rose : l’héroïne, par peur de souffrir, ne veut entreprendre aucune relation sérieuse, jusqu’à ce que, happy end oblige, elle craque et vive THE  histoire d’amour.
Dans Lost, ce qui est intéressant, c’est que Juliet a en partie vécu cette histoire d’amour mais que la perspective dessinée par le scénario lui permet d’effacer tout cela pour lui éviter l’éventualité cauchemardesque de perdre Sawyer.
Du point de vue du comportement individuel dans l’incertain (la théorie de la décision), on peut avoir plusieurs interprétations de son attitude.
[J’exclue d’emblée celle qui consiste à avancer qu’elle a un grain, ce qui n’est pas impossible].
On peut tout simplement penser qu’elle est averse au risque. En effet, compte tenu des deux éventualités (« Sawyer part et je suis trèèèèès malheureuse » ; « sawyer ne part pas et je suis trèèès heureuse ») elle doit choisir entre une loterie ("connaître sawyer") et une perspective certaine (je ne connais pas Sawyer et alors je suis zen, ni heureuse ni malheureuse). Assumons que la probabilité d’avoir chaque événement est de 50%, ce qui est je vous l’accorde discutable. Si on suppose que dans le cas de la loterie, la perte et le gain sont symétriques, et donc que le gain espéré de la loterie est nul, il est normal qu’elle préfère un gain nul certain à un gain nul espéré (en fait elle serait disposée à payer quelque chose pour se débarrasser de la loterie « je fais la connaissance de Sawyer ».) Donc le fait qu’elle lui balance en pleine poire qu’elle préfère ne pas le connaître que le connaître en risquant de souffrir s’il part est pleinement compatible avec la théorie de l’espérance d’utilité de von Neumann et Morgenstern si on suppose qu’elle est averse au risque et que pertes et gains sont symétriques.
Mais, bien évidemment, cette hypothèse de symétrie est discutable : on peut penser qu’il « est préférable d’avoir vécu le grand amour même s’il faut le perdre… » (Barbara Cartland (1978), « My life », JEL*, 22, 104-122).
Et, en fait, d’un point de vue comportemental, c’est beaucoup plus intéressant. En effet, si on suppose que le fait de connaître Sawyer et de vivre avec lui est valorisé très fortement en termes de gains (+x) et que le fait de le connaître et de le perdre est valorisé comme un perte (-y), mais d’ampleur plus faible que le gain (|y|,<|x|) la décision de Juliet est paradoxale en termes d’espérance d’utilité (voir le graphique ci-dessous).

L’espérance d’utilité de connaître sawyer est supérieure à l’espérance de ne pas le connaître et donc cette fille a vraiment un grain…
Mais, on sait depuis les expérimentations menées par Kahneman et Tversky en 1986 que les individus valorisent beaucoup plus fortement les pertes que les gains d’une part (la pente de la fonction d’évaluation des perspectives est d’abord très forte dans l’espace des pertes, très supérieure à la pente d’évaluation des perspectives dans l’espace des gains) et que d’autre part ils sont plutôt risquophiles dans l’espace des pertes (ce que savent depuis longtemps tous les gérants de casinos). Cette constatation empirique leur a permis d’élaborer la Théorie des Perspectives (TP dans le graphique ci-dessous, Kahneman & Tversky, 1979, 1992) qui se fonde sur trois postulats.
  1. Dépendance à un point de référence : les individus évaluent leurs perspectives en termes de gains ou pertes par rapport à un point de référence (statu quo) plutôt qu’en termes de résultat net final,
  2. Sensibilité décroissante : la valeur marginale perçue d’un gain ou d’une perte est décroissante,
  3. Aversion aux pertes : une perte a davantage d’impact psychologique qu’un gain de même montant.
Par conséquent, si Juliet valorise très fortement la perspective de perte potentielle de Sawyer, comme la plupart des individus dont on a observé le comportement en laboratoire, il est normal au bout du compte, qu’elle lui dise qu’elle préfère ignorer son existence plutôt que le connaître, même si le Nirvana aurait été à sa portée dans une des éventualités à sa portée. Sur le graphique, la perte de -y a une plus faible valeur (en valeur absolue) que le gain de x, et du point de vue de l'espérace d'utilité (EU), il serait rationel que Juliet (en supposant qu'elle est averse au risque) choisisse quand même de faire la connaissance de Sawyer plutôt que de rester dans l'ignorance. Donc son comportement est une anomalie dans la théorie EU. Ce n'est pas le cas avec la théorie des perspectives (TP), la perte étant évaluée comme une perspective qui dégrade de beaucoup sa situation...
Donc, finalement, Juliet, qui, jusqu’à présent m’apparaissait comme totalement givrée il faut bien le dire, est en fait une fille assez normale….
* JEL : Journal of Euphoria and Love