tag:blogger.com,1999:blog-61619868430916522842024-03-05T14:15:42.463+01:00Expeconomics : le blog économique de Laurent Denant-BoemontL'objectif de ce blog consacré à l'économie est de parler légèrement de choses sérieuses... A moins que ce ne soit le contraire ?Laurent Denant-Boemonthttp://www.blogger.com/profile/08252381928844005264noreply@blogger.comBlogger73125tag:blogger.com,1999:blog-6161986843091652284.post-78779789191559698612011-06-12T15:49:00.005+02:002011-06-12T19:03:27.114+02:00Les primaires au Parti Socialiste, Jacques Chirac et le vote stratégique<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEg2tPlmx4IWbV3bs2cS0x6KfGNpcfmyebwSacgsUqZ4urdTljA7QUeGsTzQSZYhVczpc14g5YKN8rsXrOsAPntDFRdxw6k3f21vNp4sVCIgLBwSIB483VriAb34BtIAyQn3QfbfUlqF6e0P/s1600/dead+zoneages.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="221" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEg2tPlmx4IWbV3bs2cS0x6KfGNpcfmyebwSacgsUqZ4urdTljA7QUeGsTzQSZYhVczpc14g5YKN8rsXrOsAPntDFRdxw6k3f21vNp4sVCIgLBwSIB483VriAb34BtIAyQn3QfbfUlqF6e0P/s400/dead+zoneages.jpg" width="400" /></a></div><div style="text-align: justify;"></div><div style="text-align: justify;"><br />
Jacques Chirac a encore joué un bon tour à la classe politique en affirmant en plaisantant qu’il voterait François Hollande si Alain Juppé n’était pas candidat à droite.<br />
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Mon bon François (j'espère qu'il ne m'en voudra pas de cette familiarité, c'est un compliment sous ma plume), tout gêné devant cette soudain encombrante manifestation de sympathie et par cette affirmation devant les caméras, n’a eu de cesse d’affirmer depuis que c’était une plaisanterie, interprétation validée par l’ancien président qui a parlé depuis « <a href="http://www.lefigaro.fr/politique/2011/06/12/01002-20110612ARTFIG00050-hollande-chirac-dit-avoir-fait-de-l-humour-correzien.php">d’humour corrézien</a> » (sic).</div><div style="text-align: justify;"><br />
Avec un vieux renard de la politique comme l’ex Président de la République, il n’est toutefois pas sûr que celui-ci n’ait pas eu une petite idée derrière la tête en manifestant ostensiblement les preuves potentielles de sa sympathie pour François Hollande.<br />
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Par exemple, je ne sais pas s’il est venu à l’idée de François, le candidat « normal », que le Grand Jacques pouvait avoir l’intention de voter pour lui aux primaires afin de minimiser les chances de victoire à la présidentielle d’un socialiste confronté au candidat qui sera désigné à droite, même si ce n’est pas Alain Juppé, son chouchou à lui. Lui est-il venu à l’idée que notre ex président puisse avoir l’esprit retors à ce point ? Ayant l’esprit tordu comme nombre d’économistes, je vais supposer que, peut être (c’est une pure hypothèse de travail !), nos grands politiques peuvent avoir une vision quelque peu machiavélique des élections quelle qu’elles soient. C'est là bien sûr un exercice de pure fiction.<br />
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Plus généralement, je suis surpris de l’absence de débat concernant le<a href="http://www.lemonde.fr/politique/article/2011/06/09/primaires-a-gauche-mode-d-emploi_1534157_823448.html"> mode d’organisation de ces primaires socialistes</a> et que personne ne voit que, telles qu’elles sont organisées dans leurs grands principes, les primaires socialistes me semblent très manipulables.<br />
Quels en sont les grands principes ?</div><div style="text-align: justify;"></div><div style="text-align: justify;">L'élection étant ouverte, tous les citoyens français inscrits sur les listes électorales avant le 31 décembre 2010 peuvent prétendre au vote. Les autres conditions nécessaires sont l'acquittement d'une participation aux frais d'organisation de 1 euro minimum, et la signature d'une charte d'adhésion aux valeurs de la gauche.<br />
Pourront également déposer leur bulletin tous les mineurs qui auront 18 ans au moment de la présidentielle de 2012, ainsi que les mineurs et les étrangers non communautaires membres du Parti socialiste ou du Mouvement des jeunes socialistes.<br />
Le mode de primaire est donc relativement ouvert, en tout cas ouvert aux non adhérents, l’euro versé au titre d’une participation aux frais d’organisation n’étant pas dissuasif pour les votants et le fait de signer une charte d’adhésion aux valeurs de la gauche me semble assez peu restrictif.</div><div style="text-align: justify;"><br />
Il y des précédents célèbres à ce débat. En mars 1996, les citoyens californiens ont adopté à la majorité la proposition 198 (dite « blanket primary format ») qui consistait précisément à adopter un mode de vote aux primaires totalement ouvert, y compris aux non-membres des partis organisant chacun une primaire (républicains et démocrates of course !). Les opposants à cette proposition ont agi pour que l’élection présidentielle soit exclue du champ d’application de cette proposition, et à l’issue de divers revers légaux les déboutant, la Cour Suprême des Etats-Unis a déclaré que la proposition 198 était non-constitutionnelle en juin 2000.<br />
Les opposants à ce mode d’organisation des primaires ont bien évidemment mis en avant l’aspect stratégique d’une ouverture complète du scrutin, les électeurs de l’autre bord votant stratégiquement afin d’éliminer le candidat du camp opposé qui serait le plus susceptible de l’emporter contre leur propre candidat. Un des juges de la Cour Suprême d’ailleurs déclaré, en se fondant sur la majorité des avis d’experts donné sur les effets de la proposition 198 :</div><div style="text-align: justify;"><br />
<div style="text-align: center;"><i>« The prospect of having a party’s nominee determined by adherent of an opposing party is far from remote – indeed, it is a clear and present danger »</i></div></div><div style="text-align: justify;"><br />
Pourtant, entretemps, les primaires pour la présidentielle américaine, se déroulaient, notamment pour les républicains, George W Bush étant opposé à John Mc Cain et avaient mis en évidence le danger de primaires ouvertes, avec un Mc Cain souvent victorieux dans les Etats avec primaire ouverte, et au contraire avec un Bush victorieux dans les Etats avec primaire fermée (en gros limitée aux seuls adhérents du parti républicain). Certains experts ont estimés que les votes croisés pouvaient représenter près de 25% des suffrages dans des Etats comme la Californie ou l’Etat de Washington, qui avaient adopté un mode de primaire totalement ouvert.<br />
Mais il faut bien dire que l’évidence empirique qui permettrait de mettre en évidence un effet de manipulation en cas de primaires ouvertes reste relativement limitée, et surtout ne débouche pas sur un consensus, comme très souvent. Je ne vais pas développer ce point plus que cela, je laisse les éventuels politologues réagir à ce billet, puisque je vais évoquer une expérimentation de laboratoire dont l’objectif était précisément d’évaluer l’importance des votes croisés (ou des manipulations stratégiques de vote) en fonction du degré d’ouverture d’élections primaires.</div><div style="text-align: justify;"><br />
L’article de Cherry & Kroll "Crashing the Party: An Experimental Investigation of Strategic Voting in Primary Elections", publié en 2003 dans <a href="http://www.springerlink.com/content/kw723177017776k5/"><i>Public Choice</i></a> cherche donc à évaluer l’importance de ces manipulations dans le cadre d’une expérience de laboratoire. Pour ce faire, les auteurs examinent quatre possibilités de vote pour les primaires :<br />
<ul><li>Des primaires fermées : seuls les membres d’un parti, et ce depuis un minimum de temps, peuvent voter, et les indépendants (on affiliés à un parti) ne peuvent pas,</li>
<li>Des primaires semi-fermées : les militants votent, ainsi que les indépendants qui déclarent une affiliation au parti juste pendant les élections primaires</li>
<li>Des primaires ouvertes : le jour de l’élection primaire, chaque citoyen (militants, affiliés ou pas) choisit pour quel champ il vote et doit ensuite aller dans les bureaux de vote du parti pour lequel il s’est inscrit</li>
<li>Des primaires totalement ouvertes (« <i>blanket primary format </i>» : le jour de l’élection primaire, chaque citoyen vote dans un seul bureau où toutes les candidatures primaires sont disponibles, et doit déposer un seul bulletin.</li>
</ul>Les institutions de primaires explicitées ci-dessus vont représenter des traitements expérimentaux, chaque participant à l’expérience jouant en étant régi uniquement par une des quatre possibilités d’organisation des primaires. Cela permet d’isoler clairement les effets du degré d’ouverture des primaires en termes de votes stratégiques.<br />
Lors de l’expérience, chaque élection veut reproduire la manière dont cela se passe dans la réalité, à savoir une première étape de primaire réalisée un jour donné, puis une seconde étape d’élections générales effectuée le jour suivant. Pour simplifier les issues, il y a deux candidats pour chaque primaire, et le candidat gagnant de chaque bord affronte l’autre.</div><div style="text-align: justify;"><br />
Pour représenter l’orientation politique des candidats et des votants, un nombre compris entre 1 et 100 est tiré au sort pour chaque participant, les votants et les candidats obtenant un chiffre compris entre 1 et 45 appartenant au Parti A et les participants obtenant un chiffre compris entre 56 et 100 appartenant au parti C. Ceux qui obtiennent un chiffre compris entre 46 et 55 sont dans le parti B, et représentent en fait les indépendants (le centre en quelque sorte).<br />
Dans chaque élection, il y a 23 votants, 9 dans le parti A, 9 dans le parti C et 5 dans le parti B, sauf pour les élections primaires fermées dans lesquelles les indépendants ne peuvent pas voter, et dans lesquelles il n’y a que 18 votants. Les positions des candidats aux primaires et aux élections générales sont connues de tous les participants (affichées par l’intermédiaire d’un écran d’ordinateur). Le gain d’un votant est d’autant plus fort que le candidat qui gagnera au final est proche du chiffre tiré au sort pour ce votant. Plus exactement il est égal à 100 moins la valeur absolue de la différence entre mon chiffre et le chiffre du candidat gagnant. En clair, si le chiffre d’un participant est 8, et que le candidat gagnant a un chiffre de 85, le participant gagne 100 – (85-8), soit 23 points. Le schéma de paiement est donc incitatif puisqu’il incite les participants à voter pour un candidat proche de leur position politique. Chaque participant vote à 24 reprises (il y a donc 24 élections pour chaque sujet) et ce uniquement pour un mode d’organisation possible des primaires (il y en a quatre).</div><div style="text-align: justify;"><br />
Le vote stratégique - qui consiste à ne pas voter pour son candidat mais pour un autre - correspond à deux types de comportements, comme l’expliquent les auteurs. Il y a le vote stratégique positif d’une part et le vote stratégique négatif d’autre part. Le vote stratégique positif consiste à dire par exemple, si je suis un partisan de la gauche, me sentant proche d’un Arnaud Montebourg (après tout il est du Morvan comme moi et a grandi à l’orée des mêmes bois de sapin ou presque) mais à penser que, comme il n’a aucune chance lors de la présidentielle, il serait plus efficace de voter pour ce cher François (Hollande).</div><div style="text-align: justify;"><br />
<i>[Il est vrai que, statistiquement, les François ont été plus souvent à la tête de l’Etat français que les Arnaud, je laisse à<a href="http://freakonometrics.blog.free.fr/index.php?"> Arthur</a> le soin de compiler les statistiques avec R sur le long terme sur l'ensemble des pays de l'OCDE, quoique je ne suis pas très sûr de la significativité des données d'un point de vue statistique.]</i></div><div style="text-align: justify;"><br />
Le vote stratégique négatif consiste, en supposant cette fois que je sois un électeur de droite, et que les primaires à gauche soient suffisamment ouvertes, à voter pour Arnaud Montebourg en pensant qu’il a toutes les chances de perdre face au candidat désigné par la droite. Cela pourrait concerner aussi les électeurs de droite en cas de primaire, qui pourraient voter pour un candidat de leur parti qu’ils jugent extrême (imaginons au hasard q’un certain Claude G. soit candidat aux primaires) car ils savent qu’il serait battu face au candidat plus modéré du camp adverse (je sais, c’est un peu pervers comme raisonnement, surtout un dimanche où notre intellect n’est plus tellement sollicité par les marathons télévisuels de Michel Drucker).<br />
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L’intérêt du design de l’expérimentation est qu’il permet d’identifier clairement les votes stratégiques de la part des participants.</div><div style="text-align: justify;">Les résultats expérimentaux sont assez édifiants : la proportion de votes stratégiques dans le cas de primaires ouvertes ou totalement ouvertes est respectivement de 11% et 18% contre seulement 7% dans le cas de primaires fermées et 7.5% pour les primaires semi-fermées. Il est donc relativement net que le taux de manipulation stratégique du vote croit en raison du degré d’ouverture des primaires.<br />
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Mais le résultat le plus intéressant consiste à essayer de voir vers quel type de candidat gagnant à l’élection finale conduit chaque institution possible de primaire. Un des arguments en faveur d’un système de primaire ouverte est qu’il est susceptible de générer au final des candidats élus plus rassembleurs (voir ce qui est dit <a href="http://renovation.parti-socialiste.fr/files/rapport-pour-des-primaires-ouvertes-et-populaires.pdf">ici</a>), donc par définition plus modérés, que dans le cas de systèmes de primaires fermés. Les résultats de Cherry & Kroll mettent en évidence l’absence de différence significative entre les différents systèmes possibles, le système semi-fermé semblant le plus apte à amener au pouvoir des candidats modérés, mais la différence avec les autres systèmes n’étant pas statistiquement significative. De ce point de vue, l’ouverture des primaires n’est pas une garantie de plus grande modération finale du gagnant.</div><div style="text-align: justify;"><br />
Un dernier point est le bien être général des citoyens. L’expérimentation de Cherry et Kroll mesure ce bien être simplement par la somme des distances des chiffres représentant la position de chaque votant au candidat finalement élu, et ce pour un mode de scrutin pour les primaires particulier. Le meilleur résultat est produit par le mode d’organisation des primaires semi-fermé suivi de près par des primaires totalement ouvertes, le pire étant les primaires totalement fermées, pas très loin des primaires dites « ouvertes ».</div><div style="text-align: justify;"><br />
Comme il s’avère plus que probable qu’il n’y ait pas de primaire à droite, je pense qu’il est possible de dire que le système choisi par le PS s’apparente en fait aux primaires « ouvertes » telles que décrites ci-dessus. Pour ce système, les résultats de l’expérimentation à l’instant décrite montrent l’importance des votes stratégiques et un niveau de bien être pour les votants plutôt en retrait par rapport à d’autres institutions possibles de primaires. Par conséquent, je me demande vraiment si ce système est bon et pour le PS et pour la Nation…</div>Laurent Denant-Boemonthttp://www.blogger.com/profile/08252381928844005264noreply@blogger.com4tag:blogger.com,1999:blog-6161986843091652284.post-34156461150923175852011-05-22T14:54:00.008+02:002011-05-23T16:56:02.125+02:00Les programmes de clémence sont-ils efficaces pour lutter contre les cartels ?<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjWGZYfQvBX8vxkfml9bEEHABmfiwzK87NurT_RGndlT006Vkk6m9SIj14DUffCHN1w64po2vIaYWyQjgqmW5OzwkPNh7MTtOy1SdBWcMkiraX_2j-miF-vQWOZHY3rNjsnDjonPX-gtEXO/s1600/csl6206l.jpg.png" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="297" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjWGZYfQvBX8vxkfml9bEEHABmfiwzK87NurT_RGndlT006Vkk6m9SIj14DUffCHN1w64po2vIaYWyQjgqmW5OzwkPNh7MTtOy1SdBWcMkiraX_2j-miF-vQWOZHY3rNjsnDjonPX-gtEXO/s400/csl6206l.jpg.png" width="400" /></a></div><div style="text-align: justify;"></div><div style="text-align: justify;"><br />
Dans le dernier numéro de juin de « Que choisir ? », mensuel au titre puissamment évocateur pour n’importe quel économiste, surtout comportementaliste comme moi, un article à propos de la condamnation récente par l’Union Européenne des fabricants de lessive pour entente, information diffusée en fait dès avril 2011 par exemple dans Les Echos ou la Tribune ou encore <a href="http://www.capital.fr/bourse/actualites/l-ue-inflige-une-amende-a-p-g-et-unilever-pour-entente-590674?xtor=RSS-217">ici </a>.</div><div style="text-align: justify;"><br />
Le fond de l’affaire est vieux comme le monde. Trois entreprises leaders dans le domaine de la production de lessives, Procter & Gamble, Unilever et Heinkel, se sont entendus pendant trois ans sur le prix de celles-ci dans huit pays appartenant à l’Union (France, Belgique, Allemagne, Grèce, Italie, Portugal, Espagne et Pays-Bas), ce bien évidemment aux dépends des consommateurs. En fait, Heinkel, participant au cartel, a dénoncé l’affaire auprès des Autorités de la concurrence, ce afin d’éviter les lourdes amendes infligées aux entreprises pour lesquelles ces autorités ont établi la participation à un cartel. Pour cet acte de bonne conduite, Heinkel est exempté d’amende, et les deux autres groupes industriels écopent d’un montant d’environ 316 millions d’euros d’amendes. Ce montant d’amende a d’ailleurs été diminué après que les deux groupes Unilever et Procter & Gamble aient reconnu les faits. Cette affaire est symptomatique des effets des programmes dits de « clémence » qu’ont adopté de nombreux pays développés en matière lutte contre les activités anti-concurrentielles depuis une vingtaine d’années.</div><div style="text-align: justify;"><br />
L’auteur de l’article de Que Choisir ? indique que ces amendes ne sont que peu de choses par rapport aux pertes subies par les consommateurs (ce qui est sans doute vrai), et surtout qu’il est choquant qu’une des trois entreprises soit exemptée de poursuite. En clair, la tonalité de l’article est celle d’un certain scepticisme à l’égard de l’efficacité des politiques anti-concurrentielles poursuivies par l’Union Européenne, bien que l’auteur soit trop malin ou trop prudent pour le dire de manière explicite, et que la morale ne sort pas saine et sauve de cette histoire.</div><div style="text-align: justify;"><br />
J’aime bien ce genre d’article, car la lecture prouve l’intérêt d’une analyse économique sérieuse qui va bien au-delà de propos issus du bon sens commun, mais qui ne tiennent en fait absolument pas la route…. avec tout le respect que j’ai pour le journal qu’est « que choisir » !<br />
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Les cartels ne sont pas chose rare, loin de là. Par exemple, sur la période 1990-2003, l’Union Européenne a détecté 61 cartels dont la plupart ont été sanctionnés, le montant des amendes infligées aux entreprises membres de ces cartels représentant environ 8 milliards d’euros constants de 2004 (voir l’article de Brenner, 2009).</div><div style="text-align: justify;"><br />
Depuis très longtemps, au moins depuis le <i>Sherman Act</i> en 1890 aux Etats-Unis, les gouvernements combattent les cartels. Il y des raisons économiques assez objectives pour cela, dans la mesure où une entente via un cartel implique une augmentation des prix pour les consommateurs, ce qui implique pour l’ensemble de ceux-ci une perte de bien être qui dépasse largement le gain en bénéfices des membres du cartel. En bref, du point de vue du bien être, c’est un résultat classique de la théorie de l’organisation industrielle que de montrer que le cartel diminue le bien être économique.<br />
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Toute la question, si on accepte ces prémices, est de savoir comment combattre efficacement les cartels. Un des problèmes clés est bien évidemment que les autorités publiques puissent obtenir des informations leur permettant de connaitre l’existence de ces cartels.</div><div style="text-align: justify;"><br />
Un des programmes phare de ces dernières années en la matière est l’adoption de programmes de clémence. Ces programmes de clémence ont été mis en œuvre de manière étendue dans les grands pays développés à partir des années 90, par exemple en 1996 au sein de l’Union Européenne. De manière courte, un programme de clémence consiste à dire que les autorités de régulation de la concurrence vont absoudre l’entreprise membre d’un cartel qui le dénonce auprès d’elles de toute poursuite et de lui éviter de payer l’amende, amende qui peut être d’un montant substantiel comme on l’a vu ci-dessus. L’objectif de ces programmes est double, tout d’abord inciter les membres d’un cartel à trahir afin de dénoncer l’accord auprès des autorités, ce qui réduit le coût de détection pour les autorités publiques, et ensuite de dissuader la formation future de cartels, la menace de trahison étant renforcée par l’existence de ces programmes.</div><div style="text-align: justify;"><br />
En raisonnant au plus court, d’un point de vue économique, toute la question est de savoir si la perte du montant de l’amende pour les autorités de la concurrence (liée à l’absolue du membre « repenti » du cartel) est compensée par les gains du programme de clémence, à savoir la moindre stabilité des cartels qui devrait se traduire par une baisse de leur durée de vie et donc par des pertes de bien être moins importantes pour les consommateurs. Sur le papier, cela ne fait pas grand doute. Mais la très grande richesse de la littérature économique sur le sujet donne un bilan pas forcément très clair sur l'efficacité finale de ces programmes (Voir par exemple l'article de Brenner en 2009 dans le <i>International Journal of Industrial Organization</i>).<br />
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La question clé pour les autorités de la concurrence et pour la puissance publique en générale est : Quel est l’effet des programmes de clémence par rapport à une situation de programme de lutte contre les cartels sans dispositif de clémence ?</div><div style="text-align: justify;"><br />
C’est là où l’utilité des expérimentations en laboratoire est évidente. D’abord parce qu’il est assez difficile de comparer une politique de régulation avec accord de clémence à une politique sans accord de clémence autrement qu’avec un bilan avant/après correspondant au changement de politique anticoncurrentielle dans les pays où un changement a eu lieu. Impossible ou difficile d’évaluer l’intérêt d’une telle politique dans un pays n’ayant pas encore adopté ces mesures de clémence. Comment en effet anticiper l’impact qu’un tel programme pourrait avoir ? Enfin, par essence, les cartels officient dans l’ombre, et il est donc impossible ou extrêmement difficile d’évaluer sur le terrain l’impact d’un tel programme sur le nombre de cartels existants, leur viabilité, etc. L’économie expérimentale permet alors de faire une comparaison stricte programme sans vs programme avec.</div><div style="text-align: justify;"><br />
Par ailleurs, l’effet final d’un programme de clémence peut être ambigü. En effet, trois effets peuvent se produire qui peuvent rendre le résultat final ambigu. Le premier effet est évident : le programme de clémence réduit la stabilité des accords (incitation à dénoncer les coupables des cartels quand j’en suis un), ce qui réduit effectivement la durée des accords, et cela est positif si on cherche à lutter contre les cartels.</div><div style="text-align: justify;"><br />
Le second effet, qui incite à ce que des cartels se forment avec un dispositif de clémence, est évident : si l’entreprise qui participe au cartel et le dénonce est exemptée de poursuite, cela peut inciter les entreprises à former un cartel, puisque le coût espéré de l’amende diminue.</div><div style="text-align: justify;"><br />
Le troisième effet, également négatif, est plus alambiqué dans son fonctionnement : il est issu d’un raisonnement présent dans l’analyse économique qui suggère que, sous certaines conditions, la collusion explicite (ou cartel) d’entreprises n’est pas un équilibre stable. En effet, il est possible pour une firme de gagner plus temporairement en trahissant l’accord qu’en respectant l’accord. Si l’accord est respecté, les firmes gagnent le profit de monopole qu’elles se partagent, alors que si elles trahissent l’accord, elles gagnent temporairement le profit de toute la demande qu’elle obtiennent si elles proposent un prix un peu plus bas que les membres du cartel.<br />
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Dès lors, le fait qu’un des membres du cartel le dénonce auprès des autorités publiques peut être in fine lié au fait qu’un des autres membres du cartel dévie de l’accord, ie ne respecte pas la parole donnée, en proposant par exemple des prix plus bas par rapport à ceux proposés par les autres membres du cartel. Cela déclenche la possibilité d'une vengeance de la part des membres du cartel qui respectent leur parole, et qui dénonceront le traitre auprès des autorités publiques. En conséquence, la possibilité de dénoncer le cartel auprès des autorités peut dissuader les membres de trahir la parole donnée au sein du cartel en ayant des prix plus bas, ce qui au contraire renforce la stabilité du cartel !<br />
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Au global, les économistes spécialistes de cette question estiment que l’impact net (la somme des trois effets en quelque sorte) d’un programme de clémence n’est pas forcément positif.</div><div style="text-align: justify;"><br />
Plusieurs études expérimentales se sont emparées de cette question de l’efficacité des programmes de clémence, en particulier de l’effet adverse qu’ils peuvent avoir sur l’incitation à trahir quand celle-ci représente une punition de comportements déviants de la part de membres du cartel.</div><div style="text-align: justify;"><br />
Comment observer en laboratoire les problèmes de collusion, la formation de cartels et les ententes entre firmes ? Une manière simple consiste à faire jouer à des participants un jeu de Bertrand, c’est-à-dire un jeu dans lequel l’objectif pour chaque participant est de gagner une compétition par les prix. Dans une concurrence à la Bertrand, c’est en effet le vendeur qui fixe le prix le plus bas qui obtient toute la demande et les autres vendeurs n’obtiennent rien. Dans cette situation, la théorie économique prévoit que le prix choisi par les vendeurs, en supposant que tous les vendeurs soient dans les mêmes conditions de vente et subissent les mêmes coûts, est égal au coût (marginal) de vente du produit, ce qui signifie que le bénéfice de chaque vendeur est nul.</div><div style="text-align: justify;"><br />
Dans les expériences basées sur ce jeu, en reprenant la version popularisée par Dufwenberg and Gneezy en 2000, des sujets choisissent simultanément une valeur comprise entre x$ et y$, le sujet qui choisit la valeur la plus basse au sein de son groupe gagne le concours et les autres ne gagnent rien du tout, et en cas d’égalité, le gain est partagé entre les gagnants du concours. Le gain est en général la valeur indiquée par le participant qui a gagné ou cette valeur moins (x-1)$, comme dans l’expérience menée par Aspeteguia, Dufwenberg et Selten en 2007. La procédure est en fait celle d’une enchère anglaise inversée.<br />
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L’expérience consiste notamment à avoir un jeu en trois étapes pour les participants : 1) ils doivent choisir s’ils veulent ou non faire une réunion, avec un principe d’unanimité –si un seul joueur ne veut pas faire de réunion, il n’y a pas de réunion et en cas de réunion peuvent chater librement avec les autres participants pendant une certaine durée ; 2) choisir séparément leurs prix de vente dans le cadre de la concurrence à la Bertrand décrite ci-dessus et 3) décider de dénoncer la réunion ou pas.</div><div style="text-align: justify;"><br />
Trois traitements expérimentaux réalisés par ces auteurs m’intéressent ici particulièrement : un traitement « standard » dans lequel celui qui dénonce la réunion écope d’une amende, un traitement « clémence » dans lequel celui qui dénonce n’a pas d’amende (fixée par l’expérimentateur) et un traitement « ideal » dans lequel il n’y aucune possibilité de concertation préalable entre les participants (étape 1 du jeu) et où ceux-ci jouent directement un jeu de Bertrand. On peut dire que ce traitement, qui représente le cadre de réflexion le plus simple de la théorie économique (voir ci-dessus) est bien évidemment peu réaliste, notamment parce qu’on empêche les vendeurs d’avoir toute communication ou toute concertation, ce qui semble peu réaliste.</div><div style="text-align: justify;"><br />
Quid des résultats obtenus ? Quand on compare les prix observés dans chaque traitement, on constate que les prix pratiqués dans le traitement « ideal » et le traitement « clémence » sont très proches, environ autour de 93-94$ (le prix à l'équilibre de Bertrand étant de 91$, le prix choisi par les participants pouvant aller de 91$ à 100$), alors que les prix pratiqués dans le traitement « standard » (représentant une politique de répression des cartels sans programme de clémence) sont autour de 97$, la différence étant statistiquement significative. Surtout, dans le programme « ideal », aucun cartel ne se forme (c’est le cadre de la théorie économique la plus simple qui prédit que les cartels ne se forment pas car la déviation du cartel est toujours profitable), alors que dans le cadre standard, un cartel se forme 2 fois sur 3. Dans le cadre du traitement clémence, un cartel ne se forme qu’une fois sur deux. Last but not least, dans le traitement « standard », un cartel est dénoncé par au moins un des participants une fois sur deux, alors que dans le traitement « clémence », un cartel est dénoncé par un des participants plus de deux fois sur trois !</div><div style="text-align: justify;"><br />
Que peut-on retenir de tout cela ? Que, primo, les programmes de clémence diminuent la probabilité que de nouveaux cartels se forment, secundo, que les programmes de clémence incitent les entreprises membres d’un cartel à le dénoncer et tertio, que ces programmes de clémence qui fragilisent les cartels et leur formation sont bons pour les consommateurs et plus généralement, pour le bien être.</div><div style="text-align: justify;"><br />
Pour être totalement honnête, les résultats obtenus par Aspeteguia et al (2007) ont été discutés, un des problèmes de base de leur expérience étant que le jeu de Bertrand, et donc la possibilité de collusion, n’est pas répétée. Or, la vie réelle implique de nombreuses périodes d’interaction entre les entreprises, le problème étant d’étudier la stabilité des collusions sur le long terme, c’est-à-dire au cours d’un jeu répété potentiellement de manière infinie. Les travaux expérimentaux récents de Feltovitch et Hamaguchi (2010) disponibles <a href="http://www.abdn.ac.uk/%7Epec214/papers/leniency.pdf">là</a> tendent à nuancer les résultats précédents et l’optimisme envers les programmes de clémence, leurs résultats mettant en évidence que, au final, l’effet net sur la prévention de la formation des cartels, pourrait être assez faible, les effets négatifs compensant exactement l’effet positif.</div><div style="text-align: justify;"><br />
Toutefois, pour finir sur une note pas trop ambiguë, et si le débat théorique et empirique sur ces programmes de clémence reste ouvert, aucun travail expérimental ne conduit à ma connaissance à montrer que ces programmes auraient un impact négatif du point de vue de la formation des cartels, ce qui est quand même un résultat final important... </div>Laurent Denant-Boemonthttp://www.blogger.com/profile/08252381928844005264noreply@blogger.com2tag:blogger.com,1999:blog-6161986843091652284.post-79785989874049668002011-04-29T16:30:00.011+02:002011-05-04T13:28:39.901+02:00Opération Fortitude, jeu de transmission d'information et rationalité limitée<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><img border="0" height="316" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgeIayeYr6fex4ZZx7XljCwnJPfm8YEKSIBfuqSDow1sP5FDEckyYJJRim6zsea8qHm1eQdZC8PuqYf7oqLfLT84HMAriaX-iCOd9bnLGUGqLrVXhfVWveXWXdQy2zerlKWp_dUHMbK9EXj/s400/sherman.jpg" width="400" /></div><div style="text-align: justify;"></div><div style="text-align: justify;"><br />
En lisant à l’occasion de vacances bien méritées l’ouvrage, déjà fort ancien, de Gilles Perrault sur la <a href="http://www.amazon.fr/Secret-du-jour-J/dp/2213592063">préparation du jour J</a>, on ne peut qu’être frappé et plein d’admiration vis-à-vis de l’entreprise d’intoxication industrielle, la fameuse opération fortitude, mise en place par les anglais pour tromper les allemands sur le lieu final du débarquement.<br />
<br />
L’histoire est bien connue mais pour les gens qui ont besoin d’avoir la mémoire rafraichie et parce qu’elle est toujours incroyable à raconter, je veux bien résumer en deux mots les raisons et la nature de l’opération Fortitude.</div><div style="text-align: justify;"><br />
<i>[Les historiens sérieux de la seconde guerre mondiale voudront bien m’excuser pour toutes les approximations, résumés et inexactitudes que je vais proférer, mon objectif n’est pas de faire un billet historique mais de me servir de cette histoire pour amener un point intéressant de l’analyse économique moderne].</i></div><div style="text-align: justify;"><br />
Les alliés pouvaient potentiellement débarquer à deux endroits : le Pas-de-Calais et la Normandie (et accessoirement la Bretagne comme troisième possibilité). Le Pas-de-Calais était de loin la plus évidente : proximité de l’Angleterre comme base arrière avec la perspective d’un parapluie aérien bien plus conséquent, distance réduite avec la vallée de la Ruhr où était localisé le cœur industriel de la puissance militaire allemande, etc. et surtout présence de ports importants nécessaires à l’acheminement de la formidable quantité de matériel et d’hommes impliquée par le débarquement. Le Maréchal Von Rundstedt était intimement persuadé que c’était la solution la plus logique pour les alliés, au point de le marteler en une doctrine en six points établie pour ses collaborateurs directs et pour les dirigeants allemands. Notamment la Normandie n’avait pas de port important qui était selon le Maréchal allemand la condition sine qua non d’un débarquement réussi.<br />
<br />
Hitler, se fiant à son intuition, optait plutôt pour la Normandie ou la Bretagne, de même que Rommel qui ne partageait pas la vision de Von Rundstedt. Bref, il y avait avant l’opération fortitude, c'est-à-dire avant mars 1944, de fortes chances que le gros des forces allemandes aille finalement se positionner en Normandie, le Mur de l’Atlantique y ayant d’après Rommel quelques faiblesses qui étaient réelles contrairement au dispositif défensif établi dans le Pas-de-Calais.</div><div style="text-align: justify;"><br />
En fait, Von Rundstedt, fin stratège toutefois (c’était l’artisan de la guerre éclair victorieuse en Pologne et en France en 1939-1940) avait toutefois négligé deux choses, l’une assez évidente, l’autre un peu moins. Dans le registre de ce qu’il pouvait difficilement deviner était le fait que les alliés avaient réussi à contourner la contrainte de disposer d’un port existant assez important. Lord Mountbatten et Churchill avaient en effet conceptualisé l’idée d’un port mobile avec par exemple des jetées flottantes. La seconde chose, plus surprenante pour un stratège tel que Von Rundstedt, est qu’il négligeait l’effet de surprise, très important aux yeux d’Eisenhower par exemple. C’est d’autant plus curieux que lui-même en avait abusé en attaquant les français là où ceux-ci pensaient qu’il n’y avait aucune chance de le faire, en passant par les Ardennes là où la fameuse ligne Maginot était virtuellement inexistante.<br />
Cette divergence n'aurait pas été très grave dans la mesure où Hitler lui n’était pas initialement de l’avis de Von Rundstedt et que, comme il l'avait déjà fait à de nombreuses reprises, il n’aurait pas hésité à suivre son intuition et à aligner les divisions de l’armée allemande à proximité des cotes de Normandie sans se soucier de l’avis de ses subalternes (Von Rundstedt semblait d’ailleurs avoir un certain mépris pour le caporal Hitler, son Führer).<br />
L’opération Fortitude a consisté à faire croire aux allemands que le débarquement aurait lieu dans le Pas-de Calais par différents moyens. Je ne veux pas faire un livre là-dessus, allez lire les nombreux et bons ouvrages qui existent, mais en deux mots, les alliés utilisèrent principalement le contre-espionnage et des leurres (des tanks Sherman gonflables ou de faux canons placés dans le Pas de Calais pour la reconnaissance aérienne allemande, des faux ordres de transport sur les ports anglais de Douvres, etc.), et même un faux Montgomery qui, par ses déplacements, renforce l'hypothèse d'un débarquement dans le Pas de Calais en juillet !<br />
<br />
Pour le contre-espionnage, il s’agissait essentiellement d’utiliser des espions allemands qui avaient été retournés par les anglais pour leur faire prêcher le faux en guise de vrai auprès des autorités allemandes. Mais aussi, beaucoup plus contestable il est vrai, le sacrifice d’authentiques agents de l’espionnage anglais en possession de faux renseignements qu’ils avouèrent en toute sincérité dans les mains des tortionnaires allemands. Ou encore, dans le registre d’un jeu pervers incroyable, cet espion français qui envoyait de vrais messages aux autorités allemandes, messages auxquels elles n’accordaient toutefois aucune crédibilité dans la mesure où elles savaient que celui-ci n’était pas fiable. Par exemple, cet individu leur a envoyé le message selon lequel le débarquement aurait bien lieu en Normandie le 5, 6 ou 7 juin, message qui lui avait été donné volontairement par les alliés et auquel les allemands ne crurent pas une seconde.<br />
<br />
Bref, le succès de l’opération Fortitude fut total dans la mesure où, à l’issue de celle-ci, i'est-à-dire quelques jours avant le débarquement, les allemands, Hitler, Rommel et Von Rundstedt, étaient persuadés que la seule option possible pour les alliés était le Pas-de-Calais. A tel point qu’ils crurent même que le débarquement du 6 juin en Normandie n’était qu’une diversion, laissant des divisions allemandes qui auraient pu arrêter la première vague dans le Pas-de Calais, ce jusque vers fin juillet 1944 !</div><div style="text-align: justify;"></div><div style="text-align: justify;"><br />
Quel rapport avec ce blog ? Il existe en fait toute une littérature théorique en théorie des jeux qui cherche à expliquer pourquoi des joueurs qui peuvent être très rationnels peuvent tout de même être trompés dans une telle situation par des messages émis par un autre joueur. C'est le cas de l'analyse donnée par Crawford en 2003 dans un article publié dans l'AER. Ce qui est intéressant, c'est que l'on arrive à donner des fondements théoriques à l'opération Fortitude et à expliquer pourquoi l'équilibre qui fut "choisi" fut celui du côté allié d'une diversion faite sur le Pas de Calais alors qu'on attaquerait la Normandie et, du côté allemand, de défendre coûte que coûte le Pas de Calais.</div><div style="text-align: justify;"><br />
Dans le jeu tel qu’il est représenté par Crawford (2003), on a en fait une version du jeu de “matching pennies” – un jeu à somme nulle - , les alliés gagneraient plus à attaquer le Pas-de-Calais s’il n’est pas défendu par l’armée allemande (c’était la théorie de Von Rundstedt) que la Normandie.<br />
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<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjCqixJ8MrPpoMcqrdQhyphenhyphenYlvXEzxdaBceUSYwEmlo47BTAKpndMDxPyWRECi3QvQGDQwlQpgkzhB4pQlg2rdHWcuSptUabkm5UfzhoMfcTAMKCgnkMg_-7t_X7FOw_9OMIhQORUAoqPp2qV/s1600/ddaygame.png" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="300" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjCqixJ8MrPpoMcqrdQhyphenhyphenYlvXEzxdaBceUSYwEmlo47BTAKpndMDxPyWRECi3QvQGDQwlQpgkzhB4pQlg2rdHWcuSptUabkm5UfzhoMfcTAMKCgnkMg_-7t_X7FOw_9OMIhQORUAoqPp2qV/s400/ddaygame.png" width="400" /></a></div><br />
Dans ce jeu, il n’y aucun équilibre de Nash en stratégies pures, et le seul équilibre qui existe est un équilibre en stratégies mixtes dans lequel les alliés attaquent Calais avec une probabilité de 2/5 (donc attaquent la Normandie avec une probabilité de 3/5) et les allemands défendent Calais avec une probabilité de 3/5.<br />
<br />
Dès lors, comme l’analyse finement Crawford (2003), pourquoi l’opération fortitude n’a-t-elle pas eu comme objectif de faire croire aux allemands que les alliés allaient attaquer en Normandie puisque le gain d’attaquer dans le Pas de Calais était plus important ? Où pourquoi les alliés n’ont-ils pas fait diversion en Normandie alors que l’attaque réelle aurait lieu dans le Pas-de Calais ? Dans un jeu sous rationalité parfaite, la question ne se pose pas, car les messages sont considérés comme non informatifs par le récepteur (il s’agit de cheap talk) et n’influencent par conséquent en rien ses actions. Par conséquent, l’émetteur n’envoie pas de message et le jeu reste au stage décrit dans la matrice ci-dessus. Dès lors, la théorie des jeux sous sa forme standard ne peut expliquer l’opération Fortitude, qui n’a aucune raison d’être dans ce cadre de rationalité parfaite. Crawford reprend donc le raisonnement en supposant une rationalité limitée des joueurs, ou, plus précisément, que chaque joueur a une certaine probabilité d’avoir une rationalité limitée ou au contraire d’être sophistiqué dans sa rationalité (ie d’avoir une rationalité parfaite). Chaque joueur connaît la distribution possible des types des joueurs (limité ou sophistiqué) mais ne connaît pas le type précis de l’autre joueur.</div><div style="text-align: justify;"><br />
En fait, par un raisonnement basé sur un jeu de communication asymétrique de messages dans lequel seul l’envoyeur (les allies) génère des messages et le récepteur décide ou non de la crédibilité de ces messages (les allemands), Crawford montre qu’il existe un équilibre dans lequel les alliés envoient le message qu’ils attaquent le Pas-de Calais alors qu’ils ont l’intention d’attaquer la Normandie, alors que la situation inverse (les alliés envoient le message qu’ils attaquent la Normandie alors qu’ils attaquent le Pas de Calais) n’est pas un équilibre du jeu. Ce raisonnement est fait en supposant que les deux joueurs sont sophistiqués, et seule l’existence d’une distribution de types dans laquelle que la probabilité d’avoir un joueur « limité » est suffisamment forte suffit à fonder ce raisonnement d’équilibre. Ou que la probabilité d’avoir des joueurs sophistiqués est suffisamment faible.<br />
<br />
L’intuition est la suivante. Supposons que la probabilité d’avoir un joueur sophistiqué côté allemand et côté anglais soit suffisamment petite, mais qu’en réalité chaque joueur soit de type sophistiqué. Les allemands sophistiqués vont toujours défendre Calais car ils prévoient que les anglais limités vont toujours attaquer Calais. Comme les anglais sont également sophistiqués, ils prévoient que des allemands sophistiqués ne devraient pas prendre en compte leurs messages, de quelque nature qu’il soit (vrai ou faux) et que seuls des allemands limités prendraient en compte leurs messages. Comme le message est peu coûteux (il s’agit de cheap talk), ils envoient quand même un message qui dépend du type de limitation des allemands (prennent pour systématiquement vrais les messages ou systématiquement faux les messages). Par conséquent, l’équilibre dans un tel jeu est que les anglais sophistiqués envoient des messages faux, et que les allemands sophistiqués défendent Calais.</div><div style="text-align: justify;"><br />
En bref, il suffit que les joueurs soient suffisamment hétérogènes dans leur niveau de rationalité - Il y a une forte évidence empirique qui montre cela à travers par exemple les expérimentations menées notamment par Nagel sur le jeu du concours de beauté dont j’ai parlé <a href="http://expeconomics.blogspot.com/2009/08/billet-de-rentree-retour-de-vacances.html">ici</a>, les sujets étant très hétérogènes dans leur niveau de raisonnement, très peu s’approchant de la rationalité parfaite - pour que la stratégie d’envoyer de faux messages soit une stratégie qui puisse s’avérer gagnante dans des jeux où les conflits d’intérêt sont très importants entre les joueurs (comme dans une guerre).<br />
Une manière d’étudier empiriquement les comportements dans une telle situation est de mettre des sujets dans un jeu de bluff (bluffing game) ou, de manière plus politiquement correcte, jeu de transmission biaisée (d’information), ou encore « jeu stratégique de transmission d’information », ces jeux étant inspirés par Crawford & Sobel, 1982.<br />
Le principe de ce jeu dans sa version la plus simple est le suivant : l’émetteur observe le vrai état de la Nature, puis envoie un message à un récepteur qui doit dire s’il dit la vérité ou s’il ment. Si le récepteur ne se trompe pas (soit qu’il dise que le message est vrai s’il correspond effectivement à l’état effectif de la Nature, soit qu’il dise que le message est faux s’il ne correspond pas à l’état effectif de la Nature), il gagne 1, et 0 dans le cas contraire. Les gains de l’émetteur sont inversés, de manière à être dans un jeu à somme nulle, il gagne 1 si le récepteur se trompe et 0 sinon (les fonctions de gains peuvent être un peu plus complexes, comme dans les expérimentations de Wang, Spezio & Camerer, 2010).<br />
Dans ces jeux de cheap talk, les expérimentations menées montrent qu’en général, bien qu’étant dans une situation de conflit extrême, les sujets tendent à dire trop souvent la vérité par rapport aux prédictions théoriques issues de la théorie des jeux standard (qui ne prévoit qu’un équilibre blablateur ou babbling equilibrium, c'est-à-dire un équilibre dans lequel ce qui est envoyé comme message par l’émetteur ne révèle absolument rien, et dont le récepteur ne tient pas compte, concept abordé plusieurs fois dans les billets du blog Mafeco, par exemple<a href="http://www.mafeco.fr/?q=node/250"> là</a>).<br />
<br />
C’est précisément ce qui est montré par Wang, Spezio & Camerer, dans une étude expérimentale parue dans l’AER en 2010. Le principe du jeu est grosso modo le même que ci-dessus, simplement l’espace des stratégies est plus complexe, mais dans leur expérience il existe toujours une incitation pour l’émetteur à reporter un message biaisé. Non seulement, ils observent que la proportion de joueurs qui dit la vérité est beaucoup plus forte que ce que prédit la théorie, mais, de plus, constatent qu’en majorité les joueurs n’ont pas un comportement très sophistiqué. Par exemple, en utilisant pour expliquer les comportements durant les sessions expérimentales une technique d’<a href="http://en.wikipedia.org/wiki/Eye_tracking">eyetracking</a> et une technique de mesure de dilatation de la pupille, ils observent que la majorité des émetteurs se concentre très fortement visuellement parlant sur son propre payoff et ne regardent que de manière distraite le payoff de son opposant. Du reste, ces auteurs mesurent la proportion de comportements qui peuvent être qualifiés de sophistiqués (i.e. des joueurs qui raisonnent à un niveau k assez élevé dans un modèle de type "concours de beauté") : ils obtiennent une proportion inférieure à 15% pour les émetteurs, un chiffre très proche d’une précédente étude de Cai & Wang en 2005, avec le même jeu mais dans un design très légèrement différent. Ces derniers auteurs obtenaient une proportion de comportements sophistiqués inférieure à 30% pour les récepteurs. Cela montre la pertinence du raisonnement de Crawford (2003) sur l’opération fortitude, l’équilibre « feindre d’attaquer Calais, attaquer Normandie / défendre Calais » étant possible avec une faible proportion de joueurs sophistiqués.</div><div style="text-align: justify;"><br />
Pour en revenir à l’opération Fortitude, je trouve que la vérité historique, initialement assez mal expliquée par la théorie des jeux appliquée de manière standard, est éclairée de manière intéressante par la réflexion théorique de Crawford autour d’un modèle de rationalité limitée, qui s’appuie lui-même sur des résultats empiriques de l’économie comportementale pour étayer ses arguments. On me dira que c’est une explication ex post qui n’a peut être que peu de portée, mais l’idée de résoudre ce puzzle historique aux moyens d’une combinaison de raisonnement théorique et de faits empiriques est une parfaite illustration du potentiel de l’économie comportementale quand celle-ci permet d’appuyer la construction de représentions théoriques des comportements plus pertinente.</div>Laurent Denant-Boemonthttp://www.blogger.com/profile/08252381928844005264noreply@blogger.com2tag:blogger.com,1999:blog-6161986843091652284.post-56576603224109032172011-04-10T13:38:00.008+02:002011-04-12T17:10:33.090+02:00Liens sociaux et construction des préférences prosociales (rien à voir avec le débat « Islam et laïcité »)<div style="text-align: justify;"><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEiQSBDVuzNapRlWdaEdXu1aVi1-H1lmBe98oVWbGnsy-Zrbef7obgLRNtjJA5AHZpGN84kvXKNDH_cpo1w5fxaYTzriJoAj1W6fFJwz8-qOuqipgEDyY2jmS-KJatQXH2T6ydYXh2k_WowF/s1600/the_social_network.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="332" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEiQSBDVuzNapRlWdaEdXu1aVi1-H1lmBe98oVWbGnsy-Zrbef7obgLRNtjJA5AHZpGN84kvXKNDH_cpo1w5fxaYTzriJoAj1W6fFJwz8-qOuqipgEDyY2jmS-KJatQXH2T6ydYXh2k_WowF/s400/the_social_network.jpg" width="400" /></a></div></div><div style="text-align: justify;"><br />
[<i>Petit préambule à l'attention de toi, cher lecteur : j’ai un peu plus de peine ces temps-ci à accomplir mon billet bimensuel traditionnel, je vais essayer d’être plus régulier mais la procrastination me guette toujours, surtout avec l’arrivée des beaux jours</i>]<br />
<br />
</div><div style="text-align: justify;"></div><div style="text-align: justify;">“<i>Colleagues in office, partners in trade, call one another brothers; and frequently feel towards one another as if they really were so. Their good agreement is an advantage to all</i>.”<br />
<div style="text-align: right;">Adam Smith, The Theory of Moral Sentiments, Part VI, section II </div></div><div style="text-align: justify;"></div><div style="text-align: justify;"><br />
La question des préférences des individus est centrale en économie bien que la plupart des économistes affirment que l’économie se construit autour de préférences qui sont supposées être données. Bon, ces préférences sont censées respecter un minimum d’axiomes qui caractérisent une forme de rationalité (notamment préférer plus de quelque chose à moins de ce quelque chose toutes choses égales par ailleurs). Toute l’économie « classique » organise et construit ses lois autour de ces préférences.<br />
<br />
L’économie comportementale va quant à elle au-delà de ce principe, dans la mesure où une des questions importantes qu’elle aborde est celle de la construction des préférences des individus, notamment des préférences prosociales (dans un sens très large, celles qui font qu’un individu donné intègre l’action ou la situation d’un autre individu dans sa fonction d’utilité, comme l'altruisme). Par ailleurs, plus classiquement, cette discipline essaie de mettre en évidence en quoi consistent précisément ces préférences prosociales.<br />
<br />
J’entends ces jours ci, de différents horizons, beaucoup de critiques sur l’économie comportementale, dont certains minimisent les apports, agacés sans doute par l’effet de mode actuel sur cette discipline – ce que je peux comprendre – . Il ne faut toutefois pas jeter le bébé avec l’eau du bain et ce blog est là, je l’espère, pour mettre en évidence l’intérêt d’une telle approche. C’est bien le moins que je puisse faire, sinon tout ce que j’écris depuis des mois n’aurait guère de sens.<br />
Il faut tout de même par ailleurs ne pas oublier qu’avant cette « mode », la question des préférences pro-sociales n’était qu’un thème extrêmement marginal en économie et que la connaissance de cette dimension a fait, de mon point de vue, un pas de géant en une vingtaine d’années. Tout n’est bien sûr pas gravé dans le marbre et certaines explications s’avéreront non pertinentes sans doute, mais l’avancée me semble réelle.<br />
<br />
Une des hypothèses qui a eu beaucoup de succès pour expliquer le comportement des agents en situation d’interaction stratégique au-delà de l’équilibre de rationalité parfaite par exemple est l’hypothèse d’aversion à l’inégalité. Cette hypothèse dit simplement qu’un individu va être plus ou moins réticent à observer un écart positif ou négatif entre son revenu et le revenu de son voisin. Basiquement, l’idée est que la plupart des individus préfèrent un partage équitable entre eux-mêmes et l’autre qu’ un partage qui leur donne tout ou qui donne tout au voisin.<br />
Plus exactement, si on retient l’approche développée par Fehr et Schmidt en 1999 (il y a aussi une autre approche, très légèrement différente proposée par Bolton et Ockenfels, 2000), je peux être averse à deux formes d’inéquité. La première est l’inégalité qui est à mon avantage, c'est-à-dire celle où j’ai un revenu plus important que mon voisin, alors que la seconde est l’inégalité qui est en sa faveur, c'est-à-dire celle qui est relative à une situation dans laquelle j’obtiens moins que mon voisin. Il existe des mesures assez simples qui permettent d’évaluer l’intensité de chaque composante de l’aversion à l’inégalité pour des participants donnés (pour ceux qui sont intéressés par une mesure simple, voir <a href="http://econstor.eu/bitstream/10419/41419/1/638075599.pdf">Blanco et al., 2010</a>). Ce n’est pas là le sujet essentiel.<br />
<br />
Ce qui est plus important, et en supposant que cette préférence intrinsèque de l’individu puisse expliquer son comportement dans certaines situations avec un succès meilleur que la maximisation simple de l’utilité individuelle hors de toute considération de la situation de mon voisin, est que les tenants de cette explication supposent, comme souvent en économie, que l’aversion à l’inégalité est exogène et stable pour un même individu.<br />
<br />
Toute la question est de savoir si ces préférences pro-sociales sont stables, et donc en grande partie exogènes, ou si elles sont construites à travers l’interaction des différents membres d’une société donnée. De nombreux économistes, influencés par les études d’économie comportementale, tendent maintenant à avancer que ces préférences pro-sociales sont construites sur le long terme, ce qui justifie le recours à une analyse évolutionnaire des interactions (voir le point de vue d’Avinash Dixit en 2008 sur cette question <a href="http://www.theirrationaleconomist.com/abstracts/Dixit-EndogSoc.pdf">ici</a> ). Cette vision des choses est souvent, et avec brio, développée par exemple par C.H. dans le blog « rationalité limitée, par exemple <a href="http://rationalitelimitee.wordpress.com/2011/03/25/reciprocite-forte-cooperation-et-institutions/">ici</a>).<br />
<br />
Plus surprenante est l’idée que ces préférences pro-sociales pourraient en fait être perturbées par le résultat de l’interaction avec d’autres individus y compris à très court terme.<br />
<br />
Une étude expérimentale particulièrement intéressante de <a href="http://ideas.repec.org/p/ces/ceswps/_273.html">Sonnemans, Van Dijk et van Winden (2002)</a>, publiée dans le Journal of Public Economics, prolongée d’ailleurs par une étude plus récente en 2006 des mêmes auteurs, traite précisément de ce problème. Les auteurs étudient comment les préférences prosociales sont influencées par le comportement d’autrui lors d’un jeu répété, ce jeu permettant aux participants de construire des liens sociaux. Ces liens sociaux peuvent être positifs ou négatifs. Pour mettre en évidence la formation de ces liens sociaux, le design de l’expérience est a priori très simple : on mesure les préférences prosociales avant, puis on laisse les participants jouer un jeu répété avec d’autres participants, et on mesure alors une deuxième fois les préférences prosociales après le jeu. Si les préférences prosociales sont invariantes, alors l’écart avant après de la mesure des préférences prosociales devrait être négligeable. La session expérimentale dure environ 2 h en tout, ce point me semblant important par rapport à ce que j’ai dit ci-dessus.</div><div style="text-align: justify;"><br />
La mesure des valeurs sociales (on dirait de manière plus modernes des préférences prosociales) a été un sujet important en psychologie sociale et divers instruments de mesure ont été proposés par les psychologues sociaux depuis plus de trente ans. Une des plus simples – et des plus amusantes- a été proposée par Liebrand en 1984. Le principe de base est, pour un individu donné, de choisir entre deux options de manière répétée. Chaque option octroie une certaine somme à soi-même et à un individu réel qui peut, dans le cadre d’une expérience, être tiré au sort parmi les participants. Par exemple, une première option est d’avoir 500 euros pour soi et 0 euros pour le voisin, contre 480 euros et 120 euros pour le voisin. D’autres choix consistent à choisir entre les deux options dans l’espace des pertes (par exemple -500 euros pour moi et 0 euros pour lui contre -480 euros pour moi et -120 euros pour lui) ou dans l’espace des gains pour moi et des pertes pour lui (480 euros pour moi ; -120 euros pour lui contre 350 euros pour moi et -250 euros pour lui).<br />
<br />
Il est alors possible, en faisant la synthèse de tous les choix d’options fait par un individu donné, de caractériser celui-ci en mettant en évidence un trait saillant qui résume ses valeurs sociales :<br />
- L’altruisme, s’il cherche à maximiser le revenu de l’autre indépendamment du sien,<br />
- La coopération s’il cherche à maximiser son revenu et celui de l’autre de l’autre<br />
- L’égoïste s’il cherche à maximiser son seul revenu<br />
- Le compétitif, s’il cherche à maximiser la différence entre son revenu et celui de l’autre<br />
- L’agressif, s’il cherche à minimiser le revenu de l’autre<br />
- Etc.<br />
<br />
La figure ci-dessous représente comment le choix final entre les options A et B peut être résumé sur un cercle (qui s’appelle donc le cercle de mesure des valeurs sociales ou « <i>ring measure of social values</i> »).</div><div style="text-align: justify;"></div><div style="text-align: justify;"></div><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEh5TN4_jCWo6mGdRZW8N4jvRvwqO87lOrT1d81J-j5V2itgyzEl9uX7GbhpomcobY9zNPJEyqaU40VFNNyzCygibXDllJsniwKle9Oajt10u6RuM9tItrq2k88PZ4DXyfCqaZvbzF0BLfVu/s1600/liebrand.png" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="300" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEh5TN4_jCWo6mGdRZW8N4jvRvwqO87lOrT1d81J-j5V2itgyzEl9uX7GbhpomcobY9zNPJEyqaU40VFNNyzCygibXDllJsniwKle9Oajt10u6RuM9tItrq2k88PZ4DXyfCqaZvbzF0BLfVu/s400/liebrand.png" width="400" /></a></div><div style="text-align: justify;"><br />
<div style="text-align: center;">source : Fiedler, Glöckner and Nicklich (2008) adapté de Liebrand (1984) </div></div><div style="text-align: justify;"></div><div style="text-align: justify;"><br />
Le cadran est construit autour de deux axes, l’un horizontal qui indique la somme que je gagne ou que je perds, l’autre vertical qui donne la valeur attribuée à l’autre (en positif ou en négatif).<br />
Sur ce cadran, plus un individu a fait des choix qui l’orientent au nord, plus celui-ci est intensément altruiste. Au sud, ses valeurs sociales peuvent être caractérisées d’agressives.<br />
<br />
C’est cette mesure qu’utilisent Sonnemans, Van Dijk et van Winden dans leur étude de manière répétée. Lors d’une première partie, face à un participant tiré au sort, l’échelle des valeurs sociales de chaque participant est mesurée. Puis, cette même personne participe à un jeu de bien public à deux personnes (donc une sorte de dilemme du prisonnier où les stratégies de coopération sont continues) et enfin, dans une dernière partie, l’échelle de ses valeurs sociales est à nouveau mesurée.<br />
<br />
Pour contrôler la stabilité de cette mesure de valeurs sociales, ils mettent en place un traitement dans lequel la même chose est faite pour les participants (mesure avant après) mais, au lieu de participer à un jeu de bien public, chaque sujet participe à un jeu de décision individuelle (un jeu de recherche d’emploi dans lequel un sujet tire au hasard des salaires dans une distribution et doit décider de continuer moyennant un coût de recherche ou pas). Je donne tout de suite le résultat de ce traitement, qui n’est là que pour s’assurer de la stabilité, au moins à court terme, de l’instrument de mesure des valeur sociales : il n’y a dans ce traitement quasiment aucune différence entre les résultats de la mesure avant et après dans ce traitement spécifique. Dont acte, la mesure des valeurs sociales proposée par Liebrand semble stable...<br />
<br />
Mais y-a-t-il une différence dans le traitement « bien public » ? Pas de suspense, bien évidemment oui ! <br />
<br />
L’interaction répétée des individus dans le jeu de bien public, qui a comme caractéristique que les gains sont maximisés en cas de coopération a un impact fort sur la seconde mesure (ex post) appliquée aux sujets. <br />
En effet, les sujets qui ont gagné beaucoup (ils ne peuvent le faire durablement que si le niveau de contribution au bien public est suffisamment élevé au sein du groupe de deux individus) ont tendance à plus « aimer » leur partenaire (ie à donner une orientation plus altruiste de leur mesure de valeurs sociales après qu’avant) et, au contraire, les sujets qui ont moins gagné (soit du fait qu’ils ont été des passagers clandestins avec leur partenaire, soit du fait qu’ils ont contribué au bien public alors que l’autre ne contribuait rien) ont tendance à reporter une baisse de leur niveau d’altruisme pour tendre vers un comportement égoïste.<br />
<br />
C’est un résultat qui me semble important, dans la mesure où d’une certaine manière, cette expérimentation met en évidence ce que l’on suppute tous plus ou moins, à savoir qu’il y a clairement des comportements « nuisibles » qui tendent à construire des liens sociaux négatifs entre les individus , et des comportements « utiles » qui tendent à renforcer ou à créer du lien social positif entre les individus, ces liens sociaux déterminant ensuite les préférences pro-sociales des individus et par conséquent leur comportement social.<br />
<br />
<br />
PS1 : j’avais bien dit que ce billet n’avait rien à voir avec le débat Islam et laïcité !<br />
<br />
PS2 : juste à titre totalement accessoire, une citation de la conclusion du rapport du Rapport du Commissariat Général du Plan sur le thème « <a href="http://www.islamlaicite.org/article312.html">religion et intégration sociale</a> » page 35 :</div><div style="text-align: justify;">« <i>Enfin, il paraît nécessaire de reconnaître les fonctions sociales des communautés religieuses sans que cela ne risque, aujourd’hui moins qu’hier, de conduire à une quelconque forme de communautarisme. À cet égard appartenir à une “communauté” religieuse n’est pas un signe a priori d’enfermement et d’imposition sociale et les individus ont de multiples appartenances, la religion n’étant que l’une d’entre elles. Les religions sont devenues, du fait de la sécularisation et de leur acceptation du cadre laïc, des ressources d’entraide de paix sociale également qu’il peut être bon d’utiliser davantage. Mais à ce titre, leur place dans les débats publics pourrait également être davantage prise en compte en dehors de la seule gestion des culte</i>s »</div>Laurent Denant-Boemonthttp://www.blogger.com/profile/08252381928844005264noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-6161986843091652284.post-5342151012771977992011-03-20T19:11:00.001+01:002011-03-21T20:23:36.837+01:00Catastrophe au Japon, abandon du nucléaire et comportement de surréaction<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEh2Wh3VN43y2G2pnJcNErknFHOoqczA7gZbG5v2WHf8VBo9V7c0zVLepdTo9Q-n3ZgGJT0HMbGUxLQca2wUxHlghG76NSJsd6YFhSEBsXLsx3bTdw7YPspoNdzHWr3zFzlrLJrx13mZN0vy/s1600/Overreaction.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="320" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEh2Wh3VN43y2G2pnJcNErknFHOoqczA7gZbG5v2WHf8VBo9V7c0zVLepdTo9Q-n3ZgGJT0HMbGUxLQca2wUxHlghG76NSJsd6YFhSEBsXLsx3bTdw7YPspoNdzHWr3zFzlrLJrx13mZN0vy/s400/Overreaction.jpg" width="400" /></a></div><div style="text-align: justify;"></div><div style="text-align: justify;"></div><div style="text-align: justify;">A la suite du tremblement de terre au Japon, la menace d’une catastrophe nucléaire à une échelle n’ayant guère de précédent se profile de jour en jour. Suite à cette inquiétude légitime des citoyens du monde entier, de nombreux élus et représentants de la société civile, notamment les écologistes en France, ont appelé à l’abandon de la technologie nucléaire comme élément de la production d’énergie électrique (par exemple <a href="http://www.toulouse7.com/2011/03/14/les-elus-verts-appellent-a-sortir-du-nucleaire/">ici </a> ou <a href="http://www.20minutes.fr/article/687606/politique-duflot-appelle-sortie-europeenne-nucleaire">là</a>). <br />
Bien évidemment, le point fondamental (voir le billet de CH sur le blog "rationalité limitée" <a href="http://rationalitelimitee.wordpress.com/2011/03/14/ce-que-laccident-nucleaire-japonais-nous-apprend-sur-la-rationalite-du-debat-public/">ici </a>) est que le niveau de risque n’a pas été modifié par l’occurrence de cette catastrophe. Ce n’est pas parce que je jette un dé et que j’obtiens deux fois de suite le chiffre 2 que j’ai plus de chance par la suite d’obtenir le chiffre 2. Ou a contrario moins de chances d’observer le chiffre 2. Le risque qui s’est réalisé au Japon - ou plutôt l’Etat de la Nature comme disent les spécialistes de la théorie de la décision, terme qui ici sonne malheureusement d’une manière sinistre – n’implique en rien, en l’état actuel des choses - une modification des probabilités d’avoir une autre catastrophe à ma connaissance d’un strict point de vue scientifique.<br />
Parler à contre courant n’est pas forcément quelque chose de facile, surtout du fait que chaque jour, le bilan humain et environnemental de cette catastrophe devient de plus en plus effrayant, mais après tout, un des rôles de l’économiste est d’avertir l’opinion sur les avantages et coûts sociaux induits par une modification des politiques publiques. Même s’ils jouent leur jeu, je trouve que le discours des écologistes est un brin irresponsable, car abandonner l’énergie nucléaire aurait certes probablement un avantage en termes de réduction des risques de catastrophe telle que nous la subissons en ce moment, mais aurait aussi surtout des coûts économiques – au sens large – extrêmement importants. Cela a d’ailleurs été heureusement souligné par une partie de la classe politique, y compris les socialistes, dont, le cas échéant, on ne peut que saluer le sang froid (je ne ferai pas cela tous les jours). Mais ce n’est pas le point essentiel de ce billet, mon objectif étant de chercher à montrer de quelle nature est cette réaction d’une partie de l’opinion publique (abandonner le nucléaire suite à l’occurrence d’une catastrophe) en pointant qu’il s’agit là d’un biais humain, trop humain, pour reprendre la formule de Nietzsche.<br />
La réaction des écologistes en particulier, en supposant qu’elle ne soit pas dictée par de bas objectifs politiques – après tout, il est permis de rêver -, et d’une partie de l’opinion, peut s’assimiler à un phénomène assez connu en économie, mais peu étudié en fait de manière empirique, à savoir la surréaction (<i>overreaction</i> dans la langue de Shakespeare).<br />
Le problème de la surréaction est essentiel à mon avis pour comprendre la réaction de l’opinion publique et d’une partie de la classe politique, et surtout, pour éviter les conséquences négatives de décisions ou d’opinions qui pourraient être formées « à chaud ». Il s’agit d’un biais de comportement assez classique en économie et qui a souvent été invoqué pour expliquer les bulles financières notamment.<br />
</div><div style="text-align: justify;">Basiquement, un phénomène de surréaction consiste à penser que l’arrivée d’un événement négatif augmente la probabilité d’en avoir un dans le futur et, vice versa, que l’arrivée d’un événement positif augmente la probabilité d’événements positifs. Par exemple, le fait que je sois victime d’un cambriolage va renforcer de manière erronée la croyance que j’aurais sur l’occurrence de tels événements. Tout comme le fait de réaliser que de n’avoir subi aucun cambriolage au cours des dix dernières années, alors qu’en moyenne il y un cambriolage tous les 7 ans dans le quartier, va potentiellement renforcer ma croyance que je suis plus à l’abri d’une telle agression que les autres voisins du quartier.<br />
Ce problème est bien identifié en économie du sport, mais également bien sûr dans les analyses sur les marchés financiers. Un phénomène de surréaction pour une action donnée consiste à avoir une bonne ou une mauvaise nouvelle concernant l’entreprise qui modifie la valeur fondamentale de cette action. Par exemple, supposons que l’on apprenne une découverte de gisements pétroliers majeurs. Cette découverte augmente la valeur fondamentale des sociétés pétrolières. Une surréaction des agents consisterait à observer une croissance de la demande des actions des sociétés pétrolières dont le prix de marché dépasserait alors la valeur fondamentale, ce jusqu’à ce que les agents, réalisant l’écart entre le prix de marché et les fondamentaux, modifient leur comportement de telle manière que cet écart finisse par disparaitre. Comme l’ont montré de Bondt et Thaler en 1985, ce phénomène peut expliquer que le rendement des actions surévaluées puisse être moins élevé que le rendement des actions sous évaluées, et qu’il puisse être profitable d’acheter de manière systématique des entreprises dont les actions baissent, car leur rendement est en moyenne plus élevée que des titres d’entreprises dont les actions montent. Bien évidemment, un tel phénomène bat en brèche la fameuse hypothèse d’efficience des marchés énoncée par Fama en 1970, et sujet de nombreux débats – justifiés- depuis la crise financière de 2008.<br />
<br />
Si on observe les prix sur la bourse de New York sur la période 1926 – 1982, comme l’expliquent de Bondt et Thaler, on constate que les prix des actions des entreprises qui se sont comportées négativement sont sous-évalués (par rapport à la valeur fondamentale de ces actions) et que les prix des actions des entreprises qui ont eu des performances positives par rapport à la moyenne sont au contraire surévalués.<br />
Pour résumer, le phénomène de surréaction se manifeste par la surappréciation de la valeur économique des gagnants et par la sous-appréciation de la valeur économique des perdants, ce sur n’importe quel type de marché, et pas seulement financier. Une explication possible de ce phénomène de surréaction vient de la psychologie des investisseurs qui vont par exemple observer que l’action d’une entreprise augmente et considérer alors que la probabilité qu’elle augmente dans le futur (probabilité a posteriori) est plus forte que la probabilité qu’elle augmente <i>avant</i> que l’événement positif est été observé (probabilité a priori). Idem pour une action qui se porterait mal. Mais j’anticipe sur mon propos futur…<br />
<br />
Quel rapport avec la position des écolos ? Précisément, l’arrivée d’un événement négatif qui diminue la valeur économique de l’industrie nucléaire les conduit à « surréagir » en considérant que la perte de valeur est beaucoup plus ample, voire que la valeur économique de cette industrie devient nulle voire négative, et par conséquent à appeler à un changement radical de politique publique. C’est très exactement un phénomène de surréaction.<br />
Qu’est ce qui peut expliquer le phénomène de surréaction ? Il s’agit bien sûr d’un biais de rationalité, dans la mesure où un agent parfaitement rationnel ne peut surréagir, mais une fois que l’on a dit cela, on n’a pas dit grand-chose…<br />
Comme l’ont avancé Offerman & Sonnemans en 2006, deux explications sont possibles en termes de comportements individuels pour expliquer ce phénomène de surréaction. Au niveau individuel, une première explication est que l’agent pense que le fait d’observer un événement donné augmente la probabilité de cet événement et diminue la probabilité des événements adverses. C’est l’explication dite d’autocorrélation : l’occurrence d’une catastrophe m’incite à augmenter le risque de catastrophe dans mon esprit. L’autocorrélation peut être positive ou négative. Si un pneus de mon véhicule vient de crever, je peux en tirer trois conséquences : soit la probabilité de crever reste la même (rationalité parfaite), soit la probabilité de crever augmente (effet de main brulante ou « <i>hot hand effect</i>"), soit la probabilité de crever diminue (certaines personnes supputant qu’il y a une espèce de mécanisme de balancier dans les risques, si mon pneu a crevé, alors le risque s’est réalisé, et « en moyenne » j’aurais moins de survenues de crevaison dans l’avenir). Ce comportement est appelée biais de la loi des petits nombres, ou encore "cold hand effect" - effet de « main froide »-.</div><div style="text-align: justify;"></div><div style="text-align: justify;"><i> [désolé pour la traduction littérale et moche de hot hand et cold hand, mais si, lecteur, tu as de meilleures suggestions, je suis prêt à les entendre]</i></div><div style="text-align: justify;"><i><br />
</i>Une autre explication est possible. De Bondt et Thaler ont avancé simplement que les individus avaient tendance à pondérer plus fortement les événements récents que les événements lointains dans le passé dans la révision de leurs croyances (« <i>recency effect</i> »). Ou encore, que les agents sont relativement insensibles aux probabilités a priori. Là encore, cette explication est connue depuis longtemps par les psychologues.<br />
</div><div style="text-align: justify;">Le problème est de savoir laquelle de ces explications au phénomène de surréaction est la plus convaincante. L’article de Theo Offerman & Joep Sonnemans paru dans le <i>Scandinavian Journal of Economics</i> en 2006 est à ce titre intéressant car un de leurs objectifs est au moyen d’une expérience de laboratoire, de discriminer entre ces deux explications en partie alternatives.<br />
Leur design expérimental est très simple, l’analyse des résultats qu’ils conduisent est vraiment tout à fait intéressante, et tout cela me semble éclairant, y compris pour le débat public.<br />
Quelques mots sur le design. Une urne contient 100 pièces, 50 « justes » et 50 « faussées ». Une pièce « juste » produit lors de lancers successifs 50% de faces et 50% de pile. Une pièce « faussée » produit ces événements avec la même probabilité qu’une pièce juste, mais quand face sort lors d’un lancer, la probabilité que face sorte lors du lancer suivant est de 70% (et donc pour pile de 30%). Idem si c’est pile qui sort lors d’un lancer : l’événement pile aura 70% de chances de se produire lors du lancer suivant. Au début du jeu, une pièce est tirée au sort, et le type de la pièce n’est pas indiqué aux participants à l’expérience.<br />
Chaque participant observe une série de 20 lancers au hasard et doit alors indiquer le niveau de probabilité estimé que la pièce soit faussée. Ce jeu est répété à 20 reprises pour chaque participant, avec l’observation des 20 lancers et l’indication donnée par le sujet de la probabilité que la pièce soit faussée. Le gain de chaque partie est d’autant plus élevé que la probabilité reportée par le sujet est proche de l’événement vrai. Un sujet indiquant 100% de chances d’avoir une pièce faussée gagne plus si la pièce est réellement faussée que s’il indique 50% de chances seulement.<br />
Un participant qui serait rationnel au sens bayesien du terme (c’est-à-dire qui se conformerait au théorème de Bayes) devrait reporter des niveaux de probabilité d’avoir une pièce faussée d’autant plus forts que les tirages au sort matérialisent une alternance de pile et de face faible lors des 20 observations. En effet, la probabilité d’avoir une pièce faussée s’écrit, conformément au théorème de Bayes :</div><div style="text-align: justify;"><br />
</div><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEi99NCPHWR0Y89E2cNY4z72QZ2JfWw_nf648nDRPvvMh7MX2Zwr3NCvVXO25wQOw1RCNyT84b6Iuou1PT91ZoB5TM6fFM3KmjQ5scGgV6VU8LbXalFtOX3gBdobB13_7c66A58EmjzYudy_/s1600/eqessai.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="60" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEi99NCPHWR0Y89E2cNY4z72QZ2JfWw_nf648nDRPvvMh7MX2Zwr3NCvVXO25wQOw1RCNyT84b6Iuou1PT91ZoB5TM6fFM3KmjQ5scGgV6VU8LbXalFtOX3gBdobB13_7c66A58EmjzYudy_/s640/eqessai.jpg" width="640" /></a></div><div style="text-align: justify;"><br />
<br />
Par exemple, si j’observe 19 faces différentes (Face Pile Face etc.), la probabilité d’avoir une pièce faussée est proche de zéro, alors que si j’observe simplement deux changements (Pile Face Pile Pile etc. jusqu’à 20), cette probabilité est de 99%. Autre exemple, si j’observe que l’événement tiré au sort change 8 fois sur les 20 tirages, la probabilité d’avoir une pièce faussée est de 40%. <br />
Prenons cet exemple précis, qui permet de bien comprendre comment il sera possible de départager l’hypothèse de hot hand effect de l’hypothèse de recency effect, ce que cherchent à faire les auteurs. La probabilité a priori d’avoir une pièce faussée est de 50%, rappelons-le, pour que la suite du propos soit claire.<br />
Quelqu’un qui observe 8 alternances de pile ou face sur les 20 tirages et qui est sujet à cet effet de main brulante devrait surréagir en considérant que la probabilité d’avoir une pièce faussée est supérieure à ces 40% établis par un agent qui serait parfaitement bayesien. A contrario, quelqu’un qui est sujet à l’effet de l’observation récente des événements (recency effect) pondère plus fortement les événements observés (le résultat du tirage au sort) que la probabilité a priori d’avoir une pièce faussée, qui est de 50%. Donc s’il observe une série d’événements qui vont dans le sens d’une probabilité inférieure à 50%, ce qui est le cas avec 8 alternances de pile ou face, il va pondérer plus fortement cette information et reporter une probabilité inférieure aux 40% qu’un agent parfaitement bayésien considérerait comme probabilité a postériori.<br />
Par conséquent, si je suis sujet à l’effet de main brulante, je reporte une probabilité supérieure à la probabilité a posteriori (si celle si est inférieure à 50%) et au contraire, si je suis sujet à l’effet du caractère récent des informations, je reporte une probabilité inférieure. Ce n’est là qu’une partie du raisonnement théorique, qui en fait est plus complexe que cela dans l’article encore.<br />
<br />
Quels sont les résultats ? En particulier, on observe en fait que contrairement à l’explication avancée par de Bondt et Thaler, les sujets sont beaucoup sujets à l’effet de main brûlante qu’à l’effet du caractère récent des observations, ce qui signifie qu’ils sont sujets au biais d’autocorrélation. Le graphique ci-dessous l’illustre de manière spectaculaire :</div><div style="text-align: justify;"><br />
</div><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEj-LQk7wjF5mkLiOt40VIxoZPamnh6760KDCMH5sENTq2W6Q6iYp8DQ_J1NB8uG4eXaGySH-2BmCFG5DedKtMj_i1YJAXGbQvQg173B2EvKoEDBCsI47zcGKhSNucX45HPb_BOMbWad88Jt/s1600/offerman.png" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="300" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEj-LQk7wjF5mkLiOt40VIxoZPamnh6760KDCMH5sENTq2W6Q6iYp8DQ_J1NB8uG4eXaGySH-2BmCFG5DedKtMj_i1YJAXGbQvQg173B2EvKoEDBCsI47zcGKhSNucX45HPb_BOMbWad88Jt/s400/offerman.png" width="400" /></a></div><div style="text-align: justify;"><br />
</div><div style="text-align: justify;"></div><div style="text-align: justify;"></div><div style="text-align: justify;"></div><div style="text-align: justify;"></div><div style="text-align: center;">source : Offerman & Sonnemans, 2006</div><div style="text-align: justify;"><br />
Sur ce graphique, R correspond à la probabilité (d’avoir une pièce faussée) reportée par les sujets compte tenu de B, la probabilité a posteriori d’avoir une pièce faussée en appliquant le thèorème de Bayes. Un agent parfaitement rationnel au sens de ce théorème reporterait bien évidemment R=B (la diagonale sur le graphique qui représente le benchmarck pour cette expérimentation). La courbe observée s’écarte significativement du benchmark et matérialise une probabilité reportée très supérieure à la probabilité a posteriori, ce qui va dans le sens de l’effet de « hot hand ». Dans leurs expériences, très peu de probabilités reportées sont conformes au théorème de Bayes. Ils observent également, dans une seconde expérience, que cet effet de hot hand est moins fort quand les sujets ont déjà participé à la même expérience, c’est-à-dire que la surréaction tend à être de moins en moins forte. <br />
Cela suggère qu’un bon trader ne devrait pas être trop sensible au comportement passé du cours d’une action pour tenter de prévoir l’évolution future du cours, cette erreur étant beaucoup plus commune dans la réalité sans doute que celle qui consiste à ne considérer dans sa prévision que les événements récents.</div><div style="text-align: justify;"><br />
En ce qui concerne la réaction de l’opinion face à la catastrophe nucléaire, aux issues toujours incertaines au moment où j’écris ce billet, pour le moment, il semble que l’on soit plus dans une surpondération d’un événement récent. Toutefois, quelque soit l’explication comportementale derrière cette réaction, les conséquences d’une telle surréaction publique qui conduirait à démanteler l’industrie de la production d’énergie par voie nucléaire serait de toute évidence extrêmement coûteuse d’un point de vue économique pour la société.</div>Laurent Denant-Boemonthttp://www.blogger.com/profile/08252381928844005264noreply@blogger.com7tag:blogger.com,1999:blog-6161986843091652284.post-70955545961603539032011-02-23T12:42:00.007+01:002011-02-23T17:43:29.414+01:00Des conséquences économiques de la téléportation sur les coûts de transport<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhJNk0SkabYqS11oO_f4MTBHRGPkzHCMljRNfN0XU-ZgSpvBhtVPPHRxl8-2xwtuO9T9t0RvDQUYh5xwE2dAyHakY-lU27BMqUUCbDto5zZ8jgtbSBHUNQJPpg-M7TXFU9JvUC4XyMa38cp/s1600/15raff_600.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="227" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhJNk0SkabYqS11oO_f4MTBHRGPkzHCMljRNfN0XU-ZgSpvBhtVPPHRxl8-2xwtuO9T9t0RvDQUYh5xwE2dAyHakY-lU27BMqUUCbDto5zZ8jgtbSBHUNQJPpg-M7TXFU9JvUC4XyMa38cp/s400/15raff_600.jpg" width="400" /></a></div><div style="text-align: justify;"></div><div style="text-align: justify;"></div><div style="text-align: justify;">Voilà très longtemps que je n’ai pas fait un billet sur les dimensions économiques que l’on peut relever dans les œuvres cinématographiques, parfois présentes de manière explicite, mais le plus souvent de manière totalement inconsciente dans l'esprit des scénaristes, seul mon esprit tordu ayant sans doute l'idée de les mettre en lumière...</div><div style="text-align: justify;"></div><div style="text-align: justify;"><i>[Certains lecteurs pensent alors fortement que c'est surtout du au fait qu'il n'y a que moi que cela intéresse ! Mais alors, quel paradoxe, car, lecteur, si tu en es arrivé à ce point, c'est que tu me lis et donc que tu es intéressé !]</i></div><div style="text-align: justify;"><br />
J’ai revu récemment un des chefs d’œuvre du cinéma fantastique, "la mouche",, dans la version réalisée par David Cronenberg avec Jeff Goldblum, remake d'un classique des années 50 tout aussi bon, et un certain nombre de considérations économiques évoquées dans le film m’ont amusées. C'est l'objet de ce billet.</div><div style="text-align: justify;"><br />
L’histoire est assez simple à résumer en quelques mots : un inventeur génial, physicien de son état, met au point un système permettant de téléporter d’abord de la matière inerte, puis, butant sur le problème de la téléportation des êtres vivants, trouve la solution, l’expérimente sur lui-même, ce qui causera sa fin. Au début du film, le scientifique dialogue avec la journaliste scientifique incarnée par Geena Davis et lui déclare la chose suivante pour la persuader d’écrire un livre qui relate sa découverte :</div><div style="text-align: justify;"><br />
<div style="text-align: center;"><i>« Ce sera un livre sur l’invention qui a mis fin à tous les concepts sur les transports, les limites du temps et de l’espace ».</i></div></div><div style="text-align: justify;">C’est là où j’ai bisqué.<br />
En fait, cette idée renvoie au bon sens que nous avons tous et qui consiste à considérer que le problème du transport de biens ou de personnes est avant tout un problème de distance. Si la distance était abolie, au moyen d’un dispositif comme la téléportation, alors plus de problème de transport et un coût du transport nul ou quasi insignifiant.</div><div style="text-align: justify;">Cela sonnerait-il le glas d’une discipline qui m’est chère, l’économie des transports, réduite à figurer au panthéon de l’histoire de la pensée, dans les oubliettes poussiéreuses réservées aux idées qui n’ont plus aucun intérêt, à l’instar par exemple de la théorie de la valeur marxiste ou de l’écrasante majorité des ouvrages de Bernard Henry-Levy ?</div><div style="text-align: justify;"><br />
Précisément, rien n’est moins faux si on regarde la manière dont le problème du transport, notamment de personnes, est abordée dans la théorie économique moderne.</div><div style="text-align: justify;"><br />
Les choses peuvent être comprises de manière intuitive : le problème du transport n’est pas seulement un problème de distance consistant à aller d’un point A à un point B, c’est aussi un problème de capacité de l’infrastructure qui permet de véhiculer choses ou êtres. Ce problème de capacité n’est pas du tout vu par le film, qui a d’autres chats, ou plutôt mouches, à fouetter et là n’est pas son propos essentiel.<br />
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Toutefois, ceci est un point central. Tirons le fil lié à la découverte révolutionnaire de Brundle, l’inventeur malheureux de la téléportation incarné par Goldblum. Imaginons que son dispositif devienne parfaitement fiable, et se généralise au point de rendre obsolètes toutes les infrastructures de transport, terrestres, maritimes, aériennes, etc. Le système de Brundle implique l’accès d’une personne à un télépod localisé en A, le transfert de cette personne vers un autre télépod localisé en B. Le point crucial est qu’il n’est possible de téléporter qu’un objet ou être vivant à la fois, c’est d’ailleurs la source de la malédiction de notre génial inventeur, la procédure durant quelques secondes, et le temps de transport total n’étant pas lié à la distance entre A et B, puisqu’il s’agit précisément de téléportation.</div><div style="text-align: justify;"><br />
Il n’en reste pas moins que le système implique un goulot d’étranglement. Difficile d’envisager de construire autant de télépods (ceux-ci sont coûteux d’un simple point de vue économique) que de personnes souhaitant se déplacer, et, par conséquent, le système a une limite de capacité. Par exemple, cette limite pourrait être par exemple, de 60 déplacements par heure par télépod, en supposant le temps d’entrée et de sortie total égal à une minute.</div><div style="text-align: justify;"><br />
Or, qui dit limite de capacité dit congestion potentielle, i.e. la possibilité d’avoir des coûts de transport non liés à la distance qui croissent en fonction de la demande de déplacement à un moment donné et en fonction du stock des déplacements restant à écouler au moment où je me présente devant le télépod. En effet, la congestion est un phénomène dynamique, qui implique un mécanisme de file d’attente, et par conséquent le temps de transport au moment m (ou le coût si je suppose négligeables les coûts financiers du déplacement dans un premier temps) croît en raison du total des déplacements restant à écouler, produit de la demande de déplacements pour les moments m-1, m-2, etc, précédents ainsi que de la demande instantanée en m. Le problème va être précisément qu’il n’est possible de transférer qu’une personne par minute…<br />
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</div><div style="text-align: justify;">Cette manière de concevoir le problème des déplacements de personnes et la formation de la congestion de manière dynamique a été proposée par William Vickrey en 1969 et formalisée par Richard Arnott, André de Palma et Robin Lindsey à la fin des années 80 dans ce qu’on appelle désormais les modèles de goulot d’étranglement (« bottleneck models »). Il faut bien dire que ces modèles, qui s'inspirent de la physique et de la recherche opérationnelle, ont constitué une véritable révolution dans le domaine de l’économie urbaine et de l’économie des transports. <br />
Initialement, ces modèles cherchent à expliquer la formation de la congestion dans le cadre des déplacements quotidiens domicile travail en milieu urbain, en particulier les phénomènes de pointe du matin et du soir. Dans la configuration théorique la plus simple, tout le monde veut arriver au même endroit en même temps, on suppose des automobilistes homogènes, tous localisés au même endroit, et devant passer par le même itinéraire pour arriver par exemple dans le centre ville où sont localisés tous les emplois. Cet itinéraire a une certaine capacité d’écoulement par période de temps, par exemple 100 véhicules par minute. Les automobilistes doivent choisir simplement à quel moment partir de leur domicile sachant qu’ils doivent arriver à un moment précis, le même pour tous, et que leur coût de transport est constitué que du temps qu’ils passeront dans le goulot d’étranglement mais aussi du coût d’opportunité du temps lié au fait qu’ils peuvent arriver en avance ou en retard sur leur lieu de travail. Il y a donc un réel arbitrage à faire pour l’usager : soit je pars très tôt, je passe facilement le goulot car il n’y a pas grand monde, mais j’arrive en avance. Soit je pars très tard, au moment où il y a plus de monde, je subis le temps perdu dans le bouchon, et je risque en plus d’arriver en retard.</div><div style="text-align: justify;"><br />
La congestion se forme bien de manière dynamique : tant que la demande instantanée est inférieure ou égale à la capacité du goulot, le temps d’attente (ou de passage du goulot) est nul. Toutefois, dès que la demande instantanée devient supérieure à la capacité, la congestion commence à se former et les véhicules s’accumulent dans une file d’attente, et il devient de plus en plus long d’arriver à passer le goulot. Puis, le nombre des départs instantané baisse, et la congestion finit par se résorber. La règle à l’intérieur du goulot est bien sûr premier arrivé –premier servi.<br />
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Le graphique ci-dessous, tiré de l’excellent livre de Ken Small et Eric Verhoef sur l’économie des transports urbains, illustre le modèle et la formation de la congestion :</div><div style="text-align: justify;"><br />
</div><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhi14n3mxgMxJiJfWuR2fbArdceK5fK0hgUJTyy2sryJbr21IQ2t_ynLN8YUPBm0hRZraO6Ly-Dqzz8wgOD-MYGkpD3Gq3RQkCDKUEKhBwrGLRsYiWAwjyTcXwuhGnboF68ptE_P1riU8e8/s1600/verhoef.png" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="300" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhi14n3mxgMxJiJfWuR2fbArdceK5fK0hgUJTyy2sryJbr21IQ2t_ynLN8YUPBm0hRZraO6Ly-Dqzz8wgOD-MYGkpD3Gq3RQkCDKUEKhBwrGLRsYiWAwjyTcXwuhGnboF68ptE_P1riU8e8/s400/verhoef.png" width="400" /></a></div><div style="text-align: justify;"><br />
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</div><div style="text-align: center;">Source : Small and Verhoef (2007), <i>The Economics of Urban Transportation</i>, Routledge. </div><div style="text-align: justify;"><br />
Sur ce graphique, la valeur de N(t) représente l'écart entre la capacité cumulée au cours du temps (la droite en pointillés) et la demande cumulée à partir du moment où le nombre de départs devient supérieur à la capacité d'écoulement de la route (la courbe en traits pleins). La valeur horizontale T(t) correspond au temps passé dans le goulot pour un usager partant en t.</div><div style="text-align: justify;"></div><div style="text-align: justify;">Il est même possible de simplifier encore le modèle, en supposant qu’un véhicule qui accède au goulot passe immédiatement si la capacité en t reste supérieure au stock de demande à écouler en t, puisque ce n’est pas un élément important en fait.<br />
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Il y a quelques années (désolé, je vais encore parler de moi comme dans le dernier billet), j’ai réalisé avec quelques collègues une série d’études expérimentales sur ce modèle (une référence<a href="http://ideas.repec.org/a/tpe/jtecpo/v42y2008i1p43-82.html"> ici</a>), simplifié certes à outrance dans un cadre d’expérience de laboratoire, mais dont les résultats furent assez édifiants. Même avec un petit nombre de joueurs dans ce jeu de goulot d’étranglement, on observe la congestion de manière systématique, ce qui signifie que les participants n’arrivent pas à se coordonner suffisamment bien pour résoudre le problème de congestion, par exemple, le joueur 1 partant à l’heure 1, le joueur 2à l’heure 2, etc, ce qui minimiserait le coût total de transport, et l’efficacité serait de 100%. Dans nos expériences, le taux moyen d’efficacité tourne autour de 60%, ce qui est lié à la congestion. Par ailleurs les résultats observés en laboratoire sont assez proches des prédictions théoriques issues du modèle de goulot d’étranglement.</div><div style="text-align: justify;"><br />
Plus récemment, l’<i>American Economic Review</i> a publié une étude expérimentale de Daniel, Gishes et Rapoport en 2009 sur une version plus sophistiquée de ce modèle de goulot, basée sur l’idée de bottlenecks qui s’emboitent dans un grand bottleneck (pour parler simplement, deux petites routes qui se connectent sur une grande route). Les auteurs testent l’impact d’une augmentation de la capacité d’une petite route en amont, toutes choses égales par ailleurs, sur les coûts de transport. Ils observent en laboratoire une forme de paradoxe de Braess (phénomène dont j’avais parlé <a href="http://expeconomics.blogspot.com/2009/08/allez-un-dernier-billet-avant-les.html">ici</a> ), qui fait que l’augmentation de la capacité débouche de manière contre-intuitive sur une augmentation des coûts totaux des déplacements.<br />
Pour en revenir au film de Cronenberg, et pour faire le lien avec ce qui vient d’être dit, même avec la téléportation généralisée, il n’est pas sûr que l’augmentation de la capacité en télépods permette de résoudre définitivement le problème des coûts de déplacement si un phénomène du type Braess se produit (pour qu’il se produise, il suffit que l’augmentation de capacité ne soit pas trop forte). Comme quoi une innovation technologique, même révolutionnaire, ne sonne pas la fin de nos réflexions dans le domaine de l’économie des transports, et qu’au contraire, elle les stimule sans doute.<br />
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J’en suis arrivé à la conclusion que la projection du film la Mouche serait une magnifique introduction à un cours moderne d’économie des transports, en supposant toutefois que la plupart des étudiants n’aient pas rendu leur déjeuner ou leur goûter à l’issue de la projection - le film est assez gore par moments quand même - , faute de quoi, même avec du talent, il sera difficile de leur demander un effort intellectuel...</div>Laurent Denant-Boemonthttp://www.blogger.com/profile/08252381928844005264noreply@blogger.com6tag:blogger.com,1999:blog-6161986843091652284.post-30396979364776922082011-02-06T18:27:00.003+01:002011-02-06T22:07:42.428+01:00Faire le bien ou éviter de faire le mal ? Quelques enseignements des expériences en économie<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjO4UkL4iUGS9s3Ck0KTLC12WzxLpovd0VBV1k79z7aK5BMZxwVy-hurnw0kShpPxhax0Ovw1OuzEb2xn7bixaPj3y6KIWlplnEe4sBG7e4cuW2MzO6PrlAY_ZAaSsmqIdv8q83hHsDNZqg/s1600/jekyll-and-hyde-resized.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="270" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjO4UkL4iUGS9s3Ck0KTLC12WzxLpovd0VBV1k79z7aK5BMZxwVy-hurnw0kShpPxhax0Ovw1OuzEb2xn7bixaPj3y6KIWlplnEe4sBG7e4cuW2MzO6PrlAY_ZAaSsmqIdv8q83hHsDNZqg/s400/jekyll-and-hyde-resized.jpg" width="400" /></a></div><div style="text-align: justify;"></div><div style="text-align: justify;">Au hasard de mes pérégrinations intellectuelles assez ardues de ces derniers mois, je suis tombé sur un article de Messer et al 2007 sur l'importance des effets de contexte dans le comportement de contribution au bien public. Comme tu le sais certainement lecteur, les économistes désignent par bien public un bien qui possède deux caractéristiques, la première étant l'indivisibilité d'usage (je peux utiliser le bien sans que cette utilisation ne gêne ou ne limite l'utilisation par un autre individu) et la seconde étant l'impossibilité d'exclure des utilisateurs potentiels (je ne peux empêcher mon voisin de profiter de l'éclairage public même s'il n'y contribue en rien parce qu'il fraude fiscalement par exemple)...</div><div style="text-align: justify;"><i>[C'est une image, mes voisins sont des gens très bien au-dessus de tout soupçon. J’espère qu’aucun percepteur zélé ne lit ces lignes]</i></div><div style="text-align: justify;"><br />
Le problème avec les biens publics est la possibilité que les individus se comportent comme des passagers clandestins, c'est-à-dire qu'ils ne contribuent pas personnellement au bien public, la contribution étant généralement coûteuse et, du fait de ses caractéristiques d'impossibilité d'exclusion ,soiten tentés d'attendre un effort des autres sans le produire eux-même. Cette possibilité de free riding avait été évoquée par Knut Wicksell, un économiste autrichien, dès la fin du 19ème siècle.</div><div style="text-align: justify;"><br />
Les études expérimentales sur cette question ont été extrêmement nombreuses et tendent toutes à montrer que le comportement de passager clandestin n'est pas aussi fréquent que cela, et qu'une petite proportion des individus sont réellement des passagers clandestins. Le problème est que cette petite minorité est relativement "toxique" car les individus qui ne sont pas des passagers clandestins de manière intrinsèque vont avoir tendance, si la contribution au bien public est répétée dans le temps, à punir les passagers clandestins en réduisant eux-même leur effort ou contribution au bien public (Voir Falk, Fehr et Fischbacher en 2005, <i>Econometrica</i>, pour plus de détails sur ce résultat.)<br />
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Bon, ce résumé très rapide (cette question a été abordée à de multiples reprises dans ce blog) n'est là que pour mettre en scène le sujet que je veux aborder, à savoir l'importance de l'effet de contexte ou de présentation dans les phénomènes de contribution au bien public.</div><div style="text-align: justify;"><br />
L'effet de contexte, bien connu en économie expérimentale, a été mis en évidence par Kahneman et Tversky il y a bien longtemps (pour une description pédagogique , je te renvoie ici lecteur) : en quelques mots, il dit que les choix économiques sont sensibles à la manière dont les choix sont présentés. (dans le jargon des économistes, on dit qu'il y a un axiome (rarement explicitement posé d'ailleurs) d'invariance de description). Un nombre d'études considérables a mis en évidence cet effet dans le cas de choix individuels, mais peu l'ont fait dans le cas de choix impliquant ce que les économistes appellent un dilemme social, c'est à dire une situation dans laquelle la coopération entre individus serait souhaitable (tous contribuer au bien public) pour la communauté mais dans laquelle la rationalité va pousser les individus vers une issue d'équilibre moins bonne du point de vue de l'intérêt général.</div><div style="text-align: justify;">L'étude de Messer porte précisément sur ce problème. L'exemple donné est celui de la donation d'organes. Le don d'organes est typiquement un bien public. En effet, deux grands types de réglementations existent au niveau international. Dans le premier type, vous êtes supposés donneurs par défaut (si vous ne dites rien, on pourra utiliser votre corps pour des greffes ou autres) et dans le second type, vous êtes supposés non-donneur par défaut (il faut dire explicitement que vous souhaitez donner vos organes pour qu'ils puissent être utilisés pour des greffes).<br />
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Une étude de 2003 de Johnston et Goldstein parue dans la revue Science (« <i>do defaults save lives?</i> ») montre que les pays dans lesquels le statu quo pour la donation d’organes est le consentement (par défaut vous êtes donneur et vous devez indiquer à vos proches de manière explicite si vous refusez de donner vos organes) ont un taux de donation de 85.9% à 99.9%, tandis que pour les pays dans lesquels le statu quo consiste en un non consentement (la France jusqu’à une date récente), le taux de donation s’échelonnait entre 4.3% et 27.5%.</div><div style="text-align: justify;"><br />
D’autres exemples sont possibles : en ce qui concerne par exemple la qualité de notre environnement, au sens écologique, vaut-il mieux mettre en œuvre des incitations permettant de créer du bien public, via des actions positives de dépollution, ou des incitations permettant d’éviter le mal public issu de comportements pollueurs ? </div><div style="text-align: justify;"><br />
Dans le cadre des politiques de lutte contre l’effet de serre, la question se pose. Par exemple, dans un rapport du Centre d’Analyse Stratégique récent (consultable <a href="http://www.strategie.gouv.fr/IMG/pdf/NoteVeille165.pdf">ici</a>), à propos de la politique de lutte contre l’effet de serre, on peut lire qu’un des apports de l’accord de Copenhague, décrit généralement comme un échec, a été la mise en place de mécanismes (REDD+) qui visent à la fois à préserver la qualité de l’environnement mais également à mettre en œuvre des actions permettant d’en améliorer la qualité. En particulier, on peut lire ceci :</div><div style="text-align: justify;"><br />
<div style="text-align: center;"><i>« L’Accord inscrit explicitement la mise en place d’un mécanisme dit « REDD + » visant à lutter contre la déforestation et la dégradation mais également à favoriser les plantations, la gestion forestière et la conservation des stocks de carbone »</i></div></div><div style="text-align: justify;"><br />
Sous-entendu, il est bien de se soucier de préservation de l’environnement, mais sans doute faut-il faire en sorte que des actions plus volontaristes soient mises en œuvre.<br />
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La théorie économique est a priori neutre de ce point de vue : selon la théorie microéconomique, le contexte n’importe pas (voir ce qui a été dit précédemment) et l’efficacité des incitations dans un cas (création de biens publics) doit être la même que dans l’autre cas (limiter l’apparition de mal public).</div><div style="text-align: justify;"><br />
C’est précisement l’objet de l’article écrit en collaboration avec <a href="http://www.rennes.inra.fr/smart/media/pages_individuelles/douadia_bougherara">Douadia Bougherara</a>, de l’INRA, et <a href="http://perso.univ-rennes1.fr/david.masclet/">David Masclet</a>, bientôt publié dans une revue internationale, et dans lequel nous cherchons à mettre en évidence un éventuel effet de contexte dans le cas de biens publics. L’idée de départ est extrêmement simple : comparer un contexte de création de bien public à un contexte de préservation du bien public, ce dans le cadre d’une expérience d’assez grande envergure.</div><div style="text-align: justify;"><br />
Pour le contexte de préservation, supposons que toutes les ressources des individus soient d’ores et déjà placées dans un pot commun (le bien public) et que le maintien de ces ressources dans le pot commun a un coût d’opportunité privé pour chaque agent. En retirant une unité du pot commun, il renonce à ce qu’il retirait de cette unité du bien collectif, mais peut utiliser cette ressource pour une consommation privée. Bien évidemment, en faisant là, puisqu’il s’agit d’un bien public, il créée une externalité négative car il détruit aussi l’utilité retirée par les autres membres de son groupe par rapport à cette unité qui était placée dans le bien public.</div><div style="text-align: justify;"><br />
Pour le contexte de création, c’est plus simple. Chaque individu est doté d’une certaine quantité de ressources, et chacun d’entre eux doit simplement décider du montant qu’il investit dans le pot commun, ce montant investi ayant un coût d’opportunité privé (la consommation privée que l’agent ne pourra effectuer), mais génère une utilité issue de la consommation du bien public, ainsi qu’une externalité positive, puisque les autres membres du groupe profitent également des ressources mises dans le pot commun. C’est le fameux jeu de VCM (Voluntary Contribution Mechanism) utilisé la première fois par Isaac et Walker en 1988.</div><div style="text-align: justify;"><br />
Pour tout dire, il existait déjà un article de James Andreoni écrit sur le thème, en 1995 mettant en œuvre à peu près exactement le protocole expérimentale que je viens de décrire et comparant le contexte de création et le contexte de préservation. Il arrivait à un résultat toutefois surprenant : le niveau de coopération était plus élevé en moyenne dans le contexte de création du bien public que dans le contexte de préservation. Le montant investi dans le contexte où chaque sujet devait investir dans le pot commun inexistant au départ était plus important que le montant retiré du pot commun préexistant au départ. Comme le notait Andreoni, et autrement dit, les sujets préféraient faire le bien que d’éviter de faire le mal (il écrit exactement « i<i>t must be that people enjoy doing a good deed more than they enjoy not doing a bad deed</i> »).</div><div style="text-align: justify;"><br />
Dans l’article que nous avons écrit, nous avons testé la robustesse de ce résultat. Il faut dire qu’il nous semblait assez incroyable et nous avions quelques doutes sur sa solidité : comment les individus pouvaient-ils être plus disposés à détruire le bien public qu’à le créer ? Cela nous semblait plus naturel de penser que, une fois le bien public crée, une forme de biais de statu quo ou de biais de dotation serait mis en œuvre, et que les participants auraient plus de facilité à préserver le bien public qu’à le créer. En effet, c’est précisément ce que suggère le biais de statu quo mis en évidence par Thaler en 1980. Si on donne un bien quelconque aux individus, ceux-ci sont prêts à faire plus d’effort pour le conserver que si on leur demande de faire des efforts pour obtenir ce même bien.</div><div style="text-align: justify;"><br />
Pour corser un peu le problème, et donner un caractère de plus grande généralité à notre étude, nous avons envisagé des jeux de bien public un peu spéciaux, dits avec seuil. Dans le contexte de création de bien public, cela signifie que si le niveau des contributions est en dessous d’une certaine valeur, le bien public n’est pas créé. Dans notre expérience, nous avons défini différents niveaux de seuil, et si le seuil était atteint, le bien public était créé à hauteur de la somme des contributions atteinte par les individus. Si par contre le seuil n’était pas atteint, les contributions étaient perdues pour les sujets. Cela signifie que si, par exemple, le seuil défini pour créer le bien public est de 60 unités, et que sur les quatre participants du groupe, l’un a investi la totalité de sa dotation en ressources (20 unités) et que les trois autres ont investi ensemble moins de quarante unités, alors le premier obtient un gain égal à zéro.</div><div style="text-align: justify;"><br />
Dans le contexte de préservation, cela signifie que, au début de la période de jeu, la totalité des dotations des joueurs est placée dans le pot commun (soit 80 unités, puisque chacun des quatre joueurs dispose de 20 unités de droit de retrait), et ceux-ci peuvent exercer un droit de retrait d’au maximum vingt unités chacun. Chaque unité retirée par un joueur lui donne 1 point. Chaque unité restant dans le pot commun, pour peu que le seuil de préservation ne soit pas dépassé, donne 0.4 point à chaque participant, soit 1.6 point pour l’ensemble du groupe de 4 personnes. Par exemple, si le seuil pour lequel le bien public est préservé est de 60 unités, cela signifie que si, par exemple, deux participants sur le groupe de 4 décident de retirer chacun 20 unités et que les deux autres ne retirent rien du tout, le bien public est totalement détruit. Ceux qui ont retiré gagnent 20 points et ceux qui n’ont rien retiré gagnent zéro point.</div><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"></div><div style="text-align: justify;"><br />
L’intérêt d’introduire des seuils est double. D’abord, cela correspond plus à la réalité de la plupart des biens publics qui nous entourent, dans la mesure où la quantité de bien public créée par les efforts d’individus au sein d’une collectivité n’est sans doute pas de nature linéaire.Si la collectivité ne fait pas un montant minimum d’effort, le bien public n’est pas réalisé. Par ailleurs, cela modifie la nature des équilibres théoriques de contribution au bien public. Dans le jeu de contribution au bien public sans seuil, l’équilibre en stratégies dominantes est un équilibre de free riding, dans lequel les participants devraient contribuer zéro au bien (ou retirer la totalité de leurs droits). Dans les jeux de contribution au bien public avec seuil, on est en présence de jeux de coordination, dans lesquels les équilibres sont multiples : l’équilibre de free riding existe toujours, mais il existe également de nombreux équilibres de Nash dans lesquels la somme des contributions des joueurs est exactement égale au seuil de création défini (ou, dans le contexte de préservation, la somme des retraits à l’équilibre de Nash est égale au seuil de préservation). Quel équilibre sera au final sélectionné par les joueurs ?<br />
L’équilibre de free riding ou un des équilibres permettant au bien public d’exister ? L’intérêt de l’économie expérimentale est précisément d’établir des résultats qui permettent de faire une idée de la situation qui sera finalement sélectionnée concrètement par le groupe d’individus.</div><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEiNuPZrPvyREtCzF2TWs6reWypn7AKOsJdJnLACfMkvdzpuEAnc0U9aMV9o5eoieaxsS42jA2rz5Fbz3YDDXsJaDxVVU6yaoZZgVzBlNnsBsElAKKp7nX3XZvtL0VSKaSYKLiavRr7_o_bg/s1600/creatingvspreservating.png" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><br />
</a></div><div style="text-align: justify;">Dans l’expérience que nous avons menée, et qui a eu recours à un peu moins de 400 participants, nous avons mis en œuvre les deux contextes (création vs préservation du bien public) et ce pour quatre niveaux de seuil de bien public (zéro, 28, 60 et 80). Les résultats sont nombreux mais, pour l’essentiel, et à notre grande surprise il faut bien le dire, il s’avère que le résultat d’Andreoni est robuste : les niveaux de coopération sont plus élevés dans le cas d’une création de bien public que dans le cas de la préservation de celui-ci. Le graphique ci-dessous résume brièvement le principal résultat. Plus le niveau de seuil pour le bien public est élevé, plus le niveau de coopération au sein du groupe (la hauteur des barres matérialisant le total des contributions au sein de chaque groupe en moyenne) est élevé, et ceci est vrai dans les deux contextes (création en bleu et préservation en rouge), bien que pour le niveau de seuil maximal (80), les niveaux de coopération soient plus faibles que pour le niveau de seuil immédiatement inférieur. Toutefois, assez nettement, l’écart relatif entre les niveaux de coopération dans les deux contextes est d’autant plus fort que le seuil matérialisant la création ou le maintien du bien public est élevé.</div><div style="text-align: justify;"></div><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEiNuPZrPvyREtCzF2TWs6reWypn7AKOsJdJnLACfMkvdzpuEAnc0U9aMV9o5eoieaxsS42jA2rz5Fbz3YDDXsJaDxVVU6yaoZZgVzBlNnsBsElAKKp7nX3XZvtL0VSKaSYKLiavRr7_o_bg/s1600/creatingvspreservating.png" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="300" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEiNuPZrPvyREtCzF2TWs6reWypn7AKOsJdJnLACfMkvdzpuEAnc0U9aMV9o5eoieaxsS42jA2rz5Fbz3YDDXsJaDxVVU6yaoZZgVzBlNnsBsElAKKp7nX3XZvtL0VSKaSYKLiavRr7_o_bg/s400/creatingvspreservating.png" width="400" /></a></div><div style="text-align: justify;"></div><div style="text-align: justify;"></div><div style="text-align: justify;"><br />
<div style="text-align: center;">source : Bougherara, Denant-Boemont & Masclet, 2010.</div></div><div style="text-align: center;"></div><div style="text-align: justify;"><br />
Au-delà de ce résultat qui met en évidence la solidité des résultats expérimentaux concernant les comportements de contribution au bien public, un résultat intéressant et que je laisse à ta sagacité, lecteur, est le suivant. Il semble que, contrairement à ce que l’on observe pour les biens privés, il n’existe pas de de biais de statu quo pour les biens publics. Le fait que le bien public préexiste déjà ne garantit en rien que les individus vont avoir une tendance plus forte à le préserver que la tendance qu’ils ont à créer d’autres biens publics.<br />
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Etonnant, non ? </div>Laurent Denant-Boemonthttp://www.blogger.com/profile/08252381928844005264noreply@blogger.com6tag:blogger.com,1999:blog-6161986843091652284.post-43787579856233452432011-01-23T16:16:00.006+01:002011-02-06T16:35:59.664+01:00L'affaire PPDA : D'un plagiat à l'économie à l'économie du plagiat<div style="text-align: justify;"><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhhFtmFdW7O0uiu3wXItAaDf8tQd4CXv9GdbRZcxJb1vCnL37oY0Mmf_fp2P2fpHQ27P2zx7Rok5YhxF4HLa-GAo28HBqcWXp2KkxKIfLkFDhxg6Qi8CN8TZ9-tlfdGJyfBPlITxPjkqU7A/s1600/plagiarism.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="400" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhhFtmFdW7O0uiu3wXItAaDf8tQd4CXv9GdbRZcxJb1vCnL37oY0Mmf_fp2P2fpHQ27P2zx7Rok5YhxF4HLa-GAo28HBqcWXp2KkxKIfLkFDhxg6Qi8CN8TZ9-tlfdGJyfBPlITxPjkqU7A/s400/plagiarism.jpg" width="280" /></a></div><br />
Récemment, le grand écrivain, accessoirement journaliste (à moins que ce ne soit le contraire), Passe-moi-le-poivre-d’abord (Pardon, c’est le surnom que Desproges lui donnait et j'avoue préférer celui-ci à l'original) s’est trouvé empêtré dans une <a href="http://culture.france2.fr/livres/actu/bio-plagiee-d-hemingwayune-version-provisoire-66494537.html">ténébreuse affaire de plagiat </a>d’une œuvre existante lors de la réalisation de sa « propre » biographie d’Hemingway. En fait, on ne sait pas toujours bien aujourd’hui si c’est lui-même qui a plagié ou si c’est la personne chargée d’écrire à sa place la dite biographie- son nègre selon le terme consacré - qui est coupable de plagiat. Car, dans une sorte de mise en abîme amusante et affolante en même temps – comme l’écrivait Nietzsche, « quand tu regardes l’abime, l’abîme regarde aussi en toi » -la question est : le copieur a-t-il copié l’œuvre ou le copieur a-t-il copié le copieur de l’œuvre ?</div><div style="text-align: justify;"><br />
<i>[Lecteur, je sens que les maux de tête arrivent et que tu envisages déjà de zapper sur le <a href="http://regis.pcdebutant.com/">blog de Régis,</a> nettement moins prise de tête]</i></div><div style="text-align: justify;">Les enseignants, dont je suis, ont tous été confronté à ce problème de plagiat dès qu’il est demandé aux étudiants de fournir un travail écrit personnel à réaliser en dehors du cours. Dans le meilleur des cas, un dossier sur trois contient des preuves évidentes de plagiat, parfois un peu inconscient, qui consiste en la culture du « copier-coller » de morceaux de texte, parfois même non relus.</div><div style="text-align: justify;">[<i>Dans le genre grands classique de l’anthologie des cancres, un dossier qui écrit en 2010 « la politique de notre entreprise… » après avoir repompé un vague dossier de présentation d’une stratégie, ou « Au-delà de l’année 1995, les perspectives futures s’avèrent prometteuses… »</i>]<br />
<br />
Qu’est ce que le plagiat ? Je reprendrais la definition du Black’s Law Dictionary, comme “t<i>he act of appropriating the literary composition of another, or parts or passages of his writings, or the ideas or language of the same, and passing them off as the product of one's”own mind.</i>”<br />
<br />
Le plagiat n’est donc pas seulement un copier coller, mais aussi le fait de voler l’idée de quelqu’un et de se l’attribuer avec une générosité envers soi qui force le respect. Je ne parlerai que de la forme stricte du plagiat évoquée dans la première partie de cette citation, à savoir le « copier-coller » apparemment à l’œuvre dans l’affaire PPDA.</div><div style="text-align: justify;"><br />
<i>[Je pouffe d’ailleurs à propos de la défense de l’intéressé face à l’accusation, qui déclare le plus sérieusement du monde la chose suivante : « "Je me suis naturellement documenté auprès des nombreuses biographies existantes, au nombre desquelles celle de Griffin - la biographie copiée (NDLA) - me semble la meilleure sur le jeune Hemingway. Mais je n'allais pas lui réinventer une vie !" ». J’envisage d’ailleurs personnellement de me « documenter » fréquemment sur les blogs d’économie francophone parce que, bon hein !je ne vais pas réinventer l’analyse économique.]</i></div><div style="text-align: justify;"><br />
Le plagiat est un phénomène non pas récent mais apparemment en pleine explosion. Il ne concerne malheureusement pas que les étudiants, mais les journalistes et éventuellement les économistes universitaires. Cette enquête de <a href="http://www.cba.ua.edu/%7Ewenders/EHPlag_Version5pdf.pdf">Wooders and Hoover</a> en 2005 établit que sur la base de 1200 réponses d’enquêtés économistes académiques, environ 25% estiment avoir été plagiés au moins une fois . D’ailleurs, une proportion non négligeable de ces économistes académiques interrogés (35%) a tendance à définir le plagiat de manière assez stricte, consistant à copier une citation sans l’attribuer, l’utilisation d’idées des autres non citée n’étant pas strictement ou vraisemblablement du plagiat, s’opposant ainsi à la définition donnée un peu plus haut.<br />
<br />
Le plus troublant est que, pour d’autres populations, les résultats sont comparables, si l’on se fie à la rapide revue de littérature menée par exemple par Collins, Judge et Rickman en 2007 dans l’E<i>uropean Journal of Law and Economics</i> : environ un quart des étudiants anglais disent avoir plagié au moins une fois au cours de leurs études et 16% plus d’une fois. Cette proportion est encore plus forte en Amérique du Nord, où 38% des étudiants admettent avoir plagié.</div><div style="text-align: justify;"><br />
Cette attitude est d’autant plus curieuse de la part des étudiants que les sanctions en cas de découverte de plagiat ne sont pas légères, et que les enseignants détectent assez facilement (mais pas suffisamment souvent) le plagiat quand ils se donnent la peine de chercher. D’un point de vue social, le coût du plagiat des étudiants n’est sans doute pas négligeable, car il implique une potentielle remise en cause de la valeur marchande d’un diplômé (c’est-à-dire qu’in fine, le plagiat est une externalité négative subie par les étudiants eux-mêmes) d’une part, et d’autre part, il fait perdre beaucoup de temps à des enseignants-chercheurs soucieux de détecter la fraude, ce qui les détourne d’activités plus productives, comme la recherche et l’enseignement.</div><div style="text-align: justify;"><br />
Les travaux d’économie ou de psychologie comportementale qui portent sur le sujet sont relativement rares, si on reste sur le problème de plagiat et pas de fraude ou de triche de manière très générale.<br />
Toutefois, je donnerai juste un résultat sur les comportements de triche en général tels qu’ils sont observés en laboratoire, car c’est également une manière de réfléchir sur les raisons du comportement de plagiat et par conséquent sur les mécanismes qui permettraient de combattre cela. L’étude de <a href="http://www.sciencedirect.com/science?_ob=ArticleURL&_udi=B6V8H-4W1BV3G-1&_user=10&_coverDate=06%2F30%2F2010&_alid=1616772118&_rdoc=1&_fmt=high&_orig=search&_origin=search&_zone=rslt_list_item&_cdi=5871&_sort=r&_st=13&_docanchor=&view=c&_ct=1&_acct=C000050221&_version=1&_urlVersion=0&_userid=10&md5=dc90d48f072563ea6d277142b87ff275&searchtype=a">Schwieren et Weichselbaumer</a> parue en 2010 dans le <i>Journal of Economic Psychology</i> montre notamment que plus l’environnement économique de sujets expérimentaux est concurrentiels, plus ceux-ci tendent à plus tricher de manière générale. D’après leurs résultats, les femmes seraient plus touchées par cette réaction à la pression concurrentielle que les hommes.</div><div style="text-align: justify;"><br />
Une étude assez amusante de Dan Ariely et (voir ce <a href="http://danariely.com/2010/09/15/new-school-year-plagiarism-and-essay-mills/">lien</a>) porte précisément sur l’utilisation de plagiat « industriel » par les étudiants, à travers la commande que ceux-ci peuvent passer auprès de sites spécialisés concernant des essais ou dissertations sur différentes thématiques moyennant finances. <br />
L’issue de l’histoire renvoie je trouve de manière troublante à la mésaventure de PPDA. Ariely et sa collègue Aline Grüneisen passent commande de rédactions d’essais auprès de quatre différents sites sur le thème de la triche (humour typiquement à la Ariely !). Ils compilent les études et les évaluent, et trouvent essentiellement que ces rédactions payantes sont un fatras d’inepties sans queue ni tête, sans guère de valeur au final d'un point de vue académique, ce qui les rassure sur la capacité des étudiants recourant à ce stratagème de tromper leurs enseignants. Toutefois, l’histoire ne s’arrête pas là et la chute est encore plus intéressante: lls soumettent ensuite ces quatre rédactions à un site spécialisé dans la détection de plagiat. Le résultat est édifiant : sur deux de ces rédactions, 35 à 40% du contenu est directement plagié !</div><div style="text-align: justify;"><br />
[<i>De là à penser, lecteur, que PPDA a commandé son prochain ouvrage concernant la vie d’Hemingway sur le site OTURBIN.COM, il n’y qu’un pas que je ne me permettrai jamais de faire…]</i></div><div style="text-align: justify;"><br />
Que faire alors face à ce comportement . Une étude toute récente par <a href="http://www.swarthmore.edu/Documents/academics/economics/Dee/w15672.pdf">Dee et Jacob parue comme document de travail du NBER en 2010</a> utilise la méthode de l’expérience de terrain (« field experiment ») pour évaluer l’impact de différentes politiques sur le comportement de plagiat. Les expérimentateurs placent de manière aléatoire la moitié d’un pool de 1200 étudiants ayant à réaliser un travail écrit dans un groupe où ils doivent utiliser préalablement (ie avant de rédiger) à un tutoriel en ligne qui permet d’auto-évaluer son propre comportement et sa perception du plagiat (si cela t’intéresses lecteur, va voir <a href="http://www.blogger.com/goog_1421470668"></a><a href="http://abacus.bates.edu/cbb/">là</a> ), ce de manière à sensibiliser les étudiants à ce problème. Les autres étudiants n’ont pas de formation particulière et représentent donc le groupe de contrôle. <br />
Les auteurs observent notamment que le groupe d’étudiants qui a du avoir recours à ce tutoriel plagie significativement moins que les autres (plus exactement la probabilité de recourir au plagiat est d’autant plus faible que leur score au test de compréhension du tutoriel sur le plagiat est élevé), et que cet effet n’est pas à attribuer à une meilleure prise de conscience des risques issus du plagiat, mais plutôt à la connaissance accrue de ce en quoi consiste vraiment le plagiat pour ces étudiants. </div><div style="text-align: justify;"><br />
Pour clore ce petit tour d’horizon un brin anecdotique, une dernière étude de <a href="http://pss.sagepub.com/content/early/2010/03/19/0956797610366545.abstract">Ariely et Norton parue en 2010 dans <i>Psychological Science</i></a> montre que le fait de consommer des articles contrefaits (ie des copies de biens de consommation, porter de fausses Rayban dans leur expérience) est en général le fait d’individus qui sont eux-mêmes enclins à tricher personnellement. Par ailleurs, le fait de porter des articles contrefait incite les autres (ceux qui ne portent pas forcément d’articles contrefaits) à tricher plus fréquemment.</div><div style="text-align: justify;"><br />
Bon, si un lecteur connait personnellement PPDA, toute la question est maintenant de savoir s’il porte des Rayban contrefaites, des polos Lacoste made in Syldavia ou des pulls Armor Lux made in Borduria…</div>Laurent Denant-Boemonthttp://www.blogger.com/profile/08252381928844005264noreply@blogger.com4tag:blogger.com,1999:blog-6161986843091652284.post-63185013978604537052011-01-08T13:52:00.001+01:002011-01-09T13:08:59.166+01:00Fin de la prime à la casse et comportements d'escalade<div style="text-align: justify;"><br />
</div><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgEm-9B4WEVEyLjDYYjvPKK8vxVfp-r4DNouNVe1elFbXMl5HVR4JoBM0lEk_PA3I5OxaYth7wWqTazfuIGQYoLcNwdB4BFWem-ma1oQ-2p6n3urOG_DT4zw3WrvIh1G1AK8qKuZ_mjCXsi/s1600/course-au-jouet-03-g.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="313" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgEm-9B4WEVEyLjDYYjvPKK8vxVfp-r4DNouNVe1elFbXMl5HVR4JoBM0lEk_PA3I5OxaYth7wWqTazfuIGQYoLcNwdB4BFWem-ma1oQ-2p6n3urOG_DT4zw3WrvIh1G1AK8qKuZ_mjCXsi/s400/course-au-jouet-03-g.jpg" width="400" /></a></div><div style="text-align: justify;"><br />
</div><div style="text-align: justify;"><br />
</div><div style="text-align: justify;">Pendant les vacances de Noël, étant amené à me déplacer sur nos belles routes de France pour profiter des diverses agapes habituelles en cette période (on parle de la trêve des confiseurs, mais pour les dits confiseurs, c’est loin d’être un période de paix je pense), j’ai constaté de visu à quel point le parc automobile français s’était renouvelé. En effet, chance sans doute assez rare, la période de la prime à la casse mise en place par le gouvernement français a coïncidé avec un changement du système d’immatriculation des véhicules particuliers, d’abord en priorité appliqué aux véhicules neufs. Cela permet ainsi de voir facilement l’explosion du nombre de véhicules neufs dans le parc, les nouvelles plaques se substituant à grande vitesse aux anciennes</div><div style="text-align: justify;"><br />
</div><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"></div><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEin1G7DH-rRxkYxpVd-nrq9dm1JUcH6SfwsbLJB2NlYNJDQTGsdN6Q70ohRl7wDifBh5eNjr14s9CYiHrcwptfSZ8xSTLOLUwhMhwYfaAZjt_w5EuClgnyaPQW1R3PMzbbxXCZjlaHh-DvR/s1600/wilcox.png" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"></a></div><div style="text-align: justify;">En France, la fin de la prime à la casse a provoqué la ruée chez les concessionnaires. Apparemment, les concessionnaires automobiles ont été totalement envahis de clients désireux d’acheter un véhicule neuf moyennant la reprise de leur vieux tacot, ce avant la date fatidique du 31 décembre. Les concessionnaires, nous dit le journal <a href="http://www.lemonde.fr/economie/reactions/2011/01/03/la-fin-de-la-prime-a-la-casse-fait-exploser-les-commandes-en-decembre_1460227_3234.html">Le Monde</a>, ont enregistré une hausse des commandes de 30% par rapport à la même période de 2009, un volume total de 370 000 véhicules ayant été commandé. Cela n’est pas sans évoquer cet assez médiocre film interprété par Arnold "Gobernator" Schwarzenegger il y a quelques années, « la course au jouet » dans lequel deux pères pas très prévoyants, voire un peu indignes, et qui ont promis à leur fils respectif le même jouet en vogue, s’affrontent pour obtenir le jour du 24 décembre l’un des derniers exemplaires disponibles en vente.<br />
Soi dit en passant, je vois mal l’effet positif de cette prime sur le prix payé par le client pour un véhicule à partir du moment où cet effet de deadline provoque une augmentation apparemment très forte de la demande, ce qui met les vendeurs en position de force. Par ailleurs, la conséquence simple de cela est sans doute une chute de la demande après le 1er janvier, ce à quoi les concessionnaires s’attendent. J’espère qu’un économiste sérieux aura l’idée d’étudier cela de près, mais mon intuition serait de dire que ceux qui ont attendu pour acheter leur véhicule seront dans une position intéressante d’ici février mars 2011 pour négocier des ristournes auprès des vendeurs après quelques semaines de concessions désertées par les clients repus dans leurs besoins automobilistiques primaires. La suite du billet montrera que cette intuition n'est pas complètement à côté de la plaque.</div><div style="text-align: justify;"><br />
En Espagne, la fin de la prime à la naissance de 2500 euros au 1er janvier 2011, mise en place en 2007 par le gouvernement Zapatero, a provoqué une <a href="http://www.ladepeche.fr/article/2010/12/29/979244-Prime-de-naissance-la-course-a-l-accouchement-en-Espagne.html">course semblable</a>, mais cette fois à l’accouchement les parents pressant le personnel médical de les aider à provoquer l’accouchement. Les cliniques et hôpitaux furent engorgés comme jamais en cette période de Noël, tout comme les concessionnaires automobiles français évoqués précédemment.<br />
L’économiste a-t-il quelque chose à dire sur ces comportements de course provoqués par des dates limites irrévocables ? D’un point de vue général, je ne sais pas, mais du point de vue de l’économie comportementale certainement.</div><div style="text-align: justify;"><br />
</div><div style="text-align: justify;">[<i>Tout au plus, lecteur, puis-je dire d’un point de vue général, pour faire un peu de provocation en ce début d’année, que cela m’amuse toujours de voir combien les gens sont plus rationnels d’un point de vue économique que bien des économistes académiques veulent bien le reconnaître. Je me souviens des critiques définitives de l’approche de Becker sur l’analyse économique de comportements qui n’ont rien, non vraiment rien d’économique, comme le mariage, la toxicomanie, la criminalité… et la natalité. Donc, Gary, respect !</i>]<br />
</div><div style="text-align: justify;">En ce qui concerne l’économie expérimentale, ce genre de problèmes a été étudié dans le contexte des enchères, ce qui se comprend très bien, dans la mesure où des enchérisseurs en compétition pour le même bien peuvent être prêts à surenchérir pour l’emporter, la date limite de fin des enchères s’approchant, s’exposant ainsi au risque bien connu de malédiction du vainqueur (Je n’en parlerai pas plus longuement ici, si ce problème t’intéresses, lecteur, je te renvoie à <a href="http://expeconomics.blogspot.com/2009/03/la-malediction-du-vainqueur-une.html">ce billet</a> et à celui des amis de <a href="http://www.mafeco.fr/?q=node/100">Mafeco</a>). <br />
Celui qui, de temps en temps comme moi, enchérit sur E-Bay et qui a été conduit à proposer un prix dépassant son seuil initial à la vue de l’horloge déroulant impitoyablement le temps restant, me comprend très bien.<br />
Bien évidemment, un lecteur sceptique objectera que le problème est assez différent, puisque, pour les véhicules, le prix est fixé à l’avance et que la concurrence entre acheteurs n’est pas régulée par un système de prix, comme dans les enchères, mais par un système de file d’attente. Toutefois, je rétorque à cette objection que je me fais à moi-même que l’importance de la ristourne potentielle, donc du prix final du véhicule, dépend de la disposition à payer de l’acheteur, qui me semble accrue par cette prime à la casse.<br />
</div><div style="text-align: justify;">L’impact des règles de temps limite sur le comportement des enchérisseurs le net a été en particulier étudié dans une série d’articles par Alvin Roth & Axel Ockenfels (2002, 2006) et (Dan) Ariely, Roth and Ockenfels en 2005. Ces papiers sont à la fois théoriques et empiriques, l’évidence empirique étant fondée sur soit des expérimentations en laboratoire, soit sur des données issues d’enchères sur Internet (EBay et Amazon).<br />
Ils cherchent notamment à étudier le comportement des enchérisseurs dans une enchère de second prix (c’est-à-dire où l’acheteur qui gagne est celui qui a proposé le prix le plus élevé mais paye finalement le prix immédiatement inférieur proposé par le premier acheteur perdant, dite également enchère de Vickrey), et ce en modifiant les règles de fin des enchères.<br />
Dans une première institution d’enchères, similaire à E-Bay, l’enchère se termine à une date ferme spécifiée à l’avance –usuellement à l’issue d’une semaine -et connue de tous. Les enchérisseurs proposent séquentiellement leur prix maximum, celui-ci n’étant pas connu des autres enchérisseurs mais contribuant à augmenter le prix d’un incrément, par exemple de 1 dollar, si le prix maximum proposé est supérieur au meilleur prix proposé jusque là. Un exemple, repris de Wilcox, 2000, dans un article publié dans Marketing Letters, peut être plus parlant. Dans cet exemple, le premier enchérisseur propose un prix de 20$, sachant que le vendeur a exigé un prix de réserve de 10$, le second enchérisseur propose 15$, le troisième 30$, etc :</div><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEin1G7DH-rRxkYxpVd-nrq9dm1JUcH6SfwsbLJB2NlYNJDQTGsdN6Q70ohRl7wDifBh5eNjr14s9CYiHrcwptfSZ8xSTLOLUwhMhwYfaAZjt_w5EuClgnyaPQW1R3PMzbbxXCZjlaHh-DvR/s1600/wilcox.png" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="300" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEin1G7DH-rRxkYxpVd-nrq9dm1JUcH6SfwsbLJB2NlYNJDQTGsdN6Q70ohRl7wDifBh5eNjr14s9CYiHrcwptfSZ8xSTLOLUwhMhwYfaAZjt_w5EuClgnyaPQW1R3PMzbbxXCZjlaHh-DvR/s400/wilcox.png" width="400" /></a></div><div style="text-align: center;">source : Wilcox, 2000</div><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEj1suWhrEV1wQcMzJw032oKwVhyphenhyphenDyG6Z-6Tttz_ThYySA11xZWdUBDr_uK8YilHRtOgB_rHkD9c-eLQUibkuFtvDHqhLwlmTtFrDANq3QORa9oyaexmanMN0pC3lhqC3h8bjuwHW_Q73TzN/s1600/ariely+roth.png" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"></a></div><div style="text-align: justify;"><br />
</div><div style="text-align: justify;">Dans l’exemple ci-dessus, l’enchérisseur n°3 remporte l’enchère et paye 26$ à l’issue de la fin réglementaire du processus d’enchère.<br />
Or, il se trouve que le système d’enchères à la e-Bay provoque énormément d’enchères de dernière minute. D’un point de vue factuel, on observe que 80% des enchères faites sur E-Bay sont faites durant la dernière heure précédant la fin réglementaire de l’enchère. Ces comportements d’enchère à la dernière minute, bien connus, sont qualifiés de « sniping ». Le risque de ce comportement est que, si on enchérit à la dernière minute, il y a une probabilité faible mais significative que l’offre ne puisse pas être prise en compte par E-Bay, ce qui est la conséquence de la congestion des offres que le système n’arrive pas à traiter si elles sont trop nombreuses.<br />
Par ailleurs, d’autres règles de fin des enchères peuvent être imaginées, comme dans le système Amazon. Dans ce système, la date limite fixée à l’avance est étendue automatiquement, sauf si pendant les dix dernières minutes précédant la date limite, aucune offre d’achat n’a été faite. On comprend intuitivement que ce système dissuade les acheteurs de proposer des offres à la dernière minute.<br />
D’un point de vue empirique, cette intuition est confirmée. Le graphique ci-dessous montre la distribution cumulée des offres d’enchères sur l’heure qui précède la date limite, ce pour Amazon et eBay :</div><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEiqaFbdSOWjWnajFdpC19EmGxV55vEvj9R3HCAgbYej3ILRbQ_rJJfCLi2P3EV1H386IVhYF_Mj6hwOVBu2zLW-VVUcPTkdjUKDju0y_NlMF8JgxXPn_nAEjAfhex81ZHn5qX_RFQhcapbO/s1600/rothockenfelsAER.png" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="300" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEiqaFbdSOWjWnajFdpC19EmGxV55vEvj9R3HCAgbYej3ILRbQ_rJJfCLi2P3EV1H386IVhYF_Mj6hwOVBu2zLW-VVUcPTkdjUKDju0y_NlMF8JgxXPn_nAEjAfhex81ZHn5qX_RFQhcapbO/s400/rothockenfelsAER.png" width="400" /></a></div><div style="text-align: justify;"><br />
</div><div style="text-align: center;">Source : Ockenfels and Roth, 2002, American Economic Review</div><div style="text-align: justify;"><br />
Les courbes qui sont les plus uniformes sont celle relatives à Amazon, alors que l’on constate que pour eBay, plus de la moitié des offres de la dernière heure sont faites dans les 15 dernières minutes.<br />
Cette étude empirique est complétée par une série d’expériences en laboratoire, dans lesquelles les auteurs comparent quatre designs d’enchères. Les expériences d’enchères ont un principe de base assez simple. Typiquement, les sujets se voient attribuer une valeur aléatoire comprise entre une borne minimale et maximale, cette valeur leur étant propre et représentant en fait leur disposition à payer. Le sujet va donc gagner soit zéro s’il perd l’enchère soit la différence entre cette valeur et le prix final s’il est le gagnant de l’enchère. C’est exactement de cette manière que les expériences de Ariely, Roth et Ockenfels sont organisées.<br />
Dans leur expériences, il y a quatre traitements qu’il va s’agir de comparer. Le design étant assez complexe, je laisse les lecteurs intéressés aller lire le papier tel qu’il fut publié dans le Rand Journal of Economics. Le premier traitement, qui un traitement benchmark, est une enchère scellée simultanée au second prix (tous les enchérisseurs font leur offre en même temps, leur offre n’est pas connue des autres et le gagnant est celui qui a fait la plus forte proposition, payant le second prix le plus élevé). Le second correspond au système d’Amazon, un temps d’enchère est donné aux sujets, et l’enchère ne s’arrête que dans le cas où plus personne ne fait de proposition pendant 10 minutes. C’est également une enchère au second prix. Le troisième et le quatrième correspondent au système eBay, avec une date limite connue de tous et irrévocable, eBay étant équivalent également à une enchère de second prix. Le troisième traitement considère simplement le fait que, si l’offre est faite à la dernière minute, il y a seulement 80% de chances qu’elle soit considérée, alors que dans le quatrième traitement, il ya 100% de chances qu’elle soit effectivement transmise (il n’y a donc aucune défaillance du type de celle considérée plus haut). Les résultats sont très riches, mais par rapport à ma question initiale relative à la fin de la prime à la casse, je vais mettre un accent particulier sur le revenu final des gagnants de l’enchère, c’est-à-dire la différence entre la valeur initiale privée pour chaque sujet et le prix qu’il a effectivement payé.</div><div style="text-align: justify;"></div><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEj1suWhrEV1wQcMzJw032oKwVhyphenhyphenDyG6Z-6Tttz_ThYySA11xZWdUBDr_uK8YilHRtOgB_rHkD9c-eLQUibkuFtvDHqhLwlmTtFrDANq3QORa9oyaexmanMN0pC3lhqC3h8bjuwHW_Q73TzN/s1600/ariely+roth.png" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="300" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEj1suWhrEV1wQcMzJw032oKwVhyphenhyphenDyG6Z-6Tttz_ThYySA11xZWdUBDr_uK8YilHRtOgB_rHkD9c-eLQUibkuFtvDHqhLwlmTtFrDANq3QORa9oyaexmanMN0pC3lhqC3h8bjuwHW_Q73TzN/s400/ariely+roth.png" width="400" /></a></div><div style="text-align: center;">source : Ariely, Ockenfels and Roth, 2005</div><br />
<div style="text-align: justify;"></div><div style="text-align: justify;">Il est assez clair que le revenu médian obtenu par l’acheteur gagnant est plus important dans le traitement amazon que dans les traitements eBay, eux-mêmes étant meilleurs du point de vue de l’acheteur qu’en enchère classique au second prix scellée. En clair, d’un point de vue empirique, on constate que le fait d’instaurer une date limite irrévocable profite essentiellement au vendeur. </div><div style="text-align: justify;"><br />
Moralité : méfiez-vous des dates limites qui vous incitent à vous précipiter dans l’acte d’achat, car bien souvent, il y a plus à perdre qu’à gagner !</div><div style="text-align: justify;"><br />
</div><div style="text-align: justify;">Sur ce, je te souhaite, cher lecteur, une excellente année 2011 en espérant continuer à te voir sur ce blog qui vient de célébrer ses deux ans d'existence à la fin de l'année dernière ! En tout cas, merci de ta fidélité.</div>Laurent Denant-Boemonthttp://www.blogger.com/profile/08252381928844005264noreply@blogger.com4tag:blogger.com,1999:blog-6161986843091652284.post-32162769346910074462010-12-19T15:25:00.008+01:002010-12-20T13:53:59.385+01:00Leadership et coopération : une expérience naturelle<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjhgrb6yhrsYhczFMsWbvVEYr9l1uGntNa25Aa72YTfxkPyM_JZQVyuejgxAzvXUCf9kyfviikwnrBGI7w7Amywc2fygfUnSlhH1WHDGeJZ-Lr37uipoUrOFiW93wt1URxdulvO4nf9cemb/s1600/theparty07.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="186" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjhgrb6yhrsYhczFMsWbvVEYr9l1uGntNa25Aa72YTfxkPyM_JZQVyuejgxAzvXUCf9kyfviikwnrBGI7w7Amywc2fygfUnSlhH1WHDGeJZ-Lr37uipoUrOFiW93wt1URxdulvO4nf9cemb/s400/theparty07.jpg" width="400" /></a></div><div style="text-align: justify;"></div><div style="text-align: center;"> NB : Peter Sellers essayant de donner l'exemple de la bonne humeur dans The Party, de Blake Edwards</div><div style="text-align: justify;"></div><div style="text-align: justify;"><br />
Les frimas de décembre apportent en général deux calamités, en particulier pour l’universitaire que je suis, les intempéries (neige, verglas et autres réjouissances climatiques) et les surveillances d’examen.<br />
Peut être ne devrai-je pas détruire les illusions de nos chères têtes blondes, brunes et autres couleurs de cheveux affichées par nos étudiant(e)s, mais, non, je ne vais pas faire mes surveillances d’examen d’un pas léger et serein, heureux d’accomplir mon devoir d’enseignant et dormant d’un sommeil sans tourments au sortir d’épreuves dont je sais qu’elles se sont passées en toute quiétude, ce afin que mes étudiants aient le maximum de chances de s’en sortir avec brio et puissent passer des vacances de Noël l’esprit tranquille.</div><div style="text-align: justify;"><br />
<i>[si la phrase ci-dessus te semble incompréhensible, lecteur, utilises la hache dont tu t’es certainement nanti pour massacrer un ou deux sapins de Noël afin de la couper, s’il te plait, là où bon te semblera. Par avance, merci]</i></div><div style="text-align: justify;"><br />
Donc, en milieu de semaine dernière, je me rendis comme d’habitude à cette période à une surveillance d’examen. J’arrive alors à ma surveillance, en retard pour des raisons qu’il est inutile d’expliquer ici, et je constate que nous sommes deux surveillants pour une centaine d’étudiants, ce qui est conforme grosso modo à la norme. L’autre personne n’était pas enseignant-chercheur (en tout cas en activité, les universités utilisant parfois des extra retraités par nécessité, le nombre d’enseignants ne pouvant assurer leurs surveillances réglementaires n’étant pas négligeable), et était rémunérée pour cela. En ce qui me concerne, les surveillances font partie de mes obligations de service, et, comme nombre d’universitaires en France, ne sont pas rémunérées.<br />
<br />
J’ai alors commencé à accomplir les tâches habituelles du début d’épreuve en ce genre de circonstances : contrôle des cartes étudiants, pointage des présents et vérification de l’effectif total dans chaque épreuve. Puis vint la période la plus difficile, celle de la surveillance « pure », dans laquelle le surveillant parcourt la salle d’examen, ou ne la parcourt pas, ou la parcourt de temps en temps (biffez les mentions inutiles selon votre expérience personnelle). En ce qui me concerne, j’ai quand même tendance à me déplacer fréquemment, mais pas en permanence et surtout, guidé par un souci d’équité, je fais en sorte de surveiller « sérieusement » pour limiter les risques de fraude.<br />
<br />
L’autre surveillant était à ce moment là assis au fond de la salle et moi placé de l’autre côté de la salle. Je dépose les quelques pièces administratives obligatoires à remplir, puis me munit du paquet habituel de feuilles de brouilllons et autres copies et intercalaires d’examen que vont me demander, selon toute probabilité, les étudiants en train de composer. Puis, je me mets à parcourir la salle d’un pas décidé.<br />
A ce moment là, le surveillant qui m’accompagne se lève, puis commence également à parcourir (mais avec un pas moins décidé que moi me semble-t-il) la salle d’examen.<br />
A l’issue d’un ou deux tours de salle, je m’installe sur la chaire et m’assied. Je constate que mon collègue revient alors au fond de la salle et s’assied également.<br />
Quelques instants passent, le temps de connecter mon ordinateur pour accéder à mes mails, puis, je saisis à nouveau mon paquet de copies, et me lève dans l’idée de faire à nouveau un parcours de l’amphithéâtre. Dix secondes plus tard, mon compagnon d’infortune se lève et fait à son tour un parcours alors que je continue le mien. Puis, une fois mon parcours accompli et quelques étudiants ayant satisfait leur besoin irrépressible de papier blanc et autre copie, je m’assieds à nouveau dans la chaire. Mon collègue s’assoit alors également. Ayant remarqué ce petit manège, j’attends quelques instants pour être sûr qu’il ne s’agit pas d’une simple coïncidence, qu’il ne s’est pas simplement levé en même temps que moi avec quelques secondes d’intervalle, le hasard ayant fait que nous ayons calqué l’un sur l’autre notre cycle de surveillances. Je décide d’attendre un peu plus longtemps en position assise. Il reste coi, concentré dans la lecture de je ne sais quel magazine. Je le fixe alors et me lève à nouveau d’un air décidé. Cinq secondes plus tard, il se lève aussi et fait le même parcours que précédemment. Puis, encore une fois, je m’assieds et il s’assied également. Ce petit jeu s’est répété comme cela à au moins cinq reprises, avant que je ne sois pris par d’autres occupations relatives toujours à cette même surveillance.<br />
<br />
A l’issue de l’épreuve, amusé par l’expérience que je venais de vivre (il n’en faut pas beaucoup pour agrémenter cet exercice ennuyeux, comme tu le constates lecteur), j’ai essayé d’en discerner les fondements comportementaux, le résultat de ce petit jeu m’ayant semblé particulièrement net.<br />
<br />
Comment décrire la situation ? Une surveillance d’examen est d’autant plus efficace (pour minimiser la fraude) et équitable que le niveau d’effort et de coopération des surveillants est important. Plus les surveillants parcourent la salle d’examen, plus les étudiants peuvent être concentrés sur leur travail et à même d’obtenir une copie ou autre quand ils en ont besoin. En fait, la situation est celle encore une fois du bien public. Chaque surveillant qui exerce un effort coûteux de surveillance en fait profiter les étudiants et l’ensemble des surveillants présents dans la salle, alors qu’il préférerait lire soit Ouest France soit Matthew Rabin, soit ses blogs d’économie préférés.<br />
<br />
Dans cette situation, on retrouve les comportements habituels d’une situation de contribution au bien public : il y a des contributeurs inconditionnels, ceux qui vont parcourir la salle dans tous les sens pour dissuader la fraude ou subvenir efficacement aux demandes des étudiants. Il y a aussi les passagers clandestins, qui vont en faire le moins possible en s’asseyant pour lire leur journal et/ou manger leur sandwich pendant que les autres font le boulot, et lui, vous ne le ferez pas bouger d’un iota. Il y aussi ceux qui discutent et qui se regroupent entre free riders « qui se ressemble s’assemble » dit le proverbe).<br />
Puis il y a les contributeurs conditionnels, ceux qui attendent de voir ce que vous allez faire pour se décider.<br />
En ce qui me concerne, selon mon humeur et mon niveau d’occupation, je suis contributeur inconditionnel ou conditionnel. Mais si l’autre décide de ne rien faire ou de faire très peu, j’estime qu’il ne m’est pas possible de faire pareil, où l’épreuve va tourner à la foire et à ce moment là, j’exerce un niveau d’effort important pour compenser le free riding de l’autre. Par ailleurs, si l’autre est très présent, je me relâche un peu jusqu’à ce que je constate qu’il se relâche (parfois, très rarement, cela n’arrive jamais) et à ce moment là, je prends alors le relais.<br />
<br />
Dans ces circonstances, le rôle d’un « leader », c’est-à-dire d’une personne qui choisit son action afin de montrer ce qu’il pense qu’il est bon de faire peut être déterminant, comme je n’en ai eu une sorte de preuve lors de la surveillance évoquée ci-dessus. <br />
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Car enfin, pourquoi ce comportement de la part de ce surveillant ? Pensais-t-il que, comme j’étais enseignant-chercheur et lui simple surveillant, j’avais une sorte de contrôle ex post sur lui, le risque étant que je signale un effort insuffisant de surveillance ? Je ne sais pas trop et comme ce qui se passait était trop beau pour être vrai (c’était une sorte d’expérimentation naturelle), j’ai essayé de me souvenir ce que disait la littérature expérimentale sur le thème du leadership. Plus exactement, un leader est au départ simplement quelqu’un dont nous observons le comportement, cette observation nous aidant à former notre décision. </div><div style="text-align: justify;"><br />
Imaginons par exemple un dilemme du prisonnier séquentiel, un joueur jouant en premier et l ’autre en second. Le second observe donc l'action du premier, et on dira qu'il est le le follower, le premier joueur étant le leader.<br />
Si le premier joueur coopère, le second joueur peut décider d’être strictement rationnel et de faire défection, ce qui lui rapporte le gain maximum. Par ailleurs, il peut aussi décider de coopérer et obtenir le gain Pareto-optimal. Mais l’argument de backward induction plaide pour montrer que l’équilibre du jeu est la défection successive des joueurs, comme dans la forme extensive du jeu donnée ci-dessous : </div><div style="text-align: justify;"></div><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgxg_hTc7_ieKNyEQzXvow4QAOsq0KWhj7dp6ghgWRI9yZlZOySIO7LSFUD5wDdTAl9mxtipKD_alW2yqYYEAzVG5FUAEx5XuvjipIDQntirZ2HAvd8zmikVtF5SmZp-GW6U3ySvs1L7dYN/s1600/sequentialprisoner.png" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="260" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgxg_hTc7_ieKNyEQzXvow4QAOsq0KWhj7dp6ghgWRI9yZlZOySIO7LSFUD5wDdTAl9mxtipKD_alW2yqYYEAzVG5FUAEx5XuvjipIDQntirZ2HAvd8zmikVtF5SmZp-GW6U3ySvs1L7dYN/s400/sequentialprisoner.png" width="400" /></a></div><div style="text-align: justify;"><br />
Cet effet du leadership a été abondamment étudié en économie expérimentale depuis une dizaine d’années, la réflexion théorique sur ce thème étant initiée par Hermalin en 1998.<br />
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Dans l’expérience menée par exemple par Guth et al., 2007, pour étudier l’influence du leadership sur les niveaux de coopération, le jeu choisi est un classique jeu de contribution au bien public. Un des traitements sert de repère (benchmark) et consiste en un jeu simultané de contribution au bien public (VCM : Voluntary Contribution Mechanism) dans des conditions standard (voir <a href="http://expeconomics.blogspot.com/2009/11/lhomme-des-hautes-plaines-ou-leconomie.html">ici </a>pour les nouveaux lecteurs ou les lecteurs ayant oublié). Dans un des autres traitements, un participant choisi au hasard (le leader) détermine son niveau de contribution au bien public en premier, ce qui est annoncé aux trois autres membres du groupe(les followers) avant que ceux-ci déterminent simultanément leur propre niveau de contribution (VCM with leadership). D’un point de vue théorique, le fait qu’un joueur annonce en premier sa contribution aboutit aux mêmes prédictions théoriques que dans le cas de contributions simultanées : la stratégie dominante est de choisir un niveau de contribution égal à zéro, on retombe sur le classique problème de comportement de passager clandestin. Ces auteurs mettent également un traitement qu’ils appellent « strong leadership » : le leader choisit sa contribution, annoncée aux trois followers, qui déterminent leur propre contribution, puis à l’issue de cela, le leader prend connaissance de ces niveaux de coopération et peut décider d’exclure un des followers pour la période suivante (chaque participant peut joueur jusqu’à 25 périodes de ce jeu). Dans ce cas, le joueur exclu gagne sa dotation et ne peut profiter de l’opportunité liée au bien public.</div><div style="text-align: justify;"><br />
Par ailleurs, le leader est déterminé de deux manières : soit il est tiré au sort au début de la session, et reste leader pendant les 16 premières périodes du jeu répété de contributions (il y a 25 répétitions en tout), soit les 4 participants auront l’opportunité d’être leader pendant le même nombre de périodes (chacun 4 fois donc), la séquence des leaders successifs étant annoncée au début du jeu.<br />
En fait, c’est encore un peu plus subtil comme design (c’est pour cela que j’ai toujours aimé ce que faisait Werner Güth, c’est à la fois rigoureux et subtil d’un point de vue expérimental), les 16 premières périodes du jeu déterminent le leader de manière exogène, et les périodes 17 à 24 donnent l’opportunité aux participants de chaque groupe de choisir de manière endogène leur leader. En fait, lors de la période 16 et de la période 20, les participants ont la possibilité de voter, soit pour dire qu’ils veulent garder leur leader (ou pas) soit pour dire qui ils souhaitent avoir comme leader parmi les 4 membres du groupe. Le graphique suivant donne les résultats sur la contribution moyenne des participants dans les traitements benchmark (control), leader and strong leader :</div><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEicylCwjTpRNeYyZT2tdddGX6s3boG3lumtOBboKipfIdm9-dCffbl94SLbdLNAanYJlneOqyS1QvVgOvebzHkESrvP6m9OFFB70SbpUKDgPRPgIcSa9wLI-aHvnZ1b-ZA6Ikm1FBneDYYl/s1600/guth+et+al+leadership.png" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="300" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEicylCwjTpRNeYyZT2tdddGX6s3boG3lumtOBboKipfIdm9-dCffbl94SLbdLNAanYJlneOqyS1QvVgOvebzHkESrvP6m9OFFB70SbpUKDgPRPgIcSa9wLI-aHvnZ1b-ZA6Ikm1FBneDYYl/s400/guth+et+al+leadership.png" width="400" /></a></div><div style="text-align: justify;"><br />
<div style="text-align: center;">source : Guth et al., 2007, JPE</div></div><div style="text-align: justify;"></div><div style="text-align: justify;"><br />
Les résultats sont à la fois attendus et intriguants : le niveau de contribution moyen est d’autant plus élevé que le pouvoir du leader est fort : s’il peut annoncer sa contribution et exclure (punir) un des membres du groupe, la contribution moyenne est deux fois plus forte que dans le cas du jeu simultané sans leader, et représente environ 80% de la dotation totale accordée à chaque participant (25 jetons). Pour le traitement leadership « simple » (sans pouvoir d’exclusion), le niveau de coopération moyen est un peu plus élevé, mais l’effet de leadership a tendance à s’émousser avec le temps pour converger vers le niveau de contribution moyen sans leadership. Le pouvoir d’exclusion fait clairement la différence en termes de niveau de coopération !</div><div style="text-align: justify;"><br />
Ils ne constatent pas d’effet significatif concernant la détermination exogène du leader : le fait d’avoir toujours le même leader ou qu’il y ait rotation n’influence pas les niveaux de coopération. Le résultat le plus important est qu’ils mesurent une corrélation significative entre la contribution du leader et la contribution des followers, ce qui va à l’encontre des prédictions théoriques les plus simples (défection mutuelle).</div><div style="text-align: justify;">Bien évidemment, ils constatent également que la probabilité d’être exclu pour un follower est d’autant plus importante que sa contribution est faible par rapport à la moyenne des contributions de son groupe. En moyenne, le leader a exclu un follower dans 20% des situations, l’exclusion étant d’autant plus forte que la déviation de la contribution du follower par rapport à la moyenne était importante (seules les déviations négatives -ma contribution est plus faible que la moyenne- augmentaient la probabilité d’exclusion).</div><div style="text-align: justify;"><br />
En bref, le leadership augmente le niveau de coopération de manière essentielle, ce qui reste une forme d’énigme d’un point de vue théorique. Dans une autre étude expérimentale récente, David Levy, Kail Padgitt, Sandra Peart, Daniel Houser et Erte Xiao (2010) montrent que cet effet positif du leadership n’est réel que si le leader est humain et pas un automate (ce n’est pas un blague, cela est paru dans le Journal of Economic Behaviour and Organization).<br />
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Moi qui pensais pouvoir envoyer ma copie conforme robotisée d’ici quelques années surveiller à ma place ni vu ni connu. Blood and Guts, je suis fait comme un rat ! A moins que l’autre surveillant ne puisse pas deviner qu’il s’agit de ma copie…</div><div style="text-align: justify;"><br />
</div><div style="text-align: justify;">PS : l'image qui illustre ce billet n'a en fait rien à voir avec le propos, mais la tentation de rendre un hommage mérité à Blake Edwars, parti rejoindre Peter Sellers au paradis des génies la semaine dernière, était trop forte.</div>Laurent Denant-Boemonthttp://www.blogger.com/profile/08252381928844005264noreply@blogger.com3tag:blogger.com,1999:blog-6161986843091652284.post-40262075892221406582010-11-28T18:40:00.002+01:002010-11-28T18:43:09.331+01:00Les notes à l'école primaire : utile ou pas ?<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEibxxmOn84yV_00Cy9yuaJqibAxhN0qboZ2kkr-_O3L2Hxe3d4F_NmTDxU8Y9l8V-b_opuhOTx7ly3IWen63HN_oKr4TzgDrSOCtsx1w0Ez-c_7lc-KGSLHidfqd0g4Ck01rseAA9Vy5SSS/s1600/notes.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="271" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEibxxmOn84yV_00Cy9yuaJqibAxhN0qboZ2kkr-_O3L2Hxe3d4F_NmTDxU8Y9l8V-b_opuhOTx7ly3IWen63HN_oKr4TzgDrSOCtsx1w0Ez-c_7lc-KGSLHidfqd0g4Ck01rseAA9Vy5SSS/s400/notes.jpg" width="400" /></a></div><div style="text-align: justify;"></div><div style="text-align: justify;"><br />
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Vingt personnalités, Michel Rocard, Daniel Pennac, Richard Descoings, Marcel Rufo et des chercheurs comme Axel Kahn ou Eric Maurin, un collègue, parmi d’autres, se sont récemment joints à un appel lancé en septembre par l’AFEV qui vise à supprimer l’utilisation des notes au sein de l’école élémentaire. Les arguments principaux sont bien connus, les notes décourageraient les élèves, mineraient leur confiance en eux et la conclusion aussi, la suppression de la note permettant de faire une école de la coopération plutôt qu’une école de la compétition (voir <a href="http://tempsreel.nouvelobs.com/actualite/societe/20101116.OBS3048/l-appel-pour-la-suppression-des-notes-a-l-ecole-primaire.html">ici</a>).</div><div style="text-align: justify;"><br />
En tant qu’enseignant, mon avis est effectivement partagé, l’évaluation personnelle doit faire partie de l’itinéraire d’un écolier ou d’un étudiant, car il lui faut bien des éléments lui permettant de se situer dans l’absolu et éventuellement relativement à l’ensemble de ces camarades. Par ailleurs, cette évaluation ne se réduit pas forcément à une note, mais peut prendre de multiples formes. Je comprends aussi les arguments d’Eric Maurin, qui donne une lecture sans doute plus sociologique du problème, basée sur une évidence factuelle qui est incontestable. En tant qu’économiste, je me dis que les incitations doivent avoir un effet, et toute la question est donc de savoir si les incitations tirées de la notation sont plus efficaces ou moins efficaces pour la réussite des élèves que l’absence de système d’incitation ou qu’un autre système d’incitation.</div><div style="text-align: justify;">Par ailleurs, soit dit en passant, la suppression des notes est également un enjeu de politiques publiques, dans la mesure où l’efficacité des politiques d’éducation –quand elle est mesurée – est souvent jaugée au travers de la variation des performances des élèves au regard de ces fameuses notes. Bien évidemment, cette approche de l’évaluation par les notes ne saurait être que très partielle, et il a été affirmé depuis bien longtemps que l’efficacité des réformes de l’éducation devait être jugée au regard de multiples critères autres que les performances en termes de notes, par exemple au travers de l’impact sur l’état général et les comportements des enfants et des adolescents (santé, tendance à l’addiction, etc.). Je cite notamment Bowles, Gintis et Obsborne en 2001 dans l’American Economic Review à propos du caractère imparfait des notes (test scores) en matière d’évaluation des performances à l’école et la nécessité d’aller au-delà :</div><div style="text-align: justify;"><br />
<div style="text-align: center;"><i>“(Economists) need broader indicators of school success, including measures based on the contribution of schooling to behavioral and personality traits »</i><br />
</div></div><div style="text-align: justify;">Il semble par ailleurs que la relation entre les notes obtenues dans la scolarité et les revenus perçus ultérieurement par les personnes devenues actives soit relativement <a href="http://www.america-tomorrow.com/bracey/EDDRA/EDDRA22.htm">ténue</a>.</div><div style="text-align: justify;"></div><div style="text-align: justify;">D’un point de vue comportemental, la question qui est posée est celle de l’impact de l’information que peuvent obtenir les individus sur leur performance actuelle sur leurs niveaux d’efforts à venir et leurs performances futures. Ou, dit autrement, quel est l’effet incitatif de ces fameuses notes sur le niveau d’effort des élèves dans le travail ?</div><div style="text-align: justify;"><br />
Cette question de l’impact du feedback est au cœur des travaux portant sur l’économie des ressources humaines (je ne sais pas traduire mieux « personal economics », mais peut être dit on simplement l’économie du personnel), qui n’est pas ou peu ma spécialité. La littérature empirique, en particulier expérimentale, a été importante ces dernières années sur cette question.</div><div style="text-align: justify;">J’ai déjà évoqué dans ce <a href="http://expeconomics.blogspot.com/2009/07/il-y-quelques-semaines-je-consacrais-un.html">billet</a> les problèmes qu’il pouvait y avoir à essayer de mettre en place un système d’incitations dans un contexte d’éducation, l’effet pervers étant que les motivations extrinsèques se substituent aux motivations intrinsèques et que l’effet net total pouvait au final être négatif. Mutatis mutandis, l’effet de motivation liée aux notes pourrait évincer le goût du travail personnel et de l’effort.</div><div style="text-align: justify;"><br />
Notamment, la question de l’efficacité des notes (du feedback en général) peut être abordée à travers deux aspects : le fait que le niveau de ma note me donne une information absolue sur ma performance, et secundo, le niveau relatif de ma note par rapport à celle des autres élèves, si cette information est publique. Si elle est publique, elle peut prendre de multiples formes, ma note pouvant être comparée à une moyenne assortie éventuellement d’un écart-type communiquée par la scolarité, voir aller jusqu’à une connaissance parfaite de la distribution des notes.<br />
D’un point de vue économique, le feedback sur la performance passée peut affecter ma performance courante soit directement, selon que les performances passée et présente sont des substituts ou des compléments dans la fonction d’utilité des agents, ou indirectement en révélant à l’individu une information sur le rendement de son effet (effet de signal).</div><div style="text-align: justify;"><br />
Cette polémique tombe à pic, puisque la littérature sur cette question est en plein boom dans le domaine expérimental. Récemment, Azmat et Irriberi,2010 ont publié les résultats de deux études qui portent en particulier sur l’impact du feedback d’une part sur les performances, mais aussi sur le bien être des évalués. Ils se focalisent notamment sur l’impact du feeback relatif sur les performances des individus. Ils observent un effet significatif des scores relatifs sur la performance finale des étudiants, et donc sur leur niveau de motivation, à l'occasion d'une expérience naturelle. Ils confirment ces résultats dans <a href="http://www.econ.upf.edu/%7Eazmat/Research_files/Azmat_Iriberri_EXPT.pdf">ce papier</a>, mais mettent également en évidence les effets négatifs sur le bien être des élèves en dessous de la moyenne d'un système d'évaluation relatif par rapport à un système d'évaluation absolu.<br />
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Toutefois, l’étude la plus intéressante car la plus proche de la question posée est celle de Todd Cherry & Larry Ellis , dans un <a href="http://www.economicsnetwork.ac.uk/iree/i4/cherry.htm">article publié </a>en 2005 dans l’<i>International Review of Economics Education</i>. Ces auteurs comparent l’impact d’un système d’évaluation absolu (mon grade ou ma note sur une échelle de 1 à 10 par exemple) par rapport à un système d’évaluation relatif . Dans le système d’évaluation relatif, mon score (ma note finale) est déterminée relativement à la performance des autres élèves. Par exemple, si je réponds à plus de questions que 90% de ma classe, j’obtiens un A. Si je réponds mieux que 75% de ma classe, j’obtiens un B, etc. Ce système met précisément en avant une forte compétition des élèves.<br />
<br />
C’est précisément l’efficacité de l’un ou l’autre schéma d’évaluation sur la performance finale des élèves qu’ils cherchent à mesurer. Comme ils ont 4 classes dans un cours d’introduction à la macroéconomie, ils mettent en place pour deux de ces groupes une évaluation relative (rank order grading) et pour les deux autres l’évaluation absolue (criterion-referenced grading). Le graphique ci-dessous donne la distribution des scores finalement obtenus à l’examen en fonction des deux schémas d’incitation par les notes :</div><div style="text-align: justify;"></div><div style="text-align: justify;"></div><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhsffPCkrvE9tVgAcz9aUtOg-dJ8A-JGfykVn3JipwmUyIqiYbJwipsZy8Q3K0iTdeHNmLRNfdputEhgO3T-bEEXQ3bjxpD57fPJcezdwrzHzB5H1QhUZyIArZsar3qXdBAVMJzgWSffikA/s1600/cherry.png" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="300" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhsffPCkrvE9tVgAcz9aUtOg-dJ8A-JGfykVn3JipwmUyIqiYbJwipsZy8Q3K0iTdeHNmLRNfdputEhgO3T-bEEXQ3bjxpD57fPJcezdwrzHzB5H1QhUZyIArZsar3qXdBAVMJzgWSffikA/s400/cherry.png" width="400" /></a></div><div style="text-align: justify;"><div style="text-align: center;">source : Cherry & Ellis, 2005<br />
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</div></div><div style="text-align: justify;">Comme il est difficile d’en tirer une conclusion très nette, ces auteurs font une analyse économétrique du score en mettant comme variable explicative le traitement « rank order grading » traité comme une variable « dummy ». Les résultats sont assez explicites : le score moyen des étudiants est meilleur dans le schéma qui donne une évaluation relative à l’étudiant plutôt qu’une évaluation absolue. Ils restent prudents toutefois et insistent sur le fait que ce genre de système de notation n’est pas forcément adéquat si l’objectif est de promouvoir la coopération des élèves, le système d’évaluation absolu étant, dans ces conditions, sans doute préférable.</div><div style="text-align: justify;"><br />
Pour conclure ce billet, ce n’est pas tant la notation en elle-même qui semble poser problème mais la manière dont cette notation est utilisée par les enseignants et les étudiants pour se comparer aux autres. C’est cela qui peut avoir des effets pervers. Toutefois, les effets de la compétition ne sont pas toujours mauvais (je suis désolé de rappeler une telle évidence, mais beaucoup s’emportent dans de grands débats sur les effets pervers de la compétition en oubliant quelques uns de ses mérites incontestables). Pour finir, j’emprunte à Télérama de cette semaine cette conclusion que j'ai trouvée magnifique. Un professeur de français déclare à un élève effondré par sa note de 7/20 :</div><div style="text-align: justify;"><br />
« <i>Vous n’êtes pas ce 7/20. Ce 7/20, c’est ce que valait votre travail la semaine dernière entre 8 heures et midi. Faites bien la différence.</i> »</div><div style="text-align: justify;"><br />
En voilà un qui a tout compris à la pédagogie. Raison de plus pour ne pas casser trop vite le thermomètre et réfléchir de manière pondérée aux conséquences potentielles de la suppression des notes.</div>Laurent Denant-Boemonthttp://www.blogger.com/profile/08252381928844005264noreply@blogger.com6tag:blogger.com,1999:blog-6161986843091652284.post-83657444564432368342010-10-31T15:35:00.002+01:002010-10-31T16:31:58.368+01:00Facebook, le prix de l'essence et le rôle de l'approbation<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhYgY-bJrBRRTomo0NXuC-jxfjGa7IQ3WVjALC-DM0GZx0PrjtZgaHu6yEv2cO6aKAlFRniGJtcPUCTHEZ9EXJ8FChP5oGf2dW6yh-tthXFkQsrASUakI8VV97LQ1J2DTOYiLnrz6rnl3jE/s1600/ani-emp.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="248" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhYgY-bJrBRRTomo0NXuC-jxfjGa7IQ3WVjALC-DM0GZx0PrjtZgaHu6yEv2cO6aKAlFRniGJtcPUCTHEZ9EXJ8FChP5oGf2dW6yh-tthXFkQsrASUakI8VV97LQ1J2DTOYiLnrz6rnl3jE/s400/ani-emp.jpg" width="400" /></a></div><div style="text-align: justify;"><br />
</div><div style="text-align: justify;"><br />
</div><div style="text-align: justify;">Je lis les journaux régionaux extrêmement rarement. J’ai toujours plus ou moins détesté cela, sans doute en réaction à cette période de mon enfance où, lors des pluvieuses journées de vacances passées dans mon Morvan natal, ma seule ressource pour lutter contre l’ennui était la lecture des strips de Superman repris par le journal La Montagne…<br />
</div><div style="text-align: justify;">De manière plus générale, j’ai toujours vaguement contesté cette manière de voir l’actualité par le petit bout de la lorgnette, où on s’intéresse plus au concours de boules de l’amicale de Petaouchnouk-sur-Sèvre qu’au conflit du Darfour, et ces journaux dans lequel l’intérêt majeur d’un grand nombre de lecteurs consiste à consulter les annonces nécrologiques au cas où son voisin y figurerait.</div><div style="text-align: justify;"><br />
<i>[Je suis un peu de mauvaise humeur, perturbé sans doute par le passage à l’heure d’hiver]</i></div><div style="text-align: justify;"><br />
Toutefois, il y a peu, ayant à ma disposition une des bibles du Breton moyen (en dehors de the Holy Bible bien sûr), en l’occurrence le journal Ouest France, je suis tombé sur <a href="http://www.ouest-france.fr/actu/actuDet_-Carburant.-Quand-le-prix-du-litre-depend-du-nombre-de-clics_39382-1566369_actu.Htm">cette petite histoire</a> présente dans l’édition du 27 octobre dernier que je m’en vais vous narrer.</div><div style="text-align: justify;"><br />
Il était une fois, dans une petite ville d’Ille-et-Vilaine, un gentil responsable de station service, prénommé Eric. Celui-ci était en butte, comme tous ses semblables, aux difficultés récurrentes d’approvisionnement en carburant dues aux dépôts bloqués par quelques centaines de syndicalistes – une dizaine selon la police- opposés à la réforme des retraites.</div><div style="text-align: justify;"><br />
Etant d’une nature généreuse, il se dit qu’il serait souhaitable d’informer tous ces pauvres automobilistes errant comme des âmes en peine à la recherche du Graal contenant, non pas le sang du Christ, mais du bon et lourd gasoil. Il a alors l’idée de les informer en temps réel ( ?) via la page Facebook de la grande surface dont il tient la station essence. Las, loin de s’arrêter là, constatant que les prix de la concurrence s’envolent dans cette période de pénurie, les marges passant d’après lui de environ 1% à 6% pour certains, il décide courageusement de baisser les prix des carburants qu’il propose et, cerise sur le gâteau, d’accroitre sa capacité d’accueil en embauchant des extras pour limiter la durée des files d’attente.<br />
Résultat ? des dizaines de messages d’encouragements et de remerciements pour cet accueil amélioré et ces prix généreux sur la page Facebook de la grande surface. Eric, ému jusqu’aux larmes (bon, là je me fais un peu un film), décide alors d’organiser un challenge : si avant le mardi 26 octobre 8h, cent internautes ont cliqué « j’aime » sur la fameuse page Facebook, le prix du carburant baisse. Mais Eric va plus loin, si en plus de cela, 800 internautes se déclarent fans de la dite page, le gas oil est vendu à prix coûtant. Apothéose : si la page compte plus de 1000 fans, tous les carburants sont à prix coûtant.</div><div style="text-align: justify;"><br />
En fait, à l’issue du délai, 109 personnes ont déclaré avoir « aimé » cela, et du coup Eric, bouleversé par une émotion que l’on ne peut que déclarer légitime a décidé de fournir tous les carburants à prix coûtant toute la journée, allant bien au-delà de son engagement initial. Conséquence prévisible : rupture d’approvisionnement dès 17h45 le même jour !</div><div style="text-align: justify;"><br />
Lecteur, tu te doutes que ce qui m’intéresse là-dedans est de donner un peu de sens économique à ce paradoxe : un gérant qui s’engage à vendre à prix coûtant moyennant le fait que des internautes anonymes lui ont signifié en nombre suffisant qu’ils le trouvaient sympathique ! Notes bien que nombre d’internautes peuvent l’avoir déclaré sympathique, que cela ne leur coûte pas grand-chose et qu’en plus, ils peuvent en fait le trouver réellement antipathique, mais que tout ce qui compte, c’est que in fine, un nombre suffisant d’individus aient déclaré trouver son action sympathique.</div><div style="text-align: justify;"><br />
Ce que je veux dire par là, c’est que le pouvoir de rétorsion par les internautes en cas de non respect de la parole du gérant est relativement limité. Ce ne sont pas 100 internautes, qui, du reste, ne sont pas forcément des clients récurrents de la station, qui vont pouvoir punir le gérant en boycottant sa station par exemple. Par ailleurs, on peut penser qu’un objectif de construction d’une réputation par le gérant auprès de ses clients est sans doute réel, mais n’est pas forcément la motivation principale de son comportement.</div><div style="text-align: justify;"><br />
La question est donc de savoir si ce type de récompense (« j’aime » sur Facebook) ou de sanction («je n’aime pas ») symbolique a une influence sur les comportements des individus. Cette idée est vieille comme le monde ou presque, l’un de ceux qui l’a avancé de manière sérieuse étant par exemple le sociologue Emile Durkheim. </div><div style="text-align: justify;"><br />
Ces sanctions / récompenses sont dites immatérielles (on parle aussi de feedback positif ou négatif dans la littérature expérimentale) dans le sens où elles n’affectent pas le bien être matériel de l’agent sanctionné ou récompensé mais uniquement son état émotionnel. Les exemples sont nombreux, tant les expressions possibles de l’approbation et de la désapprobation verbalement et facialement sont nombreuses : insultes, ostracisme social (cf. le doux procédé de l’excommunication), l’humiliation (etc.) mais aussi les applaudissements, les encouragement, sourires et autres manifestations d’enthousiasme individuel ou collectif à l’égard du comportement d’une personne.</div><div style="text-align: justify;"><br />
Initialement, je pensais dénombrer par dizaines les études expérimentales consacrées à cette question pourtant simple, et force est de constater qu’il n’est pas si évident de trouver des articles qui traitent directement de cette question dans le domaine de l’économie expérimentale ou de l’économie comportementale dans ce sens précis. Nombre d’études existent sur l’impact des sanctions/ récompense matérielles, également sur la question de l’impact de sanctions symboliques sur les contributions (notamment un papier connu d’un de mes collègues et co-auteurs, David Masclet dans Masclet et al., 2003). Toutefois, le feedback proposé - un certain niveau de désapprobation non matériel par exemple- est toujours ex post, une fois les décisions effectives des individus rendues publiques pour l’ensemble du groupe.</div><div style="text-align: justify;"><br />
La seule étude à ma connaissance sur ce sujet est celle de Lopez-Perez & Vorsatz en 2010 dans le <i>Journal of Economic Psychology</i>, la question posée par ces auteurs étant selon moi précisément la principale énigme issue du comportement de mon sympathique gérant de station d’essence. En quoi la présence d’une approbation ou d’une désapprobation non matérielle peut-elle influencer les choix ?<br />
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Pour étudier cela, les auteurs, après avoir construit un modèle d’aversion à la désapprobation, comparent trois traitements fondés sur un jeu de dilemme du prisonnier joué une seule fois (« one shot game »), ce afin de tester le modèle théorique construit au départ. Dans <a href="http://en.wikipedia.org/wiki/Prisoner%27s_dilemma">ce jeu</a>, faut-il le rappeler inventé par Dresher et Flood en 1950, et contextualisé par Tucker en 1952, deux joueurs doivent décider de coopérer ou de ne pas coopérer (ces termes ne sont pas utilisés dans les instructions du jeu), le choix étant simultané. Si les deux coopèrent, ils gagnent chacun 180 points, et si les deux ne coopèrent pas, ils gagnent chacun 100 points. Si l’un des deux coopère et l’autre non, celui qui coopère gagne 80 et celui qui ne coopère pas gagne 260 points. L’équilibre de Nash consiste bien sûr en une défection mutuelle.</div><div style="text-align: justify;"><br />
Le premier traitement expérimental est un traitement de contrôle, les participants sont appariés par deux de manière aléatoire et anonyme et jouent le dilemme du prisonnier. Dans le second traitement, fait en particulier pour tester leur modèle d’aversion à la désapprobation, les sujets doivent dire, ce avant de choisir leur stratégie, ce qu’ils pensent que leur adversaire va penser de leur choix dans toutes les configurations possibles du jeu, en clair s’il désapprouve ou approuve chaque stratégie possible. Par exemple, si on suppose que l’autre coopère, le fait que je coopère moi-même devrait être massivement approuvé par mon partenaire. Cette information sera communiquée à l’adversaire, chaque joueur ayant accès à ce jugement hypothétique des actions de l’autre par lui-même.<br />
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Dans le dernier traitement, les joueurs ont la possibilité, une fois leur décision faite, d’envoyer un message coûteux à leur partenaire (« feedback »), ce message disant que le choix fait par l’autre était soit bon, soit mauvais, soit ni bon ni mauvais. Le traitement qui m’intéresse le plus est évidemment le second traitement, fondé sur l’espérance d’être approuvé ou désapprouvé par le partenaire.<br />
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Les résultats brièvement résumés sont les suivants : le taux de coopération est plus élevé dans le traitement feedback (ce qui est dans la lignée des études expérimentales existantes sur l’impact des sanctions non matérielles sur la coopération) que dans le traitement de contrôle. Le traitement « expectations » - anticipations sur ce que mon adversaire va penser de mon action – est intermédiaire, c’est-à-dire que le taux de coopération est un peu meilleur que dans le traitement de contrôle, bien que la différence ne soit pas statistiquement significative (sur le graphique ci-dessous, le taux de participants ayant choisi "coopérer" en fonction de traitements, en bleu le traitement de contrôle, en orange le traitement "expectations" et en jaune le traitement feedback).</div><div style="text-align: justify;"><br />
</div><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgPazpx_0fQUCLogLlCc5gAJBAnd2ToV0kEGd0vecxY8rW8Z2CnVee-YSwTMrbMsEP2yvBVf1IJHKLwVhuVsYqL8kFCvz2bFTihM6_eCzs4MeD4MMpVp6lwF0FUN24GpTkUjlAlswi9YFAP/s1600/lopez.png" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="300" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgPazpx_0fQUCLogLlCc5gAJBAnd2ToV0kEGd0vecxY8rW8Z2CnVee-YSwTMrbMsEP2yvBVf1IJHKLwVhuVsYqL8kFCvz2bFTihM6_eCzs4MeD4MMpVp6lwF0FUN24GpTkUjlAlswi9YFAP/s400/lopez.png" width="400" /></a></div><div style="text-align: center;">Source : Lopez-Perez and Vorsatz, 2010 </div><div style="text-align: justify;"><br />
</div><div style="text-align: justify;">Ainsi, seuls certains joueurs sont averses à la désapprobation, mais clairement ce n'est pas l'écrasante majorité des participants.</div><div style="text-align: justify;"><br />
</div><div style="text-align: justify;">Au final, les automobilistes de la grande surface ont eu de la chance de tomber sur un gérant qui, foncièrement, n’est certainement pas altruiste, mais simplement sensible au regard de l’autre, motivé par un geste d’approbation de ses pairs, ce qui, il faut l’avouer est le cas de nombre d’entre nous.</div>Laurent Denant-Boemonthttp://www.blogger.com/profile/08252381928844005264noreply@blogger.com2tag:blogger.com,1999:blog-6161986843091652284.post-80600257420252285172010-10-17T12:11:00.005+02:002010-10-17T21:19:17.288+02:00Menace de pénurie d'essence ? Pas de panique (pétrolière) !<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEi2yx0T5Tpx1JVu8pTYVduDlr_M4XzvWFCbjpwrp6cnmUgR1hPCJl_kBvkNTV_Ja9I19DMIyON0f5duP8syTqCgPsMSLyugJFlZJ-3ZQUJfvHHjTgnD885Wlz4hsLmvI8A6wTGiakUNCfGQ/s1600/F100CobraFilming.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="286" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEi2yx0T5Tpx1JVu8pTYVduDlr_M4XzvWFCbjpwrp6cnmUgR1hPCJl_kBvkNTV_Ja9I19DMIyON0f5duP8syTqCgPsMSLyugJFlZJ-3ZQUJfvHHjTgnD885Wlz4hsLmvI8A6wTGiakUNCfGQ/s400/F100CobraFilming.jpg" width="400" /></a></div><div style="text-align: center;">NB : groupe d'automobilistes désespérés demandant gentiment l'aumône pétrolière) </div><div style="text-align: justify;"></div><div style="text-align: justify;"></div><div style="text-align: justify;"></div><div style="text-align: justify;"><br />
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La situation de grève des salariés dans la plupart des grandes raffineries pétrolières, cette grève se traduisant par un blocus des sorties de carburants raffinés, augure de la possibilité de pénurie d’essence pour la plupart des automobilistes dont je suis, les stations étant graduellement dans l’impossibilité de renouveler leur stocks.</div><div style="text-align: justify;"><br />
Comme l’écrivait Dante dans l’Enfer :</div><div style="text-align: justify;"><br />
<div style="text-align: justify;">« <i>Ah, qu’elle est lancinante l’angoisse de l’automobiliste en manque de carburant, en quête du graal diesel ou sans plomb, et prêt à en découdre avec l’homo cegetis simplex, qui, dès les premiers frimats, et sous le fallacieux prétexte qu’il aime la marche à pied, ne trouve rien de mieux que de défiler occasionnellement, accompagné de milliers de semblables (des dizaines selon la préfecture de police) et qui, pour se remettre de ses efforts diaboliques, dort sur les dépôts de carburant, mais que d’un œil, prêt à sauter sur le moindre briseur de grève</i>… »</div></div><div style="text-align: justify;"><br />
<i>[Si quelqu’un arrive à compter le nombre de virgules de la phrase précédente, je lui envoie un carambar en PCV. Surtout j’espère que personne ne croit sérieusement que Dante a écrit cela, il s’agit en fait de Victor Hugo dans les Misérables.]</i></div><div style="text-align: justify;"><br />
Le truc, c’est que, jour après jour, les médias n’arrêtent pas de nous marteler le message, à savoir que le risque de pénurie de carburant est réel, bien que le gouvernement répète qu’il n’y a pas lieu de paniquer, et que c’est précisément une panique qui déclencherait la pénurie.</div><div style="text-align: justify;"><br />
Bon, pour le moment, les choses ont l’air de se passer gentiment, la plupart des stations n’ont pas déclaré forfait et il ne semble pas y avoir de ruée chez les distributeurs. Toutefois, puisque j’ai l’occasion d’utiliser mon véhicule tous les jours, je dois confesser que je regarde avec un brin d’anxiété la situation dans les stations où je m’approvisionne régulièrement, attendant les messages « plus d’essence » ou jaugeant (sans jeu de mot) le nombre d’automobilistes remplissant leur réservoir, une file d’attente nourrie donnant le signal d’une panique en train de se développer. Dès lors, mon imagination sans doute beaucoup trop fertile envisage la société s’écroulant et se retrouvant dans une lutte à mort pour l’obtention d’un jerrycan d’essence, comme dans l’univers post-apocalyptique de Mad Max.</div><div style="text-align: justify;"><br />
Ce genre de situation, qui se développe chaque fois qu’une paralysie des transports routiers de marchandises menace, s’applique aussi bien aux carburants qu’aux denrées alimentaires, et nous avons tous en tête la grève totale de 1993 durant laquelle nos (con)citoyens accumulèrent kilos de pâtes, de sucre et autres articles permettant de survivre en cas d’attaque nucléaire totale.</div><div style="text-align: justify;"><br />
Ces phénomènes de paniques potentielles liées à un risque de défaut d’approvisionnement sur des biens de première nécessité me font toujours furieusement penser aux phénomènes de panique bancaire, phénomène brillamment décrit dans le livre de <a href="http://www.amazon.fr/Histoire-sp%C3%A9culation-financi%C3%A8re-Charles-P-Kindleberger/dp/2909356221">Kindleberger</a> en 2000 sur l'histoire des crises financières et modélisé théoriquement notamment par Diamond & Dybvig en 1983. Ces paniques sont un exemple typique de prophéties auto-réalisatrices, puisque c’est précisément parce qu’un agent anticipe la panique qu’il va la déclencher en retirant son épargne (on verra là dessus avec profit la description de la révolution, avec son brio habituel, par le poète<a href="http://www.youtube.com/watch?v=o5pfHZd6NfE"> Eric Cantona)</a>….<br />
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</div><div style="text-align: justify;"></div><div style="text-align: justify;"><br />
Traditionnellement, le phénomène de panique bancaire est modélisé comme un jeu de coordination dans lequel deux équilibres sont possibles, l’un où tout le monde panique et retire ses fonds d’une banque donnée (donc la logique premier arrivé premier servi s’applique, et tous les épargnants ne pourront être servis) et l’autre dans lequel personne ne panique (donc personne ne retire ses fonds ou les retire à la dernière période du jeu si l’horizon est fini). En clair, c’est intéressant, mais c’est un peu une réponse de Normand : « p’tet ben qu’oui y a panique, mais p’têt bien qu’non »…<br />
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L’économie expérimentale est alors d’une grande utilité dans ces situations où la théorie donne des prédictions multiples, en ce qu’elle permet de discriminer potentiellement les stratégies empiriquement adoptées par les joueurs et d’essayer de mieux comprendre leur rationalité.<br />
Plusieurs études expérimentales ont été faites sur ces phénomènes, l’une de Madiès (2006), publiée dans le <i>Journal of Business</i>, et l’autre de Schotter et Yorulmazer en 2008, dans le J<i>ournal of Financial Intermediation</i>.</div><div style="text-align: justify;"><br />
Dans l’étude de Madiès, une des expériences réalisées est la suivante. Des groupes de 10 participants doivent décider simultanément à 30 reprises (rounds) de la période de retrait de leur épargne. S’ils retirent tous en période 2, chacun gagne 45 ECUs. S’ils retirent tous en période 1, seuls 3 pourront être servis, la banque devenant illiquide au-delà de 3. Ces trois gagnent 40 ECUs et les 7 autres qui n’ont pas retiré en période 1 gagnent 0, quel que soit le moment de leur retrait. Dans ce jeu, il y a un équilibre de Nash Pareto-dominant, celui dans lequel les 10 participants retirent tous en période 2, le bien être étant alors est de 450 ECUs. Il y a un autre équilibre de Nash risque-dominant qui implique un défaut de coordination, i.e. une situation dans laquelle les 10 participants retirent en période 1, et où par conséquent le gain est de 3*40=120 ECUs, puisque seuls 3 participants seront servis.</div><div style="text-align: justify;"><br />
Les résultats sont partiellement « rassurants », dans le sens où les paniques totales (c’est-à-dire les situations dans lesquelles le groupe de 10 épargnants retirent leurs fonds en période 1) sont assez rares, et arrivent uniquement dans un peu moins de 5% des cas. Par contre, les paniques partielles (des situations où au moins un épargnant retire ses fonds en période 1) sont assez fréquentes, et sont observées dans 70% des cas en moyenne. Toutefois, l’occurrence de ces paniques partielles dépend beaucoup manifestement de la dynamique du groupe sur le « long » terme : si un groupe rencontre peu de cas de paniques au début de la session, lors des premiers rounds, le trend est plutôt décroissant au cours du temps, les paniques se raréfiant. C’est l’inverse pour les groupes qui partent d’emblée avec des taux de panique plutôt élevés, le phénomène se renforçant a contrario au cours du temps. Donc le défaut de coordination a tendance à empirer quand il est initialement assez important et au contraire à disparaitre quand il est initialement plutôt limité.</div><div style="text-align: justify;"><br />
L’expérience de Schotter & Yorulmazer est un peu plus complexe, mais correspond également mieux à l’intuition, puisque, dans certains des traitements, les décisions des participants ne sont pas simultanées mais séquentielles : j’observe mon voisin retirer ou pas en période 1, donc je décide de retirer ou pas en période 2, etc. Elle correspond à l’idée que l’on peut se faire spontanément d’un problème potentiel de panique pétrolière : je suis d’autant plus tenter d’aller faire le plein si j’observe qu’il y a une file d’attente importante plutôt que si j’observe qu’il n’y a personne. Ces auteurs explorent donc l’impact de l’information qui peut être donnée aux épargnant sur le niveau de sévérité des paniques bancaires. Un point important est qu’ils envisagent également le rôle de la rémunération moyenne des dépôts - le niveau du taux d’intérêt- dans l’apparition et l’intensité des paniques bancaires.</div><div style="text-align: justify;"></div><div style="text-align: justify;"><br />
Le résultat également rassurant est que le fait d’observer le retrait des autres épargnants a tendance en moyenne à limiter l’apparition de paniques bancaires en début de jeu, par rapport à un jeu simultané comme dans Madiès. Par ailleurs, plus la rémunération est élevée, et plus l’occurrence de paniques en début de jeu est limitée.</div><div style="text-align: justify;"><br />
L’ensemble de ces expériences met en évidence un autre résultat intéressant : la suspension de la possibilité de retirer par les autorités publiques permet d’arrêter les paniques une fois qu’elles commencent à se déclencher, mais leur efficacité dans la prévention de ces paniques est assez limitée. Par ailleurs, des mécanismes d’assurance, même s’ils impliquent un problème d’aléa moral de la part des épargnants, limitent la sévérité des paniques bancaires et jouent un rôle préventif réel.</div><div style="text-align: justify;"><br />
Ce qui m’inquiète pour revenir aux paniques pétrolières, c’est que le système d’assurance me semble assez limité (les réserves stratégiques de l’Etat en carburant sont assez limitées en nombre de jours d’utilisation, et c’est la seule « assurance » que je voit). Reste alors la suspension de l’approvisionnement en carburant. Ce qui veut peut être dire que je dois me préparer à prendre quelques jours de repos forcé chez moi…</div>Laurent Denant-Boemonthttp://www.blogger.com/profile/08252381928844005264noreply@blogger.com6tag:blogger.com,1999:blog-6161986843091652284.post-57598967568658035432010-10-02T13:43:00.002+02:002010-10-02T16:57:34.057+02:00Discipline budgétaire des Etats, réforme du Pacte de Stabilité et efficacité des sanctions<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhjsS7ToeGBCyTfvECg3-q6fNoTLxx1akz0VBYCcLyvOeYbDK9_JCCD9kxFEgXsZRh-zL8df7KvivxjleCaxmAP_uqaw15Lk-hdFstyA2tPCl4xTIHQsrI2sCkCOqnjwy0hq6QA6hVTLXhC/s1600/Scan_Pic0011.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="351" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhjsS7ToeGBCyTfvECg3-q6fNoTLxx1akz0VBYCcLyvOeYbDK9_JCCD9kxFEgXsZRh-zL8df7KvivxjleCaxmAP_uqaw15Lk-hdFstyA2tPCl4xTIHQsrI2sCkCOqnjwy0hq6QA6hVTLXhC/s400/Scan_Pic0011.jpg" width="400" /></a></div><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"></div><div style="text-align: center;"></div><div style="text-align: center;"><br />
</div><div style="text-align: center;"><br />
</div><div style="text-align: justify;">Lundi dernier, les ministres des finances de l’Union Européenne à 27 ont discuté des réformes nécessaires au Pacte de Stabilité. Un des points d’achoppement lors de cette réunion a apparemment été la manière dont les sanctions financières devaient être déterminées pour les Etats membres qui laisseraient filer leur déficit public et leur dette publique en raison de politiques économiques trop laxistes. Je cite un <a href="http://www.lepoint.fr/economie/les-vingt-sept-divises-sur-la-reforme-du-pacte-de-stabilite-28-09-2010-1241977_28.php">article récent </a>du Point publié ici pour que tout soit clair :</div><div style="text-align: justify;"><br />
« <i>Consacrée à la question de l'automaticité des sanctions et du critère de réduction de dette, cette réunion devait permettre de rapprocher les positions de l'Allemagne, qui défend une ligne dure, de celle de la majorité des Etats, dont la France, désireux de se préserver des marges de manoeuvre.<br />
Certains s'interrogent sur le caractère trop automatique des sanctions et les critères qui doivent être retenus pour juger de l'évolution de la dette. D'autres sont réticents au principe même de sanctions financières prélevées sur les fonds européens</i> »<br />
<br />
En particulier, Madame La Ministre de l’Economie et des Finances, Christine Lagarde a déclaré la chose suivante : "<i>La France a toujours été favorable à une gouvernance économique solide et crédible. De là à prévoir un caractère totalement automatique, un pouvoir qui serait totalement dans les mains des experts, non</i> ». A contrario, le ministre allemand des finances, Wolfgang Schäuble, ainsi que le président de la BCE Jean Claude Trichet se sont prononcés en faveur d’un durcissement en la matière, en particulier le ministre allemand ayant milité publiquement pour des sanctions "quasi-automatiques". Plus précisément, M. Schäuble a insisté en outre sur le caractère "automatique" des sanctions à mettre en place en cas de dette ou de déficit public exagéré, la levée des sanctions devant obéir à "une majorité qualifiée inversée", c'est-à-dire que les sanctions s'appliquent sauf si une majorité d'Etat y sont opposés. J’avoue que, dans un premier temps, la position de ce monsieur m’a paru nettement plus sensée que la position française, étant persuadé que la possibilité de voter de manière discretionnaire pour des sanctions en limiterait l’efficacité voire même annihilerait totalement la simple possibilité qu’elles puissent exister.<br />
<br />
Donc, pour résumer, certains Etats membres, dont la France, défendent des niveaux de sanctions déterminés de manière discrétionnaire par un vote ponctuel des Etats, tandis que d’autres Etats, non des moindres puisque l’Allemagne en fait partie, argumentent en faveur de sanctions automatiques ou quasi-automatiques qui ne s’appuieraient pas sur un vote politique des Etats. Nous sommes un peu dans le débat politiques réglementaires vs politiques discretionnaires (« rules rather than discretion », Kydland & Prescott 1977), l’efficacité finale du dispositif de sanction étant probablement lié à sa crédibilité. Toutefois, ce n’est pas du tout de cet aspect là dont je veux discuter aujourd’hui, mais plutôt, de manière plus basique, de l’efficacité de sanctions endogènes ou de sanctions exogènes (« automatiques ») sur la rigueur budgétaire des Etats.</div><div style="text-align: justify;"><br />
Ce genre de situation dans lequel des Etats négocient les dispositifs institutionnels qui vont les gouverner dans le futur se prête à des supputations de type expérimental. Particulièrement ici, où ce qui est en jeu est l’efficacité de dispositifs particuliers de sanctions consécutives à une politique budgétaire trop laxiste de la part d’un Etat membre. En l’occurrence, il serait intéressant que les représentants des Etats de l’UE qui discutent actuellement de ces points, aient la chance d’avoir un petit exposé sur les principaux résultats de la littérature expérimentale sur l’efficacité des sanctions sur la coopération des agents. Je ne vais pas le faire maintenant, car cela m’entrainerait beaucoup trop loin, mais juste donner quelques éléments d’information sur la question suivante : est-il préférable du point de vue de l’efficacité d’avoir des sanctions automatiques qui ne seraient donc pas choisies de manière endogène par les Etats Membres, ou au contraire, vaut-il mieux que l’attribution de sanctions à un Etat membre s’appuie sur une procédure politique de vote discrétionnaire de la part de l’ensemble des Etats membres, ce en fonction des cas se présentant ?</div><div style="text-align: justify;">Je vais faire une hypothèse dont je comprends qu’elle paraisse discutable (et qui me pose problème aussi), mais qui est particulièrement adaptée : le fait que chaque Etat membre respecte les règles du pacte de Stabilité s’apparente à un bien public profitant à l’ensemble des Etats membres, même s’il peut s’avérer individuellement coûteux pour un Etat membre donné. En clair, chaque Etat aurait intérêt à pouvoir jouer les passagers clandestins et à ne pas respecter les règles (faire du déficit budgétaire quand il en a besoin, ce de manière importante, au-delà des 3%) mais collectivement, l’effet serait catastrophique, l’absence de discipline budgétaire généralisée conduisant à des problèmes économiques majeurs pour la zone Euro. Exactement comme le fait qu’un Etat qui s’est engagé au niveau international à ne pas négocier avec d’éventuels terroristes le fasse éventuellement en douce, incitant les terroristes à étendre leur activité, pour reprendre l’exemple canonique de Kydland et Prescott. </div><div style="text-align: justify;"><br />
Tyran et Feld ont conduit en 2006 une expérience dont les enseignements sont, le cas échéant, intéressants me semble-t-il. Leur expérience, publiée dans le <i>Scandinavian Journal of Economics</i>, s’appuie sur un problème de jeu de contribution à un bien public assorti de sanctions. Le design de l’expérience est toutefois assez différent de ce que l’on fait en général sur cette question. En effet, un grand nombre d’études expérimentales sur l’efficacité des sanctions dans les dilemmes sociaux, et j’y ai moi-même contribué, s’appuient sur des sanctions endogènes déterminées au niveau individuel par les participants qui observent le niveau de contribution au bien public des autres participants. L’article canonique sur ce genre de jeu en deux étapes, une de contribution et la suivante de sanctions, est l’article de Fehr & Gaechter, 2000.<br />
Dans leur étude, la situation est renversée. Les participants choisissent d’abord les modalités de sanctions puis contribuent ensuite. Cette situation expérimentale correspond peu ou prou à la situation actuelle de l’Union Européenne, occupée à décider actuellement des modalités de sanctions futures qui s’appliqueraient aux Etat membres manquant de discipline budgétaire. Il est donc particulièrement intéressant d’en souligner les résultats.<br />
Les sanctions pour contributions insuffisantes peuvent être, dans certains traitements, exogènes (c'est-à-dire déterminées par l’expérimentateur) et, dans d’autres, sont choisies de manière endogène par un vote des participants appartenant à un groupe donné. Dans ce cas, le jeu se joue en deux étapes : les participants votent d’abord pour le type de sanction qu’ils s’auto-attribuent (pas de sanction, sanction modérée ou sanction sévère) puis, une fois le dispositif de sanction collective fixé, joue un jeu de contribution au bien public classique (chaque participant d’un groupe de 3 dispose de 20 jetons et doit décider d’affecter cette dotation entre un compte privé, qui lui rapporte 1 point par jeton, et un compte public, qui lui rapporte 0.5 point par jeton, mais qui rapporte également 0.5 point aux deux autres membres de l’équipe). Une fois les contributions choisies par chaque participant, les sanctions sont appliquées. Si la contribution au bien public est égale à 20 (la totalité de la dotation), il n’y a pas de sanction. Sinon, la sanction s’applique et prend deux formes selon les traitements, une sanction modérée et une sanction sévère. La sanction modérée consiste à retirer 4 points des gains du participants n’ayant pas contribué totalement au bien public, et la sanction sévère consiste à lui retirer quatorze points. Par exemple, un participant qui contribue 0 au bien public recevra, dans le cas du traitement « sanction sévère », et si on suppose que les deux autres participants appartenant à son groupe contribuent totalement, un gain de 20 +0.5(40)-14 = 26 points.<br />
D’un point de vue théorique, l’équilibre d’un tel jeu est l’équilibre de free riding (tous les participants contribuent zéro au bien public) dans le cas où il n’y a pas de sanction et dans le cas où la sanction est modérée. Dans le cas où la sanction est sévère, l’équilibre de Nash est a contrario un équilibre dans lequel les trois participants contribuent l’intégralité de leur dotation au bien public.<br />
Les principaux résultats sont les suivants. Le graphique ci-dessous donne les niveaux moyens de contribution en pourcents (100% correspondant à une contribution de 20 jetons, ce qui l’optimum de Pareto si tous contribuent ce niveau), ce pour chaque niveau de sanction :</div><div style="text-align: justify;"><br />
</div><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhCuqKo89uqfKu-LA6upw8eNFyo8CIL2vHWeSKFUaM42TOXm9h1bgfpuVOU9he985hRNXmIWC3DlgrkddRItj9K55VQ_07tjqsb-ExlZll3cBxpABHd0Bv3znYsDNtlXjOLkTsKB8bQPoB1/s1600/exotyranfeld.png" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="300" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhCuqKo89uqfKu-LA6upw8eNFyo8CIL2vHWeSKFUaM42TOXm9h1bgfpuVOU9he985hRNXmIWC3DlgrkddRItj9K55VQ_07tjqsb-ExlZll3cBxpABHd0Bv3znYsDNtlXjOLkTsKB8bQPoB1/s400/exotyranfeld.png" width="400" /></a></div><div style="text-align: justify;">source : Tyran and Feld, 2006</div><div style="text-align: justify;"><br />
Comme on peut s’y attendre, le niveau de contribution s’accroit avec le niveau de sanction. Mais en fait, si les sanctions sont imposées de manière exogène (sans vote préalable par les sujets), seule la sanction sévère est efficace pour que le bien public soit produit au maximum. La sanction modérée est quant à elle relativement inefficace, le niveau de contribution au bien public n’étant pas significativement différent du niveau issu d’une situation dans laquelle il n’y a aucune sanction.<br />
Les résultats sont tout à fait différents dans le cas de sanctions endogènes, comme le montre le graphique suivant :</div><div style="text-align: justify;"><br />
</div><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjWwuAaIlxSKIBOs05DkPgG6n-e4NpF_sLSMhrqWTYd6FXNgRxuCd1Sc_GJHxtKIXmKejUIWhsomK7v3l3ZubwvoH5d4QbJLZ_eKabjommxeaGiR71rLgTiaZv7bf_NxcLIzPMVsyQb_Pd5/s1600/endotyranfeld.png" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="300" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjWwuAaIlxSKIBOs05DkPgG6n-e4NpF_sLSMhrqWTYd6FXNgRxuCd1Sc_GJHxtKIXmKejUIWhsomK7v3l3ZubwvoH5d4QbJLZ_eKabjommxeaGiR71rLgTiaZv7bf_NxcLIzPMVsyQb_Pd5/s400/endotyranfeld.png" width="400" /></a></div><div style="text-align: justify;">source : Tyran and Feld, 2006<br />
<br />
Le niveau de contribution s’élève cette fois significativement même dans le cas de sanctions modérées, égal à environ 65% du maximum possible, contre seulement environ 20% dans le cas d’absence de sanctions. Dans le cas de sanctions sévères, il n’a pas de différence fondamentale entre les contributions selon que ce niveau de sanction soit voté par les participants ou fixé extérieurement par l’expérimentateur.<br />
Je ne dirai pas cela tous les jours, mais force est de constater, eu égard à ces quelques résultats, que je suis obligé de donner raison à Christine Lagarde (arrghhh…) : il vaut mieux des sanctions déterminées de manière politique par les Etats membres que des sanctions automatiques, en particulier si le niveau des sanctions est relativement modéré (on parle en effet de 0.2% du PIB). Si les sanctions sont très fortes, ce que semble être l'option privilégiée par l'Allemagne, alors la procédure de détermination des sanctions s'avère peu importante. Que l'on ait un vote discrétionnaire pour décider de mettre en oeuvre des sanctions une fois le comportement observé, ou que l'on ait une sanction automatique dès qu'un Etat membre franchit la ligne rouge, les sanctions s'avéreront efficaces pour inciter les Etats a contribuer plus au bien public.<br />
Toutefois, je dois souligner que, comme les sanctions sont coûteuses, la littérature expérimentale souligne un effet détrimental des sanctions : les gains des joueurs peuvent être in fine plus faibles s'il se sanctionnent trop fortement, et cela peut nuire à l'efficacité économique. Par ailleurs, j'ai déjà expliqué que ce genre de mécanismes peut provoquer un effet d'éviction des motivations intrinsèques des agents, les motivations extrinsèques (la peur du bâton) se substituant aux motivations intrinsèques (la disposition naturelles des agents à coopérer).<br />
Le mécanisme de sanctions est donc à manipuler avec précaution et il est plus que nécessaire d'en peser les avantages et les inconvénients.<br />
<br />
PS : l'image qui illustre ce billet est extraite de Gotlib, Rubrique à Brac, tome 4 "slowburn gag", avec toute mon admiration et mon respect. </div>Laurent Denant-Boemonthttp://www.blogger.com/profile/08252381928844005264noreply@blogger.com3tag:blogger.com,1999:blog-6161986843091652284.post-76910157760965859642010-09-12T10:56:00.003+02:002010-10-02T13:52:06.441+02:00Les jeux en classe, Vernon Smith et moi<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjOoV2SCW7PsWXBJaEUBe5JXqRZ9yF7sBDZ3G4Cuq5sP9fV_7JuK3jdn2mJ5b2rT3vzgwnW4Hy_cDVTj85XI5gKKCOiu1zYmkuN-T-xNMbk8HPbyLSCsZW88T6ndnVz8EDa4S324PHckHp6/s1600/vs2.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="400" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjOoV2SCW7PsWXBJaEUBe5JXqRZ9yF7sBDZ3G4Cuq5sP9fV_7JuK3jdn2mJ5b2rT3vzgwnW4Hy_cDVTj85XI5gKKCOiu1zYmkuN-T-xNMbk8HPbyLSCsZW88T6ndnVz8EDa4S324PHckHp6/s400/vs2.jpg" width="333" /></a></div><div style="text-align: center;">NB : Vernon Smith incrédule observant l'équilibre de marché<span style="font-style: italic;"><i> </i></span>lors d'un jeu en classe </div><div style="text-align: justify;"></div><div style="text-align: justify;"><br />
Chaque année, nous faisons ici, dans cette bonne vieille faculté de sciences économiques, un stage de rentrée durant lequel les étudiants de première année d’économie et d’AES (Administration Economique et Sociale) sont initiés aux méthodes et enjeux de l’apprentissage de l’économie. Il y a maintenant trois ans, nous avons proposé que l’ensemble des étudiants passent par notre laboratoire d’économie expérimentale, le <a href="http://labex.crem.univ-rennes1.fr/index.php">LABEX</a>, pour entrer dans l’enseignement d’économie de manière douce et ludique, par la participation à un jeu de marché informatisé. Ce n’est pas rien, car en quinze jours, environ 600 étudiants participent à ces sessions, la durée de la séance étant de deux heures. Toutefois, tous ceux qui ont un peu enseigné savent à quel point c’est une véritable défi d’exposer les principaux rudiments de microéconomie à un étudiant débutant. Du coup, il y a deux catégories d’enseignants. Ceux qui pensent qu’il faut le faire sérieusement, et c’est parfois un peu difficile, car il faut sans arrêt jongler entre l’abstraction et l’empirique, en donnant des exemples concrets très régulièrement. C’est un chemin difficile, et il n’est pas sûr que les étudiants finissent convaincus et éclairés. Il y a une autre voie, plus facile, ceux qui ironisent sur le caractère irréaliste des hypothèses afférentes au fonctionnement d’un marché de concurrence pure et parfaite et qui concluent que la probabilité d’arriver à l’équilibre sur ce marché est tributaire de l’intervention d’une puissance supérieure qui n’est pas de ce monde.<br />
Je caricature un peu pour faire un brin de provoc, car on peut être aussi convaincu que cette abstraction du marché de concurrence parfaite est une pure fumisterie. Au moment où j’ai commencé mes études d’économie, il y a vingt ans environ, c’est plutôt la seconde philosophie qui était adoptée.</div><div style="text-align: justify;"><br />
<i>[On m’a soufflé à l’oreille que certains enseignants universitaires perpétraient ce genre de discours, mais bon, les rumeurs…]</i></div><div style="text-align: justify;"><br />
Je pense réellement que les jeux en classe, quels qu’ils soient, permettent de sortir de cette impasse pédagogique (je ne veux pas me placer sur le plan scientifique ou idéologique, ce billet parle d’un problème simple qui est celui de l’apprentissage ludique mais néammoins rigoureux par des étudiants). L’énorme intérêt de mon point de vue des jeux en classe est que l’on inverse la manière dont on fait traditionnellement des cours, en particulier en économie. On expose d’abord les grands principes puis on donne des applications. Ce n’est pas un hasard si les enseignements sont structurés en cours magistraux et en travaux dirigés, séances durant lesquelles on applique la théorie exposée en cours. Avec un apprentissage de l’économie par les jeux, on commence au contraire de manière ludique et empirique en mettant les étudiants dans une situation précise dans laquelle chacun doit prendre des décisions, puis on analyse ex post les résultats (ce qui est un vrai challenge, car l’enseignant ne sait pas réellement ce qu’il va in fine sortir du jeu) et enfin l’enseignant essaye de démêler l’écheveau des faits produits au sein du jeu avec des considérations théoriques. En bref, la procédure est exactement contraire à la manière traditionnelle d’enseigner, en tout cas en économie. Mieux vaut citer directement Vernon Smith à ce propos :<br />
<br />
<div style="text-align: center;"><i>“In the Autumn semester, 1955, I taught Principles of Economics, and found it a challenge to convey basic microeconomic theory to students. Why/how could any market approximate a competitive equilibrium? I resolved that on the first day of class the following semester, I would try running a market experiment that would give the students an opportunity to experience an actual market, and me the opportunity to observe one in which I knew, but they did not know what were the alleged driving conditions of supply and demand in that market”.</i></div></div><div style="text-align: justify;"><br />
En fait, Smith a confié qu’il était lui même sceptique sur les chances qu’il avait initialement d’obtenir un équilibre de marché concurrentiel, et il fut interloqué par les résultats, ce choc fondant les principes de sa révolution scientifique personnelle.<br />
<br />
Le jeu de marché réalisé en première année de licence est donc directement inspiré du jeu de double enchère imaginé par Vernon Smith dans les années 50. Bien que ce jeu soit extrêmement connu, je m’en vais lecteur, t’en donner la recette au cas où tu voudrais agrémenter tes longues soirées entre amis d’un jeu d’un genre un peu spécial (ce jeu peut parfaitement être fait sur papier, mais les temps de réalisation sont alors beaucoup plus longs). Au début de la séance, nous expliquons aux vingt participants (en réalité, ils sont le plus souvent une trentaine, mais certains jouent à deux par machine, ce qui ne pose en réalité aucun problème) qu’ils vont être partagés en dix vendeurs et dix acheteurs ayant à acheter ou vendre un même bien sur un marché. Pour ce faire, le marché va ouvrir pendant une certaine période (disons en moyenne 2 minutes), et pendant ce temps, ils pourront acheter ou vendre 0, 1 ou 2 biens. Les propositions de prix de chaque agent sont affichées en temps réel sur l’écran de chaque participant et les transactions effectivement réalisées affichées (le prix auquel chaque unité a été achetée et vendue s’affiche dans une fenêtre spécifique). Par exemple, pour un vendeur, l’interface informatique ressemble à cela (application développée grâce à ZTree, un logiciel gratuit développé initialement par Urs Fischbacher de l’Université de Zürich) :</div><div style="text-align: justify;"><br />
</div><div style="text-align: justify;"><br />
</div><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgAsd4rHzDaJRj-p0Zu5In9LOl67yopKk-fhbQcBGNDVtQ-mCIAPGwI0mVPEVtCL49oGAstMFl21s4_yqc25GLL9OJIx3CUomLFGZiC8sxl8iSVeE7T4VqS7wm1ELJgdcY7XlAhhyCafV3k/s1600/ztree.png" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="300" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgAsd4rHzDaJRj-p0Zu5In9LOl67yopKk-fhbQcBGNDVtQ-mCIAPGwI0mVPEVtCL49oGAstMFl21s4_yqc25GLL9OJIx3CUomLFGZiC8sxl8iSVeE7T4VqS7wm1ELJgdcY7XlAhhyCafV3k/s400/ztree.png" width="400" /></a></div><div style="text-align: justify;"><br />
</div><div style="text-align: justify;">Tous les acheteurs et les vendeurs obtiennent une information privée, à savoir les valeurs de rachat expérimentales (qui correspondent en fait à la disposition à payer nette ou surplus des biens achetés, puisque l'expérimentateur paye à l'acheteur la différence entre la valeur de rachat et le prix acquitté par l'acheteur pour une unité donnée) et les coûts de production. Tous les acheteurs sont différents les uns des autres, de même que les vendeurs. Par exemple, les valeurs pour les acheteurs sont dans notre application :</div><div style="text-align: justify;"><br />
</div><div style="text-align: justify;"></div><div style="text-align: justify;"></div><div style="text-align: justify;"></div><div style="text-align: justify;"></div><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEge8fRfLFwEN6_rRQodEW0EteNOi5DRW6xMdsXipMMycalAbbt078sC6ROU3PdUmtWliaOW79yv3zXCpFq0hsv3-WhvZ6aXav2r6mSwRJ8CKbogm3qXTfHNrr9H_BUMKCSrIOo1cgN_Li7g/s1600/buyer.png" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="300" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEge8fRfLFwEN6_rRQodEW0EteNOi5DRW6xMdsXipMMycalAbbt078sC6ROU3PdUmtWliaOW79yv3zXCpFq0hsv3-WhvZ6aXav2r6mSwRJ8CKbogm3qXTfHNrr9H_BUMKCSrIOo1cgN_Li7g/s400/buyer.png" width="400" /></a></div><div style="text-align: justify;"><br />
</div><div style="text-align: justify;">La force du jeu, c’est que les acheteurs et les vendeurs ne connaissent pas les caractéristiques des autres participants. La seule information commune à tous est celle des prix proposés à l’achat par les acheteurs et des prix proposés à la vente par les vendeurs. Dès lors, sur le papier, il parait hautement improbable que ces participants hétérogènes arrivent rapidement à se coordonner sur l’équilibre de marché théorique. La prédiction théorique concernant l’équilibre de marché est facile à faire dans la mesure où c’est l’expérimentateur (l’enseignant) qui fixe de manière exogène les préférences des acheteurs et les technologies de production des vendeurs. L’équilibre qui peut être prévu est caractérisé par exemple, dans la première phase du jeu joué par ces étudiants, par des quantités échangées de 18 unités pour un prix d’équilibre compris entre 5 et 6 $ expérimentaux :</div><div style="text-align: justify;"></div><div style="text-align: justify;"></div><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEiR2b5QQNY6mW0L2AWJS02_hOIQcxi9L8GK7306Au6cxzW2hBocBY_j2oo-shKHust8bKldXInt85foVEULTEAIXw9c2FXeJpf8QxQL4VaX5aOzKcp78Qv2pRn1heua8GyxS5vT8RJGe2S6/s1600/Pr%C3%A9sentation_jeux+enclasseL1.png" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="300" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEiR2b5QQNY6mW0L2AWJS02_hOIQcxi9L8GK7306Au6cxzW2hBocBY_j2oo-shKHust8bKldXInt85foVEULTEAIXw9c2FXeJpf8QxQL4VaX5aOzKcp78Qv2pRn1heua8GyxS5vT8RJGe2S6/s400/Pr%C3%A9sentation_jeux+enclasseL1.png" width="400" /></a></div><div style="text-align: justify;"><br />
<br />
Le jeu implique au bout de 7 périodes de marché, un choc sur la demande (cette nouvelle situation de l’économie prévalant pendant 6 périodes), puis finalement un choc sur l’offre.<br />
Les résultats sont spectaculaires, comme ceux de Smith, et ceux chaque fois que ce jeu est réalisé, même si de petites variations curieuses peuvent se produire d’un groupe à l’autre. L’intervalle des prix d’équilibre théorique est donné en rouge sur le graphique suivant et le prix moyen observé en bleu, ce pour un groupe particulier d’étudiants :</div><div style="text-align: justify;"><br />
</div><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgEO2ek-Sdwz5Ez6KhFi8etnsRdWyaHDUXTuPOufPTiZhrSXQjyDi5FePP5OLT3HGkm3J4E6XvoofDdAHJxHDTWTHmOLuL9qFiQuYAGzrv4xyF4LoZ6h3L1EAs2CE7ik8hpKeQQpWp5Zt3O/s1600/Pr%C3%A9sentation1.png" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="300" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgEO2ek-Sdwz5Ez6KhFi8etnsRdWyaHDUXTuPOufPTiZhrSXQjyDi5FePP5OLT3HGkm3J4E6XvoofDdAHJxHDTWTHmOLuL9qFiQuYAGzrv4xyF4LoZ6h3L1EAs2CE7ik8hpKeQQpWp5Zt3O/s400/Pr%C3%A9sentation1.png" width="400" /></a></div><div style="text-align: justify;"><br />
</div><div style="text-align: justify;">Le prix d’équilibre s’ajuste chaque fois au choc que l’enseignant a généré sur le marché. Il faut signaler que ce jeu se fait dans des conditions particulières, sans incitation monétaire d’aucune sorte et, bien que l’on dise aux étudiants de ne pas parler et discuter entre eux, dans ce qui peut parfois ressembler de l’extérieur à une grande foire. En dépit de cela, à l’issue du jeu, quant on leur présente les résultats, la plupart des étudiants sont je crois émerveillés par le niveau de coordination qu’ils ont réussi à avoir sans se concerter spécialement ou sans être particulièrement à la recherche du profit maximal.</div><div style="text-align: justify;">Tous les jeux en classe ne donnent pas des résultats de ce type, il suffit parfois d'avoir des variations infinitésimales dans les règles du jeu pour obtenir des résultats radicalement différents et qui remettent en question la théorie. Un point est important pour tous ceux qui voudraient faire des jeux en classe : les résultats obtenus sont en général assez proches de ceux que l'on obtient dans les sessions d'économie expérimentale, sauf dans le cas des jeux tournant autour de la décision individuelle en situation de risque. Dans cette catégorie, il est important de ne pas rester trop hypothétique dans les conséquences des choix des étudiants lors des jeux. Personnellement, je les paie en bonbons en fonction des points obtenus durant le jeu !<br />
En tout cas, cette approche pédagogique a complétement bouleversé la manière dont j'enseignais et m'a donné une motivation nouvelle. Je crois que, dans l'ensemble, les étudiants sont extrêmement satisfaits de cette méthode. <br />
Moralité : faites des jeux en classe, ca eut payé, ca paye et ca payera...</div>Laurent Denant-Boemonthttp://www.blogger.com/profile/08252381928844005264noreply@blogger.com4tag:blogger.com,1999:blog-6161986843091652284.post-57590738021948236082010-08-28T15:47:00.006+02:002010-09-04T16:24:41.776+02:00Leonard de Vinci ou l'anti-Adam Smith<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEiCAwrQuxw_ILNGIKfvM8KXRGFNw8uG6b0PFB878MN59lf3ke_3R9kQGwfiSgQ-8WZ7dZV24rj2FzdSQD-cTn_CR8uQmZsAK5WYcomlwPCphywlij3SNeiuprBljqfd7k7jzVQjLJrBXihl/s1600/bruce+lee+s3y0nopu.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="263" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEiCAwrQuxw_ILNGIKfvM8KXRGFNw8uG6b0PFB878MN59lf3ke_3R9kQGwfiSgQ-8WZ7dZV24rj2FzdSQD-cTn_CR8uQmZsAK5WYcomlwPCphywlij3SNeiuprBljqfd7k7jzVQjLJrBXihl/s400/bruce+lee+s3y0nopu.jpg" width="400" /></a></div><div style="text-align: center;"></div><div style="text-align: center;">(NB : Leonardo da Vinci – à droite sur la photo -au cours d’une joute mémorable avec Adam Smith- à gauche – dans laquelle ce dernier tentait de lui expliquer le principe de la division du travail)</div><div style="text-align: justify;"><br />
Séjournant en Toscane récemment, je me suis intéressé, comme beaucoup de personnes dans la même situation, à l’exceptionnelle histoire de Florence en particulier durant la Renaissance et, plus spécifiquement à l’artiste qui symbolise sans doute le plus cette période, le rayonnement intellectuel de Florence et le concept d’humanisme, à savoir Leonardo di ser Piero da Vinci (Vinci est le petit village de Toscane d’où vient le grand artiste, au moins ce billet te l’apprendra si tu ne le sais pas, lecteur).</div><div style="text-align: justify;"><br />
Tout a été dit, et sans doute beaucoup de bêtises aussi, sur ce génie protéiforme qu’était Léonard, et je ne vais pas te faire une biographie, lecteur, tel n’est pas mon propos, d’autres hagiographes étant sans doute beaucoup plus compétents que moi. Mais le bonhomme m’a toujours fasciné depuis mon enfance, ne serait que pour son exceptionnel talent de dessinateur, étant un peu sensible à cet art, mais surtout parce qu’il a réuni deux caractéristiques qui me semblent quasi-impossibles à réunir, celle d’être un artiste génial mais également de se révéler un homme de science complet. Tout cela est parfaitement connu, mais ne t’impatientes pas, lecteur, j’en arrive au propos central de ce billet.<br />
<br />
<a href="http://en.wikipedia.org/wiki/Leonardo_da_Vinci">Leonardo</a> avait quasiment toutes les qualités et tous les talents, mais s’il y en sans doute une qui lui faisait sans doute défaut, c’est la capacité à achever les œuvres qu’il commençait, ce dans à peu près tous les domaines qu’il abordait. Pour l’anecdote, Michel Ange, jaloux à mort de son ainé, avait d’ailleurs raillé publiquement son incapacité à achever la monumentale statue équestre de Francesco Forza entreprise en 1492 et jamais achevée, alors que lui avait réussi à mener à terme son monumental David. D’ailleurs, si l’artiste avait une renommée incontestable, il avait également, au moins à Florence, la réputation de ne jamais achever ce qu’il entreprenait.</div><div style="text-align: justify;"><br />
En fait, cette incapacité à achever n’était pas le produit d’une quelconque paresse – l’homme était un bourreau de travail - ou d’un dilettantisme exacerbé, mais parce qu’il lui semblait devoir tout réaliser lui-même, au-delà des connaissances techniques de son temps, ce dans chacune des étapes d’un projet qu’il mettait en œuvre. Devait-il réaliser une fresque, il s’intéressait autant à la composition et aux études préliminaires de celle-ci qu’au support, par exemple un mur. Si le mur lui semblait déficient, il étudiait longuement les moyens de résoudre les problèmes, s’intéressait alors à différents procédés chimiques ou physiques qui le détournaient longuement de l’objet principal. Maints projets entrepris furent comme cela inachevés. Leonardo reste encore aujourd’hui la figure absolue du génie bien sûr - peintre, sculpteur, musicien, architecte, ingénieur, scénographe, anatomiste, (al)chimiste, n’en jetez plus ! surtout quand on sait qu’il fût autodidacte –. Mais, et c’est le point essentiel de mon billet, s’il reste le symbole parfait de l’humanisme, il représente un réel paradoxe dans la mesure où l’on rêve encore de ce qu’il aurait pu achever s’il avait accepté de se spécialiser, en particulier dans le domaine purement artistique (où son apport à la peinture est je crois pour le moins incontestable). En effet, cette difficulté à se spécialiser dans certaines tâches à réduit de manière drastique ce qu’il en reste aujourd’hui de son oeuvre.</div><div style="text-align: justify;"><br />
Tout l'esprit et l’œuvre de Leonardo s’oppose en effet radicalement au principe de division du travail et de spécialisation avancé initialement par Adam Smith, puis par Ricardo, ce principe étant avec l’accroissement des opportunités d’échange une des sources du développement du capitalisme et de notre richesse matérielle.</div><div style="text-align: justify;"><br />
Friedrich Engels avait d’ailleurs noté cela également, dans la <i>Dialectique de la Nature</i>, parlant plus généralement des grands génies de la renaissance :<br />
</div><div style="text-align: center;">"<i>The heroes of that time were not yet in thrall to the division of labour, the restricting effects of which, with its production of one-sidedness, we so often notice in their successors</i>."</div><div style="text-align: justify;"><br />
Cette question est une question que nous nous sommes tous posés un jour ou l’autre. Nous avons en général quelques talents ou intérêts en dehors du domaine professionnel où, la plupart du temps, nous exerçons. En dehors de tout aspect ludique, avons-nous intérêt à exercer ces talents à des fins utilitaires ou au contraire à exercer totalement l’avantage comparatif que nous avons dans un domaine ? La notion de coût d’opportunité est là pour nous montrer que, en fait, il est souhaitable que nous exercions dans le domaine où nous avons le plus grand avantage relatif. Donc Leonardo aurait du s’en tenir à la peinture et utiliser les plus grands ingénieurs ou architectes de son temps en déléguant pour mener à bien les projets qu’il mettait en œuvre dans les domaines où son avantage comparatif était moins grand qu’en peinture. Tout étudiant de premier cycle d’économie connait et comprend cela.</div><div style="text-align: justify;">Le cas de Leonardo est bien évidemment à mettre à part, car on parle sans doute du génie des génies, mais qu’en est-il des gens plus « normaux » comme vous et moi ? Pouvons-nous rester longtemps dans « l’erreur »- magnifique dans le cas de Leonardo- de ne pas comprendre les avantages de la spécialisation dans un cadre d’échange ?</div><div style="text-align: justify;"><br />
Toute la question est donc de savoir si les agents économiques découvrent spontanément les vertus de la spécialisation et de l’échange tels qu’ils furent avancés par Adam Smith et David Ricardo. C’est à peu de choses près l’objet de l’expérience réalisée par S. Crockett, V. Smith et Bart Wilson, dont les résultats ont été <a href="http://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/j.1468-0297.2009.02254.x/abstract">publiés</a> dans l’<i>Economic Journal</i> en 2009. Je vais essayer de résumer les principaux résultats et de donner l’intuition de cette expérience qui est en fait assez complexe.</div><div style="text-align: justify;"><br />
Dans leur expérience, les participants ont des préférences exogènes sur les possibilités de consommation (il ya deux biens de consommation) et des caractéristiques en termes de technologie de production (ils peuvent produire les deux biens de consommation). Il y a deux types de sujets, les sujets appartenant à un type ayant des préférences et des technologies de production différentes de celles de l’autre groupe, tous les sujets appartenant au même village virtuel. Les sujets ne connaissant pas la distribution des types ou les préférences/technologies des autres sujets. Par contre s’ils connaissent leurs préférences, leur dotation en temps, ils ne connaissent pas toujours leurs technologie de production (cela dépend des traitements). Basiquement, les participants font au cours de chaque période de jeu, d’abord un choix de production puis un choix de consommation. Ils peuvent rester en autarcie, ou essayer de réaliser des échanges avec d’autres participants, sachant que un des intérêts de cette expérience est précisément qu’ils doivent découvrir eux-mêmes qu’il est possible d’échanger et qu’ils ont dès lors intérêt à se spécialiser. En d’autres termes, le cadre institutionnel mis en œuvre dans le laboratoire est très souple et ne les pousse pas vers l’échange et la spécialisation. Pourquoi ne pas informer les sujets qu’il est possible d’échanger ? Ils le rappellent en citant Adam Smith lui- même : « <i>As it is the power of exchanging which gives occasion to the division of labour, so the extent of this division will always be in proportion to the extent of that power</i>.”. </div><div style="text-align: justify;"></div><div style="text-align: justify;">En clair, les processus d’échange et de division du travail, les deux processus se renforçant, doivent être découverts et validés par les agents au cours d’un processus d’apprentissage dans lequel chacun trouve son intérêt. Pour mettre en œuvre ce processus de découverte, au cours de l’expérience, les sujets peuvent donc communiquer de manière totalement libre, ce afin que chacun cherchant son intérêt propre conduise in fine la collectivité à son maximum d’efficacité (le gain obtenu avec échange et spécialisation est le triple du gain que peut obtenir un participant en autarcie).</div><div style="text-align: justify;">Un exemple du type de communication réalisé par les sujets, juste pour le plaisir :</div><div style="text-align: justify;"></div><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhGgKsMIU6styQD-_W9rthOCQASMx0Iz1xz_ylg98vw1_lE8Ln6nDBBz8OWzbIWvjCHe-9SlZdDZF39Us-IP0nwxv2eaTm5IhyphenhyphennoaypOePytrGcMyprAx-Hx4ebomOaDsP3kawDxjzyZbpz/s1600/info+smith.png" imageanchor="1" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="480" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhGgKsMIU6styQD-_W9rthOCQASMx0Iz1xz_ylg98vw1_lE8Ln6nDBBz8OWzbIWvjCHe-9SlZdDZF39Us-IP0nwxv2eaTm5IhyphenhyphennoaypOePytrGcMyprAx-Hx4ebomOaDsP3kawDxjzyZbpz/s640/info+smith.png" width="640" /></a></div><div style="text-align: justify;">source : Crockett, Smith and Wilson, 2009, p.1183</div><div style="text-align: justify;"><br />
</div><div style="text-align: justify;">Les traitements expérimentaux consistent essentiellement à faire varier le nombre de participants au sein d’un groupe et le niveau d’information sur sa propre technologie de production.</div><div style="text-align: justify;">Comme toujours les résultats amènent des questions : dans tous les traitements réalisés, il y au moins quelques participants qui restent toujours en autarcie et qui ne découvrent donc jamais (ou refusent de découvrir) les vertus de l’échange et de la spécialisation. Il y a également des participants qui découvrent immédiatement leur avantage comparatif et le mettent en œuvre. Par ailleurs, quand les participants échangent, notamment dans les groupes nombreux, les échanges ne sont pas multilatéraux mais plutôt bilatéraux.</div><div style="text-align: justify;">Mais revenons à notre propos sur la spécialisation. Sachant que l’optimum de Pareto correspond à 100% des participants qui se consacrent à la production d’un des deux biens dans lequel chacun a un avantage comparatif (qu’ils doivent éventuellement découvrir s’ils ne connaissent pas leur technologie de production), le nombre de spécialistes (les sujets qui affectent au moins 90% de leur dotation en temps à l’activité comportant un avantage comparatif) croit en général dans le temps, au cours des périodes de répétition (il y en a quarante) mais varie beaucoup selon les traitements. En moyenne, il est de 50%, mais tend à être significativement plus faible quand la taille du groupe est importante et que les technologies de production sont initialement inconnues que quand la taille du groupe est faible et les technologies primairement connues par les participants.</div><div style="text-align: justify;"><br />
</div><div style="text-align: justify;">La morale de tout cela, c'est qu'il n'est nullement évident de participer à l'échange et de se spécialiser, même si cela paraît conforme à son intérêt et que les individus le savent pertinemment. Comme le notent ultimement Crockett et al, 2009, leur expérience prouve que l'échange est un phénomène avant tout social et qui a d'autant plus de chances de se produire et de se consolider que l'on est dans des relations bilatérales. Donc, si Leonardo ne s'est pas spécialisé, c'est peut être qu'il n'accordait sa confiance que de manière parcimonieuse à ses contemporains, et qu'il avait sans doute une vision assez négative de la nature humaine...</div>Laurent Denant-Boemonthttp://www.blogger.com/profile/08252381928844005264noreply@blogger.com8tag:blogger.com,1999:blog-6161986843091652284.post-40449526429035557232010-07-16T13:40:00.005+02:002010-07-17T10:00:39.470+02:00La fin de "Lost" et le dilemme du volontaire<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEik5QBfSHiOP2RDPGHvjVtyZgCh4EKgXCT72rvvaVuKCrffgBd1NUl_j3TMxXzTc-0rY2p6ABAirKJrSbSn9AHxcOwsbdVVmdH4tlf81VnnWAdgCy2yI9OLeQKv1IlV3YJ_sh-se8VC2pa3/s1600/poster_lost_the_final_season_carlost_fanmade_01.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="172" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEik5QBfSHiOP2RDPGHvjVtyZgCh4EKgXCT72rvvaVuKCrffgBd1NUl_j3TMxXzTc-0rY2p6ABAirKJrSbSn9AHxcOwsbdVVmdH4tlf81VnnWAdgCy2yI9OLeQKv1IlV3YJ_sh-se8VC2pa3/s400/poster_lost_the_final_season_carlost_fanmade_01.jpg" width="400" /></a></div><div style="text-align: justify;"></div><div style="text-align: justify;"></div><div style="text-align: justify;"><br />
J’ai lu récemment un reportage dans le Nouvel Obs qui présentait des philosophes et autres penseurs académiques qui utilisaient les séries télévisées (Lost, les soprano, etc.) pour étayer leur argumentaire scientifique ou leurs présentations pédagogiques (ou encore <a href="http://fr.lostpedia.wikia.com/wiki/Philosophie">ici</a> pour illustrer mon propos). Je tiens à dire, cher éditeur du Nouvel Obs, que j’étais un peu déçu de ne pas avoir été mentionné, moi qui ennuie mes lecteurs avec des films improbables et autres séries télévisées plus ou moins brillantes pour illustrer mes propos économiques. Comme le disait Calimero, penseur italien bien connu dans les années 70-80, « c’est vraiment trop injuste.. »</div><div style="text-align: justify;">Bah, je ne serai reconnu qu’après ma disparition (la plus tardive possible j’espère) et mon apport sera enfin estimé à sa juste valeur, au sein de la blogosphère économique équivalent sans nulle doute à l’œuvre de Pascal Obispo au sein de la pop mondiale.<br />
</div><div style="text-align: justify;"><i>[Bon, en même temps, mon espoir est modeste…]</i></div><div style="text-align: justify;"><br />
L’ultime saison de Lost vient d’être diffusée sur une chaine bien connue et un des ultimes épisodes m’a inspiré ce billet. Lors d’une scène cruciale, Jacob, personnage mystérieux qui est chargé de la protection de l’ile, déclare à Sawyer, Hurley, Kate et Jack, qu’il doit trouver un volontaire pour prendre son relai, sa capacité à protéger l’ile s’achevant d’ici peu. Il leur explique que, dans le cas où aucun volontaire parmi eux ne se désignerait, le mal déferlerait sur le monde (je simplifie un peu mais je n’ai pas envie de barber le lecteur qui s’intéresse peut être à "Lost" autant que je m’intéresse à « Plus belle la vie »). Jack, comme frappé de révélation depuis quelque temps, se propose comme volontaire presque immédiatement, mettant ainsi fin au dilemme qui se pose au petit groupe des survivants réunis par Jacob.</div><div style="text-align: justify;">On se dit que cette andouille de Jacob aurait pu proposer ce choix un peu plus tôt dans la série, alors que la plupart des protagonistes sont morts. En effet, faisant cette proposition à un moment où il ne reste grosso modo que quatre personnages, il a moins de chances d’obtenir l’accord d’un volontaire qu’au début de la série ou même simplement de cette dernière saison, les volontaires potentiels étant beaucoup plus nombreux.</div><div style="text-align: justify;"><br />
Mettons nous dans la situation. Imagines toi, lecteur, au cours d'une ballade le long de la Seine lors des sessions de Paris Plage. Au sein d’une foule dense, tu réalises soudain qu’un homme est tombé à l’eau et qu’il est train de se noyer. Il s'appelle Marcel, vient de Franche Comté et rend visite à sa belle-mère...<br />
<br />
[<i>Cela n'a strictement aucun intérêt mais c'est pour provoquer un suspense totalement artificiel et donner un peu de chair à mon propos</i> <i>afin </i>que <i>toi lecteur, tu sois suffisamment accroché pour aller jusqu'à la fin de ce long billet</i>].<br />
<br />
Toutes les personnes présentes l’ont entendu crier à l’aide. Manifestement, d’après ce que tu as pu en voir, c’est un costaud, probablement autour d’1m90 et 100 kgs au bas mot. Il y a donc un risque à tenter de l’assister : comme il semble pris de panique, il peut très bien t'entrainer avec lui en se débattant. Vas-tu prendre le risque de te jeter à l’eau pour le sauver ou vas-tu attendre qu’une personne présente prenne cette décision à ta place ? Après tout, tu pourrais penser que, étant très nombreux, il y a forcément une personne qui se décidera avant toi et réussira sans doute à sauver l’homme en question.<br />
<br />
C’est ce phénomène qui est décrit dans le jeu du "dilemme du volontaire" (<i>volunteer's dilemma</i>), présenté par Diekmann en 1986. On parle de dilemme du volontaire dans la mesure où on décrit une situation dans laquelle les gens préfèrent que quelqu’un d’autre qu’eux-mêmes soit volontaire pour faire quelque chose, mais préfèrent quand même être volontaire dans le cas où ils peuvent être sûrs que personne ne l’est. Le lecteur qui voudrait plus de détails peut se reporter utilement à l’un sinon mon ouvrage culte en matière d’enseignement de la microéconomie, et que j’utilise régulièrement dans ce blog, <i>Markets, games and strategic behavior</i>, de Charles A. Holt.</div><div style="text-align: justify;"></div><div style="text-align: justify;"><br />
<i>[J'allume d'ailleurs des cierges pour Charlie à notre dame de Paimpont chaque dimanche que Dieu fait]</i></div><div style="text-align: justify;"><br />
D’un point de vue plus général, y a-t-il plus de chances de trouver un volontaire au sein d’un groupe pour faire quelque chose de coûteux individuellement quand le nombre des membres du groupe est élevé ou faible ? L’intuition pousserait à répondre que, plus le nombre de personnes est élevé, plus la chance d’avoir au moins un volontaire qui se désigne est grande.</div><div style="text-align: justify;"><br />
Cette intuition est confirmée par une analyse théorique simple. Pour expliciter un peu mieux le problème, supposons une foule immense constituée de deux personnes et faisons l’hypothèse que, si la personne est sauvée, chaque personne appartenant à cette foule gagne V. Tout le monde souhaite ardemment que l’individu en détresse soit sauvé, et le sauver est donc une sorte de bien public. Si je suis le volontaire, il m’en coutera C (C peut très bien représenter un coût espéré). Si la personne n’est pas sauvée, chaque individu « gagne » L. Pour qu’il n’y ait pas d’équilibre de passager clandestin dans ce jeu (c’est-à-dire une situation dans laquelle personne ne sauve l’individu, ce qui nous ferait retomber sur un problème très classique), supposons par ailleurs que V-C soit plus grand que L, ce qui signifie que même si je supporte le coût de sauvetage, ma situation est meilleure en ayant sauvé que dans la situation où personne n’a joué les sauveteurs.<br />
<br />
Compte tenu de ces hypothèses, deux équilibres (de Nash) asymétriques sont possibles, l’un dans lequel je suis volontaire et l’autre ne l’est pas, et l’autre dans lequel je ne suis pas volontaire et l’autre l’est. Les situations symétriques dans lesquelles il n’y a aucun volontaire et où tout le monde est volontaire ne sont pas des équilibres du jeu.<br />
<br />
Par ailleurs, comme dans tous les jeux de coordination, il existe un équilibre symétrique en stratégies mixtes, dans lequel chaque joueur a une probabilité p d’être volontaire et une probabilité (1-p) de ne pas l’être. Supposons qu’il y ait <i>n</i> joueurs. En tant que joueur, pour déterminer la probabilité avec laquelle je vais accepter d’être volontaire, je dois rendre équivalent le gain que j’aurais à être volontaire au gain espéré que j’aurai à ne pas l’être. On peut montrer assez facilement que la probabilité pour chaque joueur de ne pas être volontaire est :</div><div style="text-align: justify;"></div><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEidamLx-3m1TxjGwHLKk1pgewkGh2sOMjw2-_RsxsBgNyKfCIIN8lTDb4OrPqHy0BfljczTyFz_78KnH0y8FXLfAQ7tRb440fZq2o_fdKXqiGMF_J95ypkqEbWtjRtIp4qw-Mts2IIT9Y2p/s1600/probavol.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEidamLx-3m1TxjGwHLKk1pgewkGh2sOMjw2-_RsxsBgNyKfCIIN8lTDb4OrPqHy0BfljczTyFz_78KnH0y8FXLfAQ7tRb440fZq2o_fdKXqiGMF_J95ypkqEbWtjRtIp4qw-Mts2IIT9Y2p/s320/probavol.jpg" /></a></div><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"></div><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"></div><div style="text-align: justify;"><br />
La probabilité d’être individuellement volontaire de manière intuitive, décroit quand C augmente, croit quand (V-L) augmente et décroit quand <i>n</i>, la taille du groupe augmente.<br />
Par conséquent, la probabilité dans un groupe de <i>n</i> joueurs qu’il y ait aucun volontaire est (1-p)^n, soit si on utilise l'équation ci-dessus :<br />
<br />
</div><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEiS4QDyxUHLeCb94cTMUsnmdQ_MzCPIeKuaMY_4-e6XXNw6dAdrmbmdy57AmjhAZI2_LFsr3fT5i1Lrhmw1sAVEOQAcnMfFVM_xOkA2MFmNmMytJx1XnsNMhyJLzstVylWgnMvQnEG9zsLe/s1600/probaaucunvol.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEiS4QDyxUHLeCb94cTMUsnmdQ_MzCPIeKuaMY_4-e6XXNw6dAdrmbmdy57AmjhAZI2_LFsr3fT5i1Lrhmw1sAVEOQAcnMfFVM_xOkA2MFmNmMytJx1XnsNMhyJLzstVylWgnMvQnEG9zsLe/s320/probaaucunvol.jpg" /></a></div><div style="text-align: justify;"></div><div style="text-align: justify;"><br />
</div><div style="text-align: justify;">La probabilité qu’il n’y ait aucun volontaire parmi les <i>n</i> joueurs croit donc avec la taille du groupe (quand <i>n </i>tend vers l’infini, cette probabilité converge vers la valeur du ratio entre C et V-L). D'un point de vue théorique, plus la taille du groupe est importante, plus la probabilité qu'il n'y ait aucun volontaire augmente, même si, à partir d'un certain seuil de taille, elle augmente de moins en moins vite.<br />
<br />
L’évidence expérimentale est assez intriguante sur un tel jeu : la probabilité d’être individuellement volontaire telle qu’on l’observe semble bien décroitre avec n, comme le prédit l’équilibre de Nash, (première équation) mais, contrairement au modèle théorique, la probabilité qu’il n’y ait aucun volontaire ne s’accroit pas avec <i>n </i>(ce que dit la seconde équation).</div><div style="text-align: justify;"><br />
Franzen a par exemple réalisé en 1995 une série d’expériences dans lesquelles chaque participant doit décider une seule fois d’être volontaire ou non pour réaliser une certaine tâche profitable à tous. La taille du groupe varie selon les expériences, les autres paramètres du jeu restant identiques (principalement V, C et L ; la valeur de V-L est de 100$ et la valeur de C de 50$). L’un de ses principaux résultats est que le taux de volontariat (ratio entre le nombre de personnes qui se déclarent volontaires et le nombre de personnes présentes dans le groupe) décroit au fur et à mesure que la taille du groupe augmente. Par exemple, pour des groupes de deux personnes, ce taux est de 65% mais pour des groupes de 50 personnes, il n’est que de 20%. Ceci est conforme avec l’idée que la probabilité pour un individu d’être volontaire décroit avec <i>n</i>.<br />
<br />
Par contre, quand la taille du groupe est de n = 2, la fréquence de l’évènement « il n’y a aucun volontaire » est d’environ 12%. Quand n = 50, cette fréquence est proche de zéro. Il y a donc empiriquement toujours un volontaire quand la taille du groupe est suffisamment grande. Au-delà d’une taille d’environ 10 personnes, il y a toujours quelqu’un qui se sacrifie pour le bien être commun (alors que la probabilité qu’il n’y ait aucun volontaire devrait converger vers 50$/100$ soit ½). Quand n = 4, comme à la fin de Lost, la probabilité qu’il n’y aucun volontaire pour protéger l’ile est d’environ 7% selon les résultats de l’expérience de Franzen. C'est faible mais significativement plus grand que zéro.<br />
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</div><div style="text-align: justify;">Bref, Jacob aurait du proposer la chose au début de la saison 1 quand le nombre de rescapés sur l’ile était très grand. Mais il faut reconnaître que personne n’aurait rien compris et surtout que cela n’aurait eu aucun intérêt narratif, car les scénaristes n’auraient pu nous tenir en haleine pendant les six saisons qu’ils ont utilisées pour faire disparaître une partie des rescapés de l’ile.</div><div style="text-align: justify;">La moralité (expérimentale) à tirer de cette histoire est qu’il vaut mieux avoir à désigner un sacrifié dans une grande foule que dans un petit groupe, vous avez plus de chance de pouvoir vous défiler.<br />
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Sur cette grande leçon de philosophie économique et d'héroïsme quotidien, pleine d'un cynisme que je n'accepte moi-même que difficilement, je pense qu’il est grand temps pour moi de partir en vacances pour reposer mes neurones fatigués et te dire, lecteur, à très bientôt pour de nouvelles aventures...</div>Laurent Denant-Boemonthttp://www.blogger.com/profile/08252381928844005264noreply@blogger.com6tag:blogger.com,1999:blog-6161986843091652284.post-90432165668893403882010-06-27T14:21:00.001+02:002010-06-27T14:23:19.975+02:00Le Nouveau Parti Anticapitaliste ? Plus utilitariste, tu meurs !<div style="text-align: justify;"><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhqnJ3Xi8M7RUnwV32hStT5h4S6bo9DQyL1tM-LBw3416a2eEhuC50fUQpxjiCKkBBtCmovlwHlYV7R1ijIrQ07DDLnH8_csD7RGIWKX728yP8bOspzqE1YnoVaaIJERlYF30t9fvTrgA5p/s1600/politicians.gif" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="357" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhqnJ3Xi8M7RUnwV32hStT5h4S6bo9DQyL1tM-LBw3416a2eEhuC50fUQpxjiCKkBBtCmovlwHlYV7R1ijIrQ07DDLnH8_csD7RGIWKX728yP8bOspzqE1YnoVaaIJERlYF30t9fvTrgA5p/s400/politicians.gif" width="400" /></a></div><br />
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Il m’arrive de regarder Canal Plus à mes moments perdus, plus par nostalgie pour la période bénie des années 80 où il y avait des choses intéressantes sur cette chaine. Du reste, nous n’étions pas si nombreux à la regarder à ce moment là, et dans ces années 80 où je croyais encore que je deviendrai plus tard le capitaine Tanguy et ne pensait pas à l’économie autrement qu’en baillant aux chroniques assommantes de jean-marc Sylvestre, regarder cette chaine était la marque des personnes « branchées »…<br />
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[<i>Que je ne t’entende pas penser, lecteur, que le modeste auteur de ce blog tient plus de Laverdure que de Tanguy. De toute façon, j’ai toujours préfére Buck Danny à Tanguy et Laverdure. Mais bon, difficile à l’époque pour un petit bourguignon de s’identifier à un pilote de chez l’oncle Sam, alors que l’escadrille des cigognes est sise à Dijon.</i>]<br />
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.. Digression mise à part donc, lors du Grand Journal de Canal Plus qu’il m’arrive de suivre, je découvre le facteur Cheval de la politique française (on verra que cette métaphore osée n’est pas totalement gratuite), Olivier Besancenot, à qui l’on demande de donner son opinion sur les récentes affaires de rémunération de diverses personnalités politiques pour remplir des missions dont l’intérêt n’est pas évident a priori.</div><div style="text-align: justify;"><br />
[<i>Ne comptes pas me faire dire, lecteur, qu’il s’agit de la mission grassement payée de Christine Boutin sur les enjeux de la mondialisation</i>]</div><div style="text-align: justify;">Là, ce brave Olivier jette tout de go à la face de la caméra une des propositions phares du NPA : la rémunération des élus doit être fixée en fonction du revenu moyen de la population française., soit actuellement 1800 euros.</div><div style="text-align: justify;"><br />
[<i>je l’ai entendu en live dire cela, mais n’ai pas réussi à retrouver cette proposition sur le site du NPA, particulièrement touffus il faut dire. Mais je l’ai retrouvé <a href="http://www.socialisme-et-souverainete.fr/ext/http://www.socialisme-et-souverainete.fr/article-27602241.html">là</a> . Si, lecteur, tu trouves une source plus directe et plus explicite je suis preneur ! Cela me permettra au moins d'illustrer mes cours sur la théorie des choix sociaux...</i>]</div><div style="text-align: justify;"><br />
J’ai trouvé cette proposition assez amusante personnellement, si on adopte encore une fois les lunettes de l’économiste, et pour tout dire au final assez incohérente avec le projet politique final qui me semble être celui du NPA, à l’égard duquel je n’ai aucune sorte d’animosité je le précise. Toutefois, comme le disait Audiard, « faut pas prendre les enfants du bon dieu pour des canards sauvages ».<br />
En effet, à quoi peut correspondre cette proposition d’un point de vue économique ? Au-delà de l’idée de base que les élus sont comme tout le monde et doivent être payés comme tout le monde, faire une telle proposition implique certainement, entre autres choses, que l’on pense que les élus ont en quelque sorte une obligation de résultat. En effet, s’ils n’améliorent pas la situation matérielle de la population, leur propre situation ne s’améliorera pas. Vous allez me dire que j’interprète la proposition du NPA d’une manière qui n’a pas lieu d’être, et peut être est-ce le cas, mais j’estime devoir être pragmatique et pousser l’esprit d’une telle mesure dans ces conséquences ultimes pour en évaluer les conséquences.</div><div style="text-align: justify;"><br />
Baser l’évolution du niveau des élus sur le bien être moyen de la population est une vision assez spécifique de ce que les économistes appellent la fonction de bien être social. En fait, sans rentrer encore dans les grands débats théoriques ou éthiques, se fonder sur le revenu moyen est assez curieux du point de vue d’un parti dont l’un des principes est je pense l’égalité des situations ou l’égalité des chances à tout le moins, Toute personne qui a des bases minimales de statistique peut comprendre cela sans aucun problème. En effet, si je suppose que j’ai deux individus et que l’un a un revenu de 0€ et l’autre de 4000€, alors le revenu moyen est de 2000 euros, en supposant que les deux individus ont le même poids dans le bien être social du point de vue de l’élu. Il gagne alors personnellement 2000 euros. Si par une mesure fiscale quelconque (genre « niche »), il fait passer le revenu du plus riche à 5000 euros mensuels, alors son propre salaire augmente de 500 euros, puisque le revenu moyen est de 2500 euros. En gros, il n’a aucune incitation particulière à augmenter le revenu des individus les plus pauvres de la société.<br />
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Keynes disait dans la théorie générale que "<i>L</i>es <i>hommes d'action qui se croient parfaitement affranchis des influences doctrinales sont d'ordinaire les esclaves de quelque économiste passé</i>", et la position actuelle du NPA en est une brillante démonstration. Le schéma de rémunération des élus qu’il propose revient de facto à doter les élus, le décideur public plus généralement, d’une fonction de bien être social qui a une forme très spécifique. Ce concept de fonction de bien être social, proposée il y a plus de 70 ans par Bergson en 1938 et explicitée par Samuelson en 1947, doit obéir à certains principes de base, en fait assez intuitifs.La fonction de bien être social dit de quelle façon un décideur public soucieux de l'intérêt général prend en considération la position personnelle de tous les individus présents dans la société, c'est-à-dire la manière dont il s'appuie sur les utilités individuelles pour définir le niveau de bien être social. (voir cet article de <a href="http://en.wikipedia.org/wiki/Social_welfare_function">wikipedia</a> assez bien fait) De nombreuses conceptions différentes de cette fonction sont possibles (voir ce très bon billet <a href="http://lsolum.typepad.com/legaltheory/2009/08/legal-theory-lexicon-social-welfare-functions.html">là</a>), et ce billet ne fait qu'effleurer un débat théorique qui reste encore nourri actuellement.<br />
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En particulier, cette fonction de bien être social est dite utilitariste ou utilitarienne ou encore benthamienne (du nom de Jeremy Bentham, philosophe anglais de la seconde moitié du 18ème siècle qui fonde la doctrine utilitarienne selon laquelle un individu « Agis toujours de manière à ce qu'il en résulte la plus grande quantité de bonheur ») si elle prend la forme spécifique proposée par le même Bentham, à savoir :</div><div style="text-align: justify;"><br />
<div style="text-align: center;">“<i>The interest of the community then is – what? The sum of the interests of the several members who compose it.”</i> (Cité par Mueller (2003), Public Choice.</div></div><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"></div><div style="text-align: justify;"><br />
En clair, le bien être social est la somme des bien –être des individus qui composent la société. Bien évidemment, à population constante, somme et moyenne représentent certes des concepts différents mais aboutissent aux mêmes résultats. La moyenne des revenus étant la somme des revenus divisée par une valeur n que l’on va supposer constante, et qui représente la taille de la population, dire que l’on augmente de 1000 euros le revenu du plus riche dans mon exemple ci-dessus signifie que l’on augmente la somme des revenus de 1000 euros et que cela est bon pour la société. Du point de vue de l’équité, cette manière de voir les choses est assez spéciale, puisqu’elle implique qu’un état de la distribution des richesses dans lequel Robinson possède tout et Vendredi ne possède rien est équivalent pour le décideur public à un état de la distribution des richesses dans lequel celles-ci sont distribuées en parts égales à Vendredi et Robinson. Dans le graphique ci-dessous, on a représenté une courbe d'indifférence (c'est-à-dire un niveau d'utilité sociale constant pour toutes les niveaux possibles de l'utilité des deux individus qui composent la société) pour le décideur public dans le cadre de cette conception du bien être social :</div><div style="text-align: justify;"><br />
</div><div style="text-align: justify;"><br />
</div><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEiRs0jo3yPOVa97G8V2FMgBqHGB34rWODLdtm5IvJdO5sXCjXCVR8BqZxEyZvvqcuOMD9tGBrcVZZ1i2Edi5RVleSX4520RtOye2GF1N_StID-CKW6yfWNV-yu2el_9c1SYwINUQ6YOUrHu/s1600/bentham.png" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEiRs0jo3yPOVa97G8V2FMgBqHGB34rWODLdtm5IvJdO5sXCjXCVR8BqZxEyZvvqcuOMD9tGBrcVZZ1i2Edi5RVleSX4520RtOye2GF1N_StID-CKW6yfWNV-yu2el_9c1SYwINUQ6YOUrHu/s320/bentham.png" /></a></div><div style="text-align: justify;"><br />
</div><div style="text-align: justify;"></div><div style="text-align: justify;"><br />
C’est assez surprenant comme manière de voir les choses de la part du NPA. J’aurai plutôt attendu naïvement, que, quitte à être révolutionnaires, ils proposent que les élus soient rémunérés sur la base du revenu minimal des individus qui composent la société française, une fonction proposée par le philosophe John Rawls en 1974 dans Theory of Justice :</div><br />
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"></div><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"></div><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhbQbOJpArglNORDHeH7t6M1ai1t0uKi4cbhCJUFCQCrdvyhCBTvbvgASKwdtPwFHkYVUPzXPDyThtIosuN1SFKawEYOalsKYx5yMEpMShsRGN5xB9VhEhJWVvfXfc3NxR8fMyTaSXWXu0T/s1600/rawls.png" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhbQbOJpArglNORDHeH7t6M1ai1t0uKi4cbhCJUFCQCrdvyhCBTvbvgASKwdtPwFHkYVUPzXPDyThtIosuN1SFKawEYOalsKYx5yMEpMShsRGN5xB9VhEhJWVvfXfc3NxR8fMyTaSXWXu0T/s320/rawls.png" /></a></div><div style="text-align: justify;"><br />
</div><div style="text-align: justify;">Dans cette conception du bien être social, le niveau de bien être est défini par le minimum des utilités de tous les individus qui composent la société, ce que Rawls justifie par le fameux "voile d'ignorance", et pas par une quelconque vision extrêmement charitable de la distribution des revenus. Ou encore, conscients de la difficulté d'un tel programme, les militants du NPA pourraient proposer une vision du bien être social à la Bernoulli-Nash, l'utilité sociale étant e produit des utilités individuelles :</div><br />
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgMjdlzA0jKCiHkj_xXLYDyftLEesvgT-_4v4r9fKsS6iaB1kVtEALrgBWKAiohEff4GV4ExXGys4_VA1PjLN-pc2tEatDcDQlgFpuBbrKaqfSoFoRQCcoqRuyVgVcJB1IR0X7WHglxlQ_B/s1600/nash.png" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="300" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgMjdlzA0jKCiHkj_xXLYDyftLEesvgT-_4v4r9fKsS6iaB1kVtEALrgBWKAiohEff4GV4ExXGys4_VA1PjLN-pc2tEatDcDQlgFpuBbrKaqfSoFoRQCcoqRuyVgVcJB1IR0X7WHglxlQ_B/s400/nash.png" width="400" /></a></div><div style="text-align: justify;">L'intérêt éventuel d'une telle conception est que, si Vendredi n'a rien (son utilité est nulle), alors le bien être social est nul, même si Robinson est infiniment riche. Par ailleurs, plus les utilités des individus sont proches, plus le produit est élevé.</div><div style="text-align: justify;"><br />
</div><div style="text-align: justify;">J'avoue que je pouffe à l'idée qu'Olivier Besancenot, probablement sans le savoir, invoque Jeremy Bentham comme compagnon d'une hypothétique grande marche vers une société dans laquelle le capitalisme ne serait plus qu'un lointain souvenir. De mon point de vue, c'est un peu comme si Schwarzenegger justifiait ses choix de carrière cinématographique en évoquant l'oeuvre de Eric Rohmer...</div>Laurent Denant-Boemonthttp://www.blogger.com/profile/08252381928844005264noreply@blogger.com6tag:blogger.com,1999:blog-6161986843091652284.post-29423822785229232452010-06-13T10:14:00.005+02:002010-06-13T21:34:32.782+02:00"Yes Man" ou la tentation de l'engagement<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjhHPnHTJkbl8B5B7cBB-YDPQdzOkI4h4vtOBa2S7H69dtMJV-DNtm7iLXLBMBoD816yK8I_15BMtUQqCQEvA_cJ2RlUDZE2txyfpRVmHyvqIBadbcFjHCUCTlbTT22Oh8IMTMeXUQ2WR_-/s1600/yes_man_movie_image_terence_stamp_and_jim_carrey.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="267" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjhHPnHTJkbl8B5B7cBB-YDPQdzOkI4h4vtOBa2S7H69dtMJV-DNtm7iLXLBMBoD816yK8I_15BMtUQqCQEvA_cJ2RlUDZE2txyfpRVmHyvqIBadbcFjHCUCTlbTT22Oh8IMTMeXUQ2WR_-/s400/yes_man_movie_image_terence_stamp_and_jim_carrey.jpg" width="400" /></a> </div><div style="text-align: justify;"></div><div style="text-align: justify;">Il paraît que, dans les blogs, il est de bon ton de se confier, au moins un petit peu. Alors, oui, lecteur, j'avoue, je suis un indécrottable fan de Jim Carrey… Désolé, lecteur, si je te déçois, mais je le tiens pour un authentique génie comique, sans hésiter à la hauteur de Jerry Lewis.</div><div style="text-align: justify;">Etant fan de ses prestations dans Saturday Night Live, ou de son imitation des vélociraptors de Jurassic Park à la cérémonie des oscars en présence de Steven Spielberg – séquence d’anthologie bien connue-, mais également de presque toute sa filmographie (oui, même « Dumb and Dumber » et « Ace Ventura »…)…</div><div style="text-align: justify;"><br />
[<i>A ce moment là, des lecteurs outrés pensent que c’en est trop </i><i>- Non ! Quand même, pas Ace Ventura ! -</i><i> et zappent sur le blog nettement plus classe de Olivier Bouba-Olga ou des amis de Mafeco</i>]</div><div style="text-align: justify;">… Je disais donc, avant d’être interrompu par le fil de mes propres pensées, que, étant fan de presque toute sa filmo, j’ai découvert avec délectation l’un de ses derniers opus, qui est à mon humble avis un des meilleurs depuis longtemps, « Yes Man ».<br />
Le pitch en deux phrases. Jim est, dans ce film, un triste sire qui n’a plus le goût de la vie. Chaque fois que la moindre proposition lui est faite pour le sortir de son ennui chronique, il répond négativement, inventant des prétextes tous plus fallacieux les uns que les autres.. Du coup, ses amis le délaissent petit à petit et il s’enfonce dans la dépression chronique. Il rencontre alors un gourou qui prèche la bonne parole, la clé du bonheur étant pour lui de dire « oui » à la vie, c’est-à-dire d’acquiescer à toutes les opportunités que le destin propose. Pris à témoin par ce gourou, incarné avec malice par le grand Terence Stamp, Jim s’engage alors à devenir un « yes man » devant toute la communauté des illuminés qui suivent cette règle de vie. Bien évidemment, tout le ressort comique du film vient des conséquences liées aux multiples propositions que Jim reçoit et auxquelles il répond sempiternellement "oui".<br />
En fait, c’est un film intéressant pour illustrer la question du libre arbitre et de l'engagement personnel. Ce qui m’a encore un fois intéressé, c’est que, du point de vue de la rationalité économique standard (hors d'une quelconque préférence sociale), encore une fois, le propos ne tient pas une seconde. Il est en effet aberrant de renoncer à la possibilité de choisir et d’optimiser pour chaque situation de choix. Est-ce aussi aberrant que cela ?<br />
<br />
[<i>Un lecteur m'ayant déjà fait remarquer que la plupart des comédies tiennent à des situations ou à des choix qui sont aberrants, et qu'il est donc aisé a priori de puiser dans le cinéma, pour parler d'irrationalité dans les comportements, je vous lance un défi : existe-t-il une comédie qui repose intégralement sur les conséquences d'un comportement obséquieusement rationnel au sens des économistes ? Personnellement, je ne vois pas, mais il y a peut être quelque chose à creuser pour les scénaristes en mal d'inspiration.</i>] </div><div style="text-align: justify;"><br />
Une des interprétations que je fais du film est que, face à la tentation que Jim a de toujours dire non à toutes les propositions, qui est la solution la plus simple à ses yeux sur le court terme, il se contraint par ce contrat moral à s’empêcher de faire autre chose que d’accepter. Encore une fois, nous sommes dans un problème de procrastination que j’ai fréquemment évoqué dans ce blog. Nous sommes tous conscients de ces stratégies que nous employons pour éviter la procrastination. Une chose est d’en être conscient, autre chose est de l’observer en laboratoire. Et, là, les évidences empiriques deviennent rares. A ma connaissance, en dehors de l’étude de Ariely & Wertenbroch en 2001 et de celle de Trope & Fisbach, il n’y avait pas grand-chose. Par ailleurs, leurs études n’étaient pas des expériences de laboratoire, ce qui n’enlève rien à leur intérêt, mais amène des questions sur le degré de contrôle des variables en jeu dans les situations quasi-expérimentales qu’ils mettent en oeuvre. En ce qui concerne la quasi-expérience de Dan Ariely et Klaus Wertenbroch, ils expliquent en effet à des étudiants qui doivent faire un devoir pour réussir leur examen qu’ils ont la possibilité de s’engager sur une date de rendu, sachant qu’ils doivent avoir rendu de toute manière leur devoir avant une certaine date limite (celle qui correspond à la fin de l’année universitaire). Le principe est que, si l’étudiant choisit une date de rendu lui-même, elle est contractuelle, c’est-à-dire que s’il ne rend pas le devoir à la date à laquelle il s’est engagé, il n’a pas l’examen. D’un point de vue purement rationnel, personne ne devrait s’engager à une date de rendu antérieure à la date finale officielle, et tous les étudiants devraient réaliser leur effort le plus tard possible pour rendre leur devoir simplement à la date de rendu la plus lointaine.</div><div style="text-align: justify;"><br />
A leur grande surprise, une part importante des étudiants s’engage sur des dates antérieures à la date maximale possible, ce qui, encore une fois, est aberrant si on suppose que l’individu est un agent rationnel. Trope & Fischbach observent peu ou prou la même chose. Des sujets qui doivent réaliser un examen médical désagréable mais impliquant une abstinence en termes d’absorption de glucose, le fait de céder par rapport à un engagement préalable possible de tenir un certain nombre de jours entrainant un coût monétaire choisi par eux. Une part non négligeable des sujets s’impose alors des pénalités monétaires significatives. </div><div style="text-align: justify;"><br />
Nombre de constructions théoriques ont été proposées pour expliquer et « rationaliser » ces phénomènes, de O’Donogue et Rabin en 1993, à Benabou & Tirole en 2000, ou Gul & Pesendorefer en 2001, et plus récemment Fudenberg & Levine en 2006. Dans le dernier cas, la personnalité de l’agent est duale (d’où le nom de dual self model), l’agent ayant en quelque sorte deux rationalités, une de court terme qui le pousse à céder à la tentation, l’autre de long terme qui l’enjoint de respecter un certain niveau d’optimisation intertemporelle. La plupart de ces modèles, en dehors de celui de Gul & Pesendorfer, impliquent l’incohérence temporelle des choix, ce qui est fâcheux du point de vue de la rationalité supposée habituellement en économie et qui pose des problèmes plus globaux de bien-être (évoqués brièvement dans ce <a href="http://expeconomics.blogspot.com/2010/04/choix-dynamique-incoherence-temporelle.html">précédent billet</a>).</div><div style="text-align: justify;"><br />
Du point de vue de l’expérience de laboratoire, ce genre d’observation est assez difficile à réaliser. Une expérience durant en général au plus un couple d’heures, comment mettre les participants dans des situations où une quelconque tentation les empêche d’optimiser leur choix et d’accumuler le plus grand gain possible ? C’est cette difficulté qu’ont réussi à contourner selon moi Houser, Schunk, Winter & Xiaol, 2010 "<i>temptation and commitment in the lab</i>" dans une <a href="http://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=1615379">étude très récente</a>. Les sujets doivent réaliser des tâches assez barbantes, ces tâches leur permettant d’accumuler des gains et se voient offrit la possibilité d’arrêter pour aller surfer comme bon leur semble sur internet. Le fait de céder à la tentation et d'aller surfer est toutefois irrévocable, le participant n'étant pas en mesure de revenir accumuler des points (donc des dollars) en réalisation à nouveau des tâches. Les sujets peuvent alors s’engager sur un certain nombre de tâches à réaliser, cette possibilité n’étant en rien imposée. La non réalisation de leur engagement est coûteuse dans l'expérience, le fait de ne pas le respecter se traduisant par des points négatifs qui diminue le gain issu de l’accumulation des tâches.</div><div style="text-align: justify;"><br />
Un des résultats les plus surprenants est qu’environ 20% des sujets s’engagent alors que le coût de l’engagement est positif. Dans une étude récente que Aurélie Bonein et moi venons d’entreprendre, nous arrivons peu ou prou à la même constatation, très surprenante de mon point de vue. 20 à 30% des participants s’engagent à réaliser un nombre donné de tâches, certains étant prêts à sacrifier la totalité de leur gain en cas de non respect de leur engagement, et ce en adoptant des contrats loin d'être aisés à réaliser. La principale justification revenant le plus souvent sous la plume des sujets étant qu'ils souhaitaient ainsi se motiver pour gagner le maximum d'argent. J’avoue que les bras m’en sont littéralement tombés quand nous avons observé cela !</div><div style="text-align: justify;"><br />
[<i>lecteur, une chose est de penser et de spéculer que quelque chose est possible du point de vue du comportement, cette chose n’étant pas rationnelle, mais autre chose est de l’observer en live dans un laboratoire, je peux te dire que cela fiche une sacrée décharge d’adrénaline !</i>]</div><div style="text-align: justify;"><br />
Dès lors, le comportement apparemment risible du « yes man » incarné par Jim Carrey, ce comportement étant d’après le postulat du film hautement improbable car a priori très coûteux, est loin d’être un comportement marginal. Nous sommes tous plus ou moins prêts à nous engager pour contrôler nos influences viscérales qui nous incitent à dévier du chemin que nous nous sommes tracés nous-mêmes.</div>Laurent Denant-Boemonthttp://www.blogger.com/profile/08252381928844005264noreply@blogger.com4tag:blogger.com,1999:blog-6161986843091652284.post-13989719485182910062010-05-22T11:13:00.001+02:002010-05-24T18:48:59.049+02:00La victoire de l'équipe de France, les téléviseurs remboursés et Kahneman-Tversky<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEj9z-t_jKhlsXnhRuaeqRy17GQjVQLDybMgWGSEVZSaCX4HS-HBSPU4jpmCdR5rmoZSMWJWs7AjSZ8PX9kvKQZCqBrFSy3FHpYlEW7qFWrEm1bvfS8zMa3PxhoswMtXIpxGY5o7-9ip4qdh/s1600/l-arnaque-1973-3224-198875462.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="266" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEj9z-t_jKhlsXnhRuaeqRy17GQjVQLDybMgWGSEVZSaCX4HS-HBSPU4jpmCdR5rmoZSMWJWs7AjSZ8PX9kvKQZCqBrFSy3FHpYlEW7qFWrEm1bvfS8zMa3PxhoswMtXIpxGY5o7-9ip4qdh/s400/l-arnaque-1973-3224-198875462.jpg" width="400" /></a></div><div style="text-align: justify;"></div><div style="text-align: justify;"></div><div style="text-align: justify;">Plusieurs enseignes commerciales de la grande distribution (dont une qui a un nom proche de Galaxie Venus) et marques de téléviseurs proposent de rembourser, plus ou moins partiellement, les achats de téléviseur en fonction des performances de l’équipe de France au futur Mondial de foot en Afrique du Sud.<br />
Arthur (Charpentier) a déjà évoqué ce problème<a href="http://blogperso.univ-rennes1.fr/arthur.charpentier/index.php/post/2010/05/17/Foot%2C-probabilit%C3%A9%2C-et-assurance%2C-partie-1"> ici</a>. Bon, si je veux faire du mauvais esprit, je dirais que le risque n’est pas bien grand pour ces enseignes apparemment. Mais comme je l’ai déjà dit, la chose footbalistique éveillant mon intérêt à peu près autant que Peter Gabriel écoutant le dernier titre de de Céline Dion, il faut bien dire que je m’estime pas capable de me faire un jugement tempéré sur l’ampleur du risque pris par Galaxie Venus et d’autres.</div><div style="text-align: justify;"><br />
Partons d’éléments « objectifs ».<br />
La probabilité « révélée » de victoire par les paris sportifs est, si j’ai bien tout compris, d’une chance sur 22 (la France est donnée gagnante à 21 contre 1).</div><div style="text-align: justify;"><br />
<i>[lecteur, j’ai mis des guillemets à « objectifs » car l’utilisation des côtes issues des paris sportifs renvoie au contraire par définition à la notion de probabilité subjective définie par Leonard Savage dans les années 50]</i></div><div style="text-align: justify;"><br />
Si on considère cette probabilité et un budget moyen d’achat pour un téléviseur disons de 1000 euros, la perte espérée pour les enseignes qui proposent le remboursement total est d’environ 45 euros, ce qui tu l’avoueras, lecteur, n’est pas grand-chose. Cela revient à faire une remise inférieure à 5% sur le prix du neuf. Donc, les dites enseignes nous font un coup marketing basé sur une opération spectaculaire mais probablement peu coûteuse, en tout ex ante.<br />
Bien sûr cette perte espérée a sûrement été mise en balance avec la réaction de la demande de téléviseurs à une telle opération. Ce n’est pas de cela dont je veux parler maintenant, ce qui m’intéresse est, tu t’en doutes lecteur, la perception de cette opération par les acheteurs potentiels et leur incitation à acheter ces téléviseurs. Bon, je mets de côté la possibilité que l’acheteur trouve sympathique le fait que les enseignes concernées supportent les bleus en étant prêt à subir un coût en cas de victoire, cette possibilité étant sûrement le nœud de cette opération marketing.<br />
Supposons que la probabilité révélée par les paris sportifs soit suffisamment connue des acheteurs et représente une évaluation relativement rationnelle de la probabilité de victoire de l’équipe de France. Passera-t-il à l’acte s’il compte sur un gain espéré d’un peu moins de 50 euros qui peut paraître dérisoire ?<br />
La réponse est probablement positive. Des milliers de personnes achètent tous les jours de tickets de loto ou autres tickets de jeu basés sur le hasard alors que le coût certain qu’ils subissent en les achetant est très supérieur au gain espéré, c’est-à-dire à la probabilité de gagner que multiplie le gain en cas de succès. S’ils adoptaient une décision sur la base d’une comparaison « rationnelle » des gains espérés et des pertes, ils n’achèteraient pas, ou s’ils achètent en étant rationnel, cela signifierait au contraire que la loterie nationale irait à sa perte d’un point de vue commercial et financier. Ce n’est pas le cas, merci pour elle, elle se porte très bien au contraire.<br />
Je mets de côté les préférences vis-à-vis du risque pour expliquer ces comportements quotidiens de paris. En effet, pour rationaliser ces comportements, il faudrait supposer que la plupart des parieurs sont très risquophiles, ce qui ne ressort pas, loin de là, des études empiriques. Celles ci , qu’elles soient basées sur des données expérimentales ou sur des données de terrain, montrent au contraire que la plupart des gens comme vous et moi sont averses au risque et même très averses au risque (c’est aussi la problématique posée par le fameux « <a href="http://en.wikipedia.org/wiki/Equity_premium_puzzle">equity premium puzzle</a> » (« énigme de la prime de risque sur les actions », l’écart de rendement entre actions et obligations observé sur les marchés financiers sur la longue période impliquant des niveaux très importants de « frilosité » des investisseurs).</div><div style="text-align: justify;"><br />
Une des explications les plus plausibles de ces comportements, susceptible de motiver l’acte d’achat dans le cas des téléviseurs remboursables en cas de victoires, est la déformation des probabilités par les individus (et pas ici leurs préférences vis-à-vis du risque).</div><div style="text-align: justify;"><br />
J’ai évoqué la théorie des perspectives cumulées de Kahneman et Tversky dans <a href="http://expeconomics.blogspot.com/2009/10/juliet-sawyer-et-laversion-aux-pertes.html">ce billet</a> et, si lecteur, tu as besoin d’un rafraichissement, tu peux aller le lire…<br />
</div><div style="text-align: justify;"><i>[D’autant plus que le billet en question s’appuie sur des développements de la série « Lost » (traduction de « lost » en anglais), que la dernière saison de cette série passe en ce moment sur une grande chaine nationale, et que ce billet ne te sera d’absolument aucune utilité pour comprendre les rebondissements assez tortueux de cette ultime saison, désolé.]</i><br />
</div><div style="text-align: justify;">Un des éléments intéressants de cette théorie est qu’elle se distingue de la théorie de l’utilité espérée de Von Neumann & Morgenstern par le fait qu’elle pose la possibilité que les individus déforment les probabilités. Plus exactement, dans la théorie des perspectives, la notion de probabilité est remplacée par une notion plus large de « poids » (proposée d’ailleurs par Edwards en 1954), poids qui impliquent que, en présence de probabilités objectives, ces dernières sont transformées par les individus. Cette transformation a été constatée maintes et maintes fois dans les expériences, notamment dans la quasi-expérience de Allais en 1954 qui met en évidence l’effet de certitude, comme l’expliquent d’ailleurs Kahneman et Tversky dans leur article séminal de 1979.<br />
Par exemple, si on vous propose une loterie dans laquelle vous pouvez gagner 1000 euros ou rien, l’issue dépendant du lancer d’une pièce (face gagne, pile perd), il semble raisonnable d’attribuer une probabilité de 50% au gain, ce qui donne, en supposant l’individu neutre vis-à-vis du risque un gain espéré de 500 euros. Pourtant, les expériences montrent que cette probabilité objective de 50% est transformée par la plupart des individus en un poids (une « croyance ») plus petite que 50%.<br />
Plus généralement, Drazen Prelec, partant des travaux expérimentaux, a proposé en 1998 (dans la revue econometrica) une forme fonctionnelle de transformation des probabilités. Cette forme fonctionnelle est assez souple, mais s’adapte bien aux multiples résultats expérimentaux qui montrent que le poids des petites probabilités tend à être plus important que le poids des grandes probabilités (nous avons tendance à surestimer notre probabilité de gagner au loto et à sous-estimer notre probabilité d’avoir la gueule de bois à l’issue d’une fête bien arrosée pour prendre un exemple parlant). Grosso modo, cela ressemble à cela :</div><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgNJvvu9gZxUm5WFX-JnW79o8Qrwmi24ajJtYQBaayOSccK4mzRAk0Kw-wPAEMBSZOs3ggLVuk2Sfa4vL0rWzSiGcHT76Y41cRB4zCr1eSFcqBE1AZNY4j0gl4-3YrGAHqcJ4JEfJNvKUl8/s1600/prelec+98.png" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="480" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgNJvvu9gZxUm5WFX-JnW79o8Qrwmi24ajJtYQBaayOSccK4mzRAk0Kw-wPAEMBSZOs3ggLVuk2Sfa4vL0rWzSiGcHT76Y41cRB4zCr1eSFcqBE1AZNY4j0gl4-3YrGAHqcJ4JEfJNvKUl8/s640/prelec+98.png" width="640" /></a></div><div style="text-align: justify;"><br />
</div><div style="text-align: justify;"></div><div style="text-align: justify;"></div><div style="text-align: justify;"></div><div style="text-align: justify;"></div><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"></div><div style="text-align: justify;"><br />
La droite en pointillés représente la probabilité cumulée de 0 à 1 et la courbe en rouge les poids accordés aux probabilités objectives. Les petites probabilités sont effectivement surpondérées par rapport aux grandes probabilités. Par exemple, dans le graphique ci-dessus, et si on suppose que mon individu déforme les probabilités comme cela est représenté dans la courbe en rouge, la probabilité de gagner qui est d'environ 5% pour l'équipe de France est transformée en une "croyance" d'environ 15%, soit un écart "subjectif" "objectif de l'ordre de 10 points.</div><div style="text-align: justify;"><br />
</div><div style="text-align: justify;">Dans l’exemple de Galaxie Venus, il semble évident que l’on joue là-dessus pour nous vendre des téléviseurs : la probabilité de gagner est somme toute très faible mais le poids accordé à cette probabilité, la croyance que nous donnons à cette victoire, sans doute encore un peu plus déformée par notre chauvinisme latent, nous poussera immanquablement à acheter des téléviseurs dans ces enseignes qui savent très bien manipuler nos incohérences et nos émotions.</div>Laurent Denant-Boemonthttp://www.blogger.com/profile/08252381928844005264noreply@blogger.com7tag:blogger.com,1999:blog-6161986843091652284.post-5230467142301829762010-05-08T11:16:00.009+02:002010-05-09T12:42:13.683+02:00Crise grecque, Euro et jeu du maillon faible<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjUJhtCaAcOak32puDJL9iLgNhpxlGQuql3Me-lExjLF3BslQrL0eMyQpQPITPbPxnr390tmEPTD__vlwKIfV04U1e9mTEeNYt9ZXrpeKZ1k4h2phhitMPlrAzqPXSKwZw4tJTzFAA6I1ak/s1600/MaillonFaible.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="300" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjUJhtCaAcOak32puDJL9iLgNhpxlGQuql3Me-lExjLF3BslQrL0eMyQpQPITPbPxnr390tmEPTD__vlwKIfV04U1e9mTEeNYt9ZXrpeKZ1k4h2phhitMPlrAzqPXSKwZw4tJTzFAA6I1ak/s400/MaillonFaible.jpg" width="400" /></a></div><div style="text-align: justify;"></div><div style="text-align: justify;"><br />
L’Europe semble actuellement engluée dans ses difficultés à maintenir l’Euro et la crédibilité de cette monnaie face aux attaques spéculatives visant un des seize pays membres de la zone euro, en l’occurrence la Grèce. Le problème actuel est bien évidemment d’éviter le défaut de paiement de l’Etat grec, mais in fine, le problème final est celui de la crédibilité de l’Euro en tant que monnaie internationale, à la hauteur du dollar ou du yen (petit rappel ici des <a href="http://tempsreel.nouvelobs.com/actualite/economie/20100505.OBS3509/onze-questions-reponses-sur-la-crise-grecque.html">principaux faits</a>). Par ailleurs, contrairement à Nicolas Dupont Aignan que j’ai entendu ce matin sur Europe 1 et qui appelle à sortir de l’Euro, et qui semble tout mélanger d’un point de vue économique, il faut distinguer le niveau actuel de l’Euro vis-à-vis du dollar et son existence même. Ce billet porte sur le problème de l’existence même de l’Euro, et pas sur les méfaits ou les bienfaits d’un taux de change supposé trop élevé par rapport au dollar américain.<br />
Par ailleurs, comme ce n’est ni ma tasse de thé, ni mon champ de compétences, je vais aborder ce problème d’une manière indirecte et, comme il ne s’agit pas de faire un cours de macroéconomie monétaire, lui donner un éclairage différent au risque de prendre l’affaire par le petit bout de la lorgnette.<br />
Le problème de l’Euro est que son existence est en partie liée au comportement d’Etats membres de la zone en matière budgétaire, comportement qui était sensé être encadré par les fameux critères de stabilité adoptés lors du sommet de Maastricht (3% de déficit budgétaire maximum par rapport au PIB, 60% de ratio de dette publique par rapport au PIB notamment). Crise économique aidant, « on » (l’Union Européenne, les Etats membres, etc.) a considéré comme légitime de desserrer l’étreinte au moins pour une période très provisoire. L’existence de l’Euro et son niveau sont aussi garantis par la Banque Centrale Européenne, qui, au moins en partie, détient les clés de la politique monétaire de l’UE.<br />
La politique budgétaire n’étant pas ou moins régulée (actuellement) à un niveau supranational, celle-ci dépend essentiellement des attitudes discrétionnaires des gouvernements confrontés à des difficultés économiques très sérieuses. Si plus aucun Etat membre de l’Union ne respecte les critères du pacte de stabilité, il ne peut plus y avoir d’Euro, car l’existence de l’Euro est en partie rendue possible par la convergence des économies européennes (voir ce <a href="http://www.banquedefrance.fr/fr/instit/telechar/discours/dis080302.pdf">discours</a> de Jean-Claude Trichet sur l’Euro en 2002, parfaitement clair sur ce sujet).</div><div style="text-align: justify;">A partir du moment où les comportements budgétaires redeviennent potentiellement discrétionnaires, quelle peut être l’issue de cette situation concernant l’Euro ?</div><div style="text-align: justify;">En fait, il est possible de supposer que la monnaie unique est un bien public, pas au sens où elle est forcément bonne pour les peuples qui l’ont adopté, mais au sens classique du bien public, c’est-à-dire un instrument d’échange commode, une réserve de valeur et un étalon de mesure qui profite à tous ceux qui l’utilisent, sans qu’il y ait possibilité d’exclure de l’usage certains agents et sans que l’utilisation qu’en font les agents économiques puisse diminuer la capacité des autres agents économiques à l’utiliser. Par conséquent, la crédibilité de l’Euro en tant que monnaie unique en Europe peut aussi être vue comme un problème de contribution « individuelle » (des Etats membres) à un bien public, problème classique d’économie publique étudié par n’importe quel étudiant lambda. Le niveau de contribution peut être appréhendé par un niveau d'effort ou de sérieux budgétaire de la part de chaque Etat membre du la Zone Euro, effort qui profite à tous car il assure la crédibilité de l''Euro en tant que monnaie unique de l'Union. J’ai déjà présenté ce problème de multiples fois (j’ai même un peu l’impression de radoter et, mais bon, en même temps, c’est quelque chose que je connais un peu), notamment dans ce <a href="http://expeconomics.blogspot.com/2009/11/lhomme-des-hautes-plaines-ou-leconomie.html">billet</a> pour mes lecteurs récents ou pour ceux qui auraient oublié la nature de ce problème économique classique.</div><div style="text-align: justify;"><br />
Toutefois, habituellement, on a tendance à présenter ce problème en ayant en tête une certaine « technologie » de production du bien public. Par exemple, on suppose que le niveau de bien public est la somme des contributions ou efforts individuels de chaque joueur. En clair, pour adapter cela au problème de l’Euro, on pourrait dire que la monnaie unique est d’autant plus solide (donc le niveau de bien public serait d’autant plus grand) que le total des efforts des pays membres en matière budgétaire est important. Si tous les pays sont rigoureux budgétairement, il ne peut y avoir d’attaque spéculative contre l’Euro, et le bénéfice retiré de l’Euro par tous les états membres est maximum. Si personne ne fait d’effort, personne ne croit à l’Euro, et l’Euro ne peut exister, le bien public n’est pas produit. <br />
Si on adopte cette idée que le niveau du bien public est la somme des efforts, alors cela signifie que le moindre sérieux de la Grèce par exemple en matière budgétaire peut être compensé par le plus grand sérieux de l’Allemagne par exemple, laissant le niveau de bien public inchangé.<br />
Force est de constater que, bien que globalement, les Etats membres soient plus dispendieux actuellement tous ensemble d’un point de vue budgétaire, crise économique aidant, dans la crise financière actuelle provoquée par le supposé potentiel défaut de paiement de la Grèce, le fait que certains Etats membres de l’Euro soient plus rigoureux en matière budgétaire ne semble pas freiner l’ardeur des attaques spéculatives contre cette monnaie. Tout se passe comme si les spéculateurs considéraient que la moindre fissure significative dans le mur "Euro" était un signe avancé de faiblesse majeure. En clair, que la force de l'Euro en tant que monnaie unique crédible dépendait de la situation du plus faible des Etats membres en matière budgétaire, et pas d'une situation "moyenne" de l'UE constituée d'Etats aux situations budgétaires hétérogènes.<br />
<br />
Dans les années 80, Jack Hirschleifer avait proposé différentes possibilités technologiques pour la production d’un bien public (voir <a href="http://www.springerlink.com/content/p66042n672w2x479/?p=d6d0f6c63f09477aba20eb9dc570dab0&pi=1">ici</a>). L’une qui m’intéresse aujourd’hui dans le cadre de cette crise est la technologie dite du maillon faible (« <i>weakest link mechanism</i> » in english dans le texte).<br />
<br />
Dans ce jeu de contribution au bien public, le niveau du bien public n’est plus déterminé par la simple somme des efforts individuels de contribution, mais par le minimum des efforts choisis par les joueurs. Hirschleifer illustre son propos en prenant l’exemple d’une digue : la digue est un bien public qui profite à tous et dont je ne peux exclure personne, mais si la hauteur ou la résistance de cette digue sont autogérés par une communauté d’individus qui doit indépendamment choisir l’effort qu’il doit fournir pour construire ou entretenir cette digue, alors il suffit que mon voisin construise sa part de digue à hauteur de 20 cm pour que mon effort, même s’il est supérieur à 20 cm de construction sur ma parcelle, ne serve à rien. Le niveau de résistance de la digue correspond à ces 20 cm de mon voisin, même si nous avons tous monté une digue de 2 m sur notre parcelle. Par conséquent, le niveau de bien public est donc déterminé par le minimum des efforts individuels.</div><div style="text-align: justify;"><br />
<i>[lecteur, j’ai mis cette image du jeu télévisé « le maillon faible », qui ne correspond que très approximativement au jeu décrit ci-dessus (encore que les candidats éliminent d’autres candidats en fonction de leur taux de mauvaises réponses, les mauvaises réponses freinant l’accumulation des gains pour toute l’équipe, mais il faut bien que ce billet soit un peu attractif, non ?]</i></div><div style="text-align: justify;">D’un point de vue théorique, on sait que, quand la technologie de production du bien public correspond à une somme d’efforts, l’équilibre de ce jeu correspond au fameux problème de "free rider" ou passager clandestin : il est rationnel d’un point de vue individuel de ne rien contribuer au bien public, et par conséquent, à l’équilibre (de Nash, mais c’est aussi un équilibre en stratégies dominantes du point de vue de la théorie des jeux), le bien public n’est pas produit, ce qui est mauvais du point de vue du bien-être.<br />
Quand on est dans une situation de production du bien public qui dépend du minimum des contributions individuelles, les choses sont un peu plus compliquées d'un point de vue théorique. En fait, les équilibres (de Nash) du jeu sont multiples (c’est un jeu dit de coordination), mais chaque équilibre correspond à une contribution symétrique des joueurs : dans ces équilibres tout le monde fait le même niveau d’effort. Si la Grèce n’est pas sérieuse budgétairement, l’équilibre est que la France ou l’Allemagne n’est pas sérieuse dans les mêmes proportions. Si la France est « sérieuse » à un niveau <i>x</i>, la Grèce l’est au même niveau ainsi que L’Allemagne.<br />
Prenons un exemple pour mieux comprendre, c’est en fait très simple. Supposons que deux agents (1 et 2) ait une dotation de richesse égale (60 points) et que chacun doive choisir d’affecter cette somme entre un bien privé qui rapporte 1 euro par point et un bien public qui rapporte pour chacun d’entre eux 1.5 euro que multiplie le niveau minimum des deux contributions au bien public. Le gain de chaque joueur est donc :</div><div style="text-align: justify;"></div><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEitAcgvZAvLKa4y9lcGzdRtGOPKJym6epyAjGmFjW7VFpPH2Enlpo6hNo0mCrJSozpLtuhvcDV8BI7qWPDKScgyYdKh769POZ6kKvNJO82y4CQiZvgNv8WtMZvPy7m7NwSud7RBuJDZauiN/s1600/eqweak.png" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEitAcgvZAvLKa4y9lcGzdRtGOPKJym6epyAjGmFjW7VFpPH2Enlpo6hNo0mCrJSozpLtuhvcDV8BI7qWPDKScgyYdKh769POZ6kKvNJO82y4CQiZvgNv8WtMZvPy7m7NwSud7RBuJDZauiN/s320/eqweak.png" /></a></div><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"></div><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"></div><div style="text-align: justify;"><br />
Où xi est la contribution de i au bien public. <br />
Simplifions encore la situation en supposant que les joueurs ne peuvent que contribuer zéro ou soixante points au bien public. La matrice des gains est donc la suivante :</div><div style="text-align: justify;"></div><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhg7JjXaerYDv1nJUMvxUVlI8qezIyrUhVEbIJ3TG7PnZAXzCVkFZcjKuVxhky73RmA2cnWFicOZ0rUEzNj5nfZgMVedDGQGLOiKSSbZcmXT9ruo0s52UBwMJT4U4xFSFrBBN80zd3HmbqR/s1600/aes-partie1.png" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="300" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhg7JjXaerYDv1nJUMvxUVlI8qezIyrUhVEbIJ3TG7PnZAXzCVkFZcjKuVxhky73RmA2cnWFicOZ0rUEzNj5nfZgMVedDGQGLOiKSSbZcmXT9ruo0s52UBwMJT4U4xFSFrBBN80zd3HmbqR/s400/aes-partie1.png" width="400" /></a></div><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"></div><div style="text-align: justify;"><br />
Il y a deux équilibres de Nash ici, l’un est Pareto optimal (dégage le maximum d’efficacité), celui où tout le monde contribue toute sa dotation, l’autre où personne ne contribue au bien public, et qui est moins bon (l'équilibre de free riding) en termes d'efficacité (mesurée ici par la somme des gains des joueurs), Mais les situations dans lesquelles un des agents contribue tout et l’autre rien sont les plus catastrophiques du point de vue du bien être. Mieux vaut que personne ne contribue dans ce jeu que d’avoir seulement une seule personne qui contribue et l’autre qui ne contribue rien.<br />
<br />
Hirschleifer lui-même, en compagnie de Glenn Harrison, a produit les premières expérimentations sur ce jeu de maillon faible en 1998 (le papier est consultable <a href="http://time.dufe.edu.cn/spti/article/hirshleifer/hirshleifer198.pdf">là</a>). Plus récemment, Eric Malin, David Masclet et moi-même avons conduit une série d’expérimentations sur ce thème. Le jeu était très proche de celui décrit ci-dessus (4 joueurs au lieu de 2, chaque joueur est doté de 20 points, le jeu répété 20 fois, avec des paramètres différents mais conduisant à la prédiction théorique standard selon laquelle il y a une multiplicité d’équilibres symétrique comme expliqué ci-dessus. Surtout le bien être du groupe de 4 joueurs est maximum quand tout le monde affecte la totalité de ses 20 points au bien public). Certains des résultats sont les suivants, notamment l'évolution de la contribution individuelle moyenne au bien public tout au long des périodes jouées par les participants :</div><div style="text-align: justify;"></div><div style="text-align: justify;"></div><div style="text-align: justify;"></div><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEiykc7V9yZ43zZ6OHLjO4IR1DcdIvw7X6V1yf1v2cif2Dtw6bdEDclJx9PuIKSK13PmPS0bCMLKPaqy5ITOFsjSPCcpWtEeD428V5tXjFTIo9SC8ijeImdDMMfNCJo83GPEl5lM3cmMbrM3/s1600/weakgrah.png" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="480" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEiykc7V9yZ43zZ6OHLjO4IR1DcdIvw7X6V1yf1v2cif2Dtw6bdEDclJx9PuIKSK13PmPS0bCMLKPaqy5ITOFsjSPCcpWtEeD428V5tXjFTIo9SC8ijeImdDMMfNCJo83GPEl5lM3cmMbrM3/s640/weakgrah.png" width="640" /></a></div><div style="text-align: justify;"></div><div style="text-align: justify;">Source : Denant-Boemont, Malin & Masclet (2007), données non publiées.</div><div style="text-align: justify;"></div><div style="text-align: justify;">En clair, le niveau de contribution individuel moyen au bien public est plutôt faible et décroit avec les répétitions du jeu, alors que d’un point de vue théorique, l’issue est assez indéterminée (voir ci-dessus). Notamment, d'un point de vue théorique, rien ne disait que l'équilibre de free riding (ne rien contribuer) était plus probable que d'autres équilibres possibles. La force d'attraction de cet équilibre semble toutefois assez forte du point de vue des résultats. Ceci se comprend très bien : si le bien public est déterminé par le minimum des efforts individuels des membres de mon groupe, alors il est risqué pour moi de contribuer potentiellement plus que les autres, d'où la force d'attraction de la stratégie " ne rien contribuer"*.<br />
<br />
Au final, si l’existence de l’Euro dans la situation actuelle est assimilable à un bien public avec un problème de maillon faible, la force de cette monnaie étant liée à l'effort minimum en matière budgétaire des Etats membres participant à la zone Euro, et sans vouloir jouer les Cassandre, cela ne me rassure guère sur l’issue potentielle de cette crise financière et de gouvernance politique.<br />
<br />
</div><div style="text-align: justify;">* : pour les lecteurs avertis, notamment en théorie des jeux, cela signifie qu'il existe également dans ce jeu un équilibre risk-dominant au sens d’Harsanyi & Selten dans lequel les joueurs ne contribuent rien. C’est bien évidemment un élément explicatif central concernant les résultats expérimentaux.</div>Laurent Denant-Boemonthttp://www.blogger.com/profile/08252381928844005264noreply@blogger.com10tag:blogger.com,1999:blog-6161986843091652284.post-51225386153817219162010-04-21T23:01:00.003+02:002010-04-21T23:14:18.891+02:00De l'influence de la culture M'Zab sur les préférences temporelles<div style="text-align: justify;"><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEiUf1TV5d01TWXUPbhXlvC7cXa_OUknoztoaPXaOyYBoxTo5fiSMf3FujDvB3XfoZ36hK8ljVZZImdwCLsIS0kEFptmC4QNe8zXeOEdtu22PA-7HH_DqYZu7WJ4PStzOYxrHly5C-wBueU_/s1600/ghardaia-barrage-oued-1209247968.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="297" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEiUf1TV5d01TWXUPbhXlvC7cXa_OUknoztoaPXaOyYBoxTo5fiSMf3FujDvB3XfoZ36hK8ljVZZImdwCLsIS0kEFptmC4QNe8zXeOEdtu22PA-7HH_DqYZu7WJ4PStzOYxrHly5C-wBueU_/s400/ghardaia-barrage-oued-1209247968.jpg" width="400" /></a></div><br />
Après une longue et fastidieuse période de travail, rien de tel que quelques vacances loin de chez soi ! J’ai eu la chance de découvrir il y a quelques jours les portes du grand sud algérien, en l’occurrence la région de <a href="http://mozabite.skyrock.com/2828686388-Ghardaia-Plus-qu-une-simple-ville-d-Algerie.html">Ghardaïa</a> pendant un court séjour. Les discussions avec quelques uns des représentants les plus éminents de la culture du M’zab* m’ont marqué à plusieurs titres, mais notamment un détail d’une de ces conversations m’a particulièrement frappé en tant qu’économiste.<br />
<br />
[<i>De toute façon, bien que ce soit un blog, je ne vais pas te raconter ma vie lecteur, je l’ai déjà bien suffisamment fait dans le passé en racontant mes affres de perplexité face à la définition d’une politique d’éducation efficace pour mes marmots ou en évoquant mes goûts artistiques sans doute discutables à plus d’un titre...</i>]<br />
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En essayant d’expliquer au pauvre occidental borné que je suis la différence entre la culture mozabite et notre manière d’appréhender les choses, notre guide Omar B. (s’il lit ce blog, il se reconnaitra, mais je pense qu’il doit être aussi étranger à la culture des blogs que l’est René Girard à l’œuvre de Vuillemin) a illustré les choses de cette manière (je rapporte ces propos sans doute de manière un peu inexacte et à ma manière mais comme je n’ai pas enregistré cette conversation, lecteur, tu devras me croire sur parole) :<br />
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« <i>Quand un habitant du M’Zab creuse un puits, il n’a pas pour objectif d’atteindre l’eau tout de suite ou même de son vivant, mais uniquement d’alléger la tâche de ceux qui le relaieront ensuite, les générations futures qui, elles, continueront à creuser le puits et finiront par trouver l’eau. Alors, ses descendants pourront honorer sa mémoire.</i> »<br />
Il m’a alors rapporté que, quelques années auparavant, un compatriote français, conseiller économique d’un personnage politique important, et lui-même en visite comme moi dans la même région, lui avait dit que c’était précisément le problème des français, leur incapacité à négliger le présent pour se projeter dans l’avenir, leur « intérieur mental » (expression authentique !) n’étant pas adapté à cela.<br />
<br />
Tout cela est bien évidemment très poétique, mais en indécrottable insensible (notamment à la poésie et à l’opéra) que je suis, j’ai essayé de ne pas me laisser submerger par la beauté du lieu en acceptant tout de go l’argument d’Omar. J’ai traduit son argument en termes économiques comme signifiant que certaines civilisations, en particulier celle des Mozabites, ont des préférences temporelles qui diffèrent fondamentalement de celles des occidentaux, et en particulier, un niveau de patience qui est significativement plus important que le notre, obsédés que nous sommes par la course au bonheur matériel et aux reconnaissances faciles.<br />
Et comme je cumule le défaut d’être insensible et d’être un fieffé empiriste, j’ai voulu savoir si, dans la littérature comportementale, il y avait quelques éléments tangibles sur cette question. Mais avant même de parler de cela, un petit tour d’horizon rapide sur la question des préférences temporelles en économie.<br />
<br />
La question de l’impatience est bien documentée en économie. Les économistes mesurent le taux d’impatience à travers la notion de taux d’escompte psychologique ou taux d’actualisation. Le taux d’actualisation mesure la vitesse à laquelle un agent écrase des revenus différés dans le temps. Plus le revenu est obtenu tardivement dans le futur et plus un individu impatient lui accordera une plus faible valeur. C’est bien évidemment une notion centrale en économie, puisque ce taux d’escompte psychologique est censé fonder la notion de taux d’intérêt (si personne n’était impatient, personne n’emprunterait pour pouvoir consommer plus aujourd’hui).<br />
<br />
Pendant longtemps, les économistes ont supposé que le taux d’actualisation était constant : si, pour moi, 100 euros aujourd’hui valent psychologiquement la même chose que 110 euros dans un an (en supposant qu’il n’y a pas d’inflation et pas de risque dans cette économie fictive), alors avoir 100 euros dans un an vaut psychologiquement la même chose que d’avoir 110 euros dans deux ans et ainsi de suite. Dans cet exemple très simple, mon taux d’escompte est de 10% (ou mon facteur d’escompte de 0.9), il mesure la vitesse à laquelle je déprécie une période t+1 par rapport à une période t, cette vitesse étant supposée (dans la théorie économique standard) ne pas changer pour deux périodes immédiatement proches.<br />
<br />
Une grande masse de faits empiriques sont venus contester cette manière de voir les choses, la plupart des études (une recension des plus connues est celle de Frederick et al 2002 dans le JEL) montrant que le taux d’escompte n’est pas une constante. En l’occurrence, le taux d’escompte entre aujourd’hui et demain est beaucoup plus important pour la plupart des gens que le taux d’escompte entre demain et après demain, matérialisant ce que l’on a appelé dans la littérature des fonctions d’escompte hyperboliques. En clair, je déprécie beaucoup plus fortement le futur proche que le futur lointain, ce qui n’est pas conforme à ce que suppose habituellement la théorie économique.<br />
<br />
Comment mesurer les préférences temporelles des gens ? En fait, sans vouloir faire un débat méthodologique très élaboré là-dessus, il suffit de leur demander comment ils arbitrent entre une somme disponible tout de suite et une autre somme disponible à un horizon futur bien spécifié (méthode dite de « choice task »).<br />
Il est également possible de leur demander quelle somme il faudrait leur octroyer à une période future pour qu’ils acceptent de sacrifier un revenu présent. Les deux approches sont en général utilisées de concert pour « éliciter » (mesurer) le taux d’escompte psychologique des individus (méthode dite de « matching task »).<br />
<br />
Une des premières études empiriques là-dessus fut réalisée par Richard Thaler, qui finira bien par avoir le prix Nobel tant sa contribution à la connaissance moderne en matière de comportements économiques est importante. Dans une étude publiée en 1981, il propose à des participants de choisir entre 15 dollars immédiatement disponibles et une somme x disponible dans un mois, une somme y disponible dans 1 an et une somme z disponible dans 10 ans. Les participants doivent indiquer les valeurs minimales x, y et z qu’ils demandent pour renoncer aux 15 dollars immédiats. La réponse médiane est x= 20$, y=50$ et z=100$. Ces réponses impliquent respectivement un taux d’escompte annuel pour une période d’un mois d’environ 350%, de 120% pour une période d’un an et de 20% pour une période de 10 ans. Le problème est que cette réponse n’est pas compatible avec la représentation du taux d’escompte standard en théorie économique, pour dire vite celle formalisée par Samuelson en 1937, le taux d’escompte annuel étant une fonction décroissante de l’éloignement dans le temps, et pas une constante.<br />
<br />
Je n’irai pas plus loin sur les implications de cette découverte, mais elle est grande pour les économistes. Par exemple, des individus qui ont des préférences temporelles hyperboliques sont susceptibles d’être incohérents dans le temps, ce qui signifie qu’ils ne sont pas parfaitement rationnels (voir mon dernier billet sur les choix dynamiques). Dès lors, si je sais, en tant que banquier, que mon client exhibe des préférences hyperboliques, je peux lui proposer des produits financiers qu’il va d’abord accepter en étant prêt à payer pour cela, puis, avec le passage du temps, sera prêt à payer pour s’en débarrasser ! Prenons un exemple. Supposons que M. X ait des préférences temporelles hyperboliques, par exemple un taux d’escompte de 5% entre aujourd’hui et demain et un taux d’escompte de 2% entre demain et après demain. Si son banquier lui propose un produit financier qui lui rapporte 3% à compter de demain pour après demain, il accepte. Mais demain, exigeant un retour de 5%, il sera prêt à payer pour se débarrasser de ce produit qui ne lui rapporte que 3%. Dès lors, je peux le faire jouer contre lui-même perpétuellement et le ruiner à mon profit (l’exemple du banquier est totalement fortuit, je ne crois pas que mon banquier ait eu vent de ce problème d’incohérence temporelle et qu’il soit pervers à ce point).<br />
<br />
Bon, revenons à nos moutons, ou plutôt à nos habitants du M’Zab. Sont-ils réellement plus patients que les autres i. e. adoptent-ils des taux d’escompte significativement plus faibles que les occidentaux notamment sur le long terme ?<br />
A ce point là, lecteur, je dois bien dire que je n’ai pas été capable de trouver une étude publiée sur les préférences temporelles des mozabites, et, si quelqu’un est prêt à financer une telle étude, je suis prêt avec ma générosité proverbiale à me dévouer pour aller faire du <i>field experiment</i> à Gardhaïa et même pousser jusqu'à Tamanrasset et Djanet. C’est dire combien je suis dévoué à ma science !<br />
<br />
Par contre, j’ai trouvé une étude assez récente de Wang, Rieger et Hens <a href="http://www.socialpolitik.ovgu.de/sozialpolitik_media/papers/Wang_Mei_uid433_pid379.pdf">ici</a> qui compare les préférences temporelles dans 45 pays. Il n’y a pas l’Algérie, et encore moins la région du M'Zab, mais il y a le Nigeria. Je ne suis pas sûr de la proximité entre les résultats obtenus au Nigeria et le sud algérien, mais je n’ai guère le choix. <br />
Certains des résultats sont résumés dans le graphique suivant.<br />
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<div style="text-align: center;">figure : taux d'escompte annuel implicite horizon d'un an (axe des abscisses) / horizon de 10 ans (axe des ordonnées) </div><br />
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgaOntgsfqs7Q2_gplCwWfE0UJJJ3-LbJl6zlsjptjxsDiMCdHYt8QeyoHvd8nvWHI3XINb_0IBgjNRB2Wc7CCq3kUJG1dtTPCT9dya1nl92tJ2cg82LOcgj0UclO9h7tjEYyZ9_C4vCY59/s1600/Pr%C3%A9sentation1.png" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="480" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgaOntgsfqs7Q2_gplCwWfE0UJJJ3-LbJl6zlsjptjxsDiMCdHYt8QeyoHvd8nvWHI3XINb_0IBgjNRB2Wc7CCq3kUJG1dtTPCT9dya1nl92tJ2cg82LOcgj0UclO9h7tjEYyZ9_C4vCY59/s640/Pr%C3%A9sentation1.png" width="640" /></a></div>source : Wang, Rieger & Hans, 2009<br />
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Un petit commentaire sur ce graphique. Si la forme du nuage était celle d'une droite à 45°, les individus ne seraient pas sujets à la procrastination, c'est-à-dire qu'ils ne feraient pas état de préférences hyperboliques. La plupart des individus, quel que soit leur pays d'appartenance, font montre d'un taux d'escompte à court terme très supérieur à leur taux d'escompte de moyen-long terme (dix ans). Surtout, par rapport au propos du billet, les habitants du Nigeria, s'ils font montre d'un taux d'escompte de court terme (autour de 200%) supérieur au taux médian (100%) ont un taux d'escompte de long terme également plus élevé que le taux médian de 19%, de l'ordre de 42% par an. La France n'est pas présente apparemment dans l'étude, mais si on prend la Suisse ou l'Allemagne comme proxy, les taux d'escompte, qu'ils soient de court ou de long terme, sont plutôt significativement plus faibles que la moyenne, et plus faibles que par exemple ceux mesurés au Nigeria. Par contre, point assez intéressant, il ne me semble pas qu'il y ait une corrélation simple entre niveau de PIB par tête et taux d'escompte, qui parait intuitive (un plus haut niveau de revenu par tête étant lié à des niveaux d'impatience plus faibles) mais qui ne ressort pas du tout nettement du graphique. On trouve ensemble la Thailande et la Norvège dans les taux les plus faibles, et les pays de l'Est dans le groupe des taux les plus forts. Il semble donc bien qu'il existe effectivement une influence de la culture d'un pays sur les taux d'escompte psychologiques. Mais d'autres facteurs mentionnés par ces auteurs sont importants, comme le niveau d'éducation qui augmente le niveau de patience des individus.</div><div style="text-align: justify;">Dès lors, si l'image du mozabite patient est poétiquement magnifique, elle ne me semble pour le moment pas scientifiquement fondée.... Mais il est vrai que je ne vois pas encore de moyen de faire une étude expérimentale sur les taux d'escompte psychologiques pour des horizons plus importants que celui d'une génération, et il y a donc encore matière à innover dans ce domaine,.</div><div style="text-align: justify;">Par conséquent, en ce qui concerne les valeurs de la civilisation mozabite et sa conception du temps, il reste possible de penser, comme le disait Peter Parker alias Spiderman dans un vieux numéro de Strange des années 70, "c'est tout même permis de rêver, non ?".<br />
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<br />
* : le M’Zab est une région de l’Algérie située à environ 600 km au sud d’Alger (voir la carte ci-dessous).<br />
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<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEittohXFzNeriqJDKovxbAbScE1ZHNpx-7UTpjpbMNjGg1tkwWCDVOH71WJUmEjTPzhh6iCQy-bx93DYeaIm2w9GrZkGU815neNiSySx3TCY9KLwREGqwjRLeO-a03k93FzIx5NAoZ4uXC6/s1600/Pr%C3%A9sentation2.png" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="300" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEittohXFzNeriqJDKovxbAbScE1ZHNpx-7UTpjpbMNjGg1tkwWCDVOH71WJUmEjTPzhh6iCQy-bx93DYeaIm2w9GrZkGU815neNiSySx3TCY9KLwREGqwjRLeO-a03k93FzIx5NAoZ4uXC6/s400/Pr%C3%A9sentation2.png" width="400" /></a></div></div>Laurent Denant-Boemonthttp://www.blogger.com/profile/08252381928844005264noreply@blogger.com11tag:blogger.com,1999:blog-6161986843091652284.post-35316418117885055272010-04-10T17:08:00.005+02:002010-04-11T13:49:07.306+02:00Choix dynamique, incohérence temporelle et "proposition indécente"<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhx0vA6WzqOQwdwO30IAtZadAW5cpj4hIkMinQYIxvuTNeuCDFClgxsITC3YT4WJPRwXXSNTlyejHQwwv9R-h-8Ql5bVuedw9EKd1EUS4p5gYcFTZzMHseiduZSlOblNTZz3Xo7NEttt2BB/s1600/MV5BODUzODgyMTM3MF5BMl5BanBnXkFtZTYwMDE2OTg4._V1._SX235_SY400_.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="400" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhx0vA6WzqOQwdwO30IAtZadAW5cpj4hIkMinQYIxvuTNeuCDFClgxsITC3YT4WJPRwXXSNTlyejHQwwv9R-h-8Ql5bVuedw9EKd1EUS4p5gYcFTZzMHseiduZSlOblNTZz3Xo7NEttt2BB/s400/MV5BODUzODgyMTM3MF5BMl5BanBnXkFtZTYwMDE2OTg4._V1._SX235_SY400_.jpg" width="235" /></a></div><div style="text-align: justify;"><br />
</div><div style="text-align: justify;"><div style="text-align: justify;">Content de te retrouver, lecteur, après quelques semaines plus erratiques pour ce blog, expliquées en grande partie par mon implication dans un concours de l'enseignement supérieur. Par avance, merci, tout s'est plutôt bien terminé pour moi et certains blogueurs ont été très gentils comme tu as pu le voir dans quelques commentaires récents, assez incompréhensibles quant on ne dispose pas de cette information...</div><div style="text-align: justify;">Le plus important pour ce blog est que maintenant, je vais pouvoir reprendre le fil de mes billets en reprenant la discipline que je m'étais imposée de contribuer régulièrement... </div><br />
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La TNT vient de rediffuser il y a quelques jours un des sommets artistiques d'Adrian Lyne, <i>Proposition indécente</i>.</div><div style="text-align: justify;">L'histoire, ultraconnue, est la suivante : Madame, membre d'un couple ruiné mais amoureux, a une proposition d'un milliardaire, incarné par le grand Bob Redford, pour passer une nuit avec lui moyennant 1 million de dollars. Ce million est plus qu'il n'en faut pour sauver le couple de sa détresse financière, bien que nous soyons en Californie. Après diverses tergiversations dignes "d'amour, gloire et beauté", celle-ci, avec l'accord de son mari, finit par accepter la proposition. </div><div style="text-align: justify;"><br />
</div><div style="text-align: justify;"> Bien évidemment, ce qui devait arriver arrive. La belle est complètement tourneboulée par cette nuit, et ne réussit pas, contrairement à la planification initiale de ses décisions, à oublier les moments qu'elle a passé avec Bob. Quelques éruptions lacrymales et jets de vaisselle cassée plus tard, elle quitte le pauvre Woody et va vivre avec Bob, qui, le damné coquin, lui fait une cour effrénée il faut bien le reconnaitre. Mais à l'ultime fin du film, le mari cocu comprend finalement dans quelle situation impossible il a mis sa femme, qu'il doit lui pardonner et, sa rédemption achevée (il refuse même le million de dollars, c'est vous dire à quel niveau de rédemption on est!), va voir une ultime fois son ex; Celle-ci, écrasée par tant de remords finit par envoyer paître (très dignement quand même) le grand Bob et pars pour de nouvelles aventures avec son Woody devenu un autre homme.</div><div style="text-align: justify;"><br />
</div><div style="text-align: justify;"></div><div style="text-align: justify;">Si je te dis, lecteur, que c'est le réalisateur dont le chef d'oeuvre est 9 semaines et demi dans les années 80, c'est te dire que nous sommes dans les hautes stratosphères du 7ème art. Toutefois, bien que proche du zéro absolu du point de vue cinéphilique, le scénario pose très habilement des situations de choix qui peuvent intéresser bigrement les économistes et les psychologues.<br />
<br />
[ <i>Pourquoi tant de haine, te demandes-tu lecteur comme jadis Edika dans Fluide Glacial ? Eh bien, j'ai déjà un gros problème de crédibilité sur ce film! Oui, je m'adresses à toi lectrice surtout : si tu as à choisir entre Woody Harrelson, pauvre, et Robert Redford, certes vieillisant mais riche, que choisis tu au final ? La réponse est évidente, et en dépit de cela, happy end hollywoodienne oblige, la fille finit par décider de rester avec Woody</i>. <i>C'est pas du moquage de monde cela ?</i>]<br />
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Ce film illustre au minimum une question très intéressante du point de vue de la rationalité individuelle. La première, la plus évidente, est celle de la capacité des agents à réaliser des plans qui définissent aujourd'hui une série d'actions présentes et à venir. Les économistes parlent de choix dynamiques. Un choix dynamique est simplement une situation dans laquelle un individu choisit entre plusieurs actions, puis la "nature" choisit" et enfin (dans la configuration la plus simple), l'individu est amené à choisir de nouveau à l'issue de cette séquence. Tout le problème est de savoir comment les agents se comportent dans cette situation. Cette question a été posée en son temps par Robert Strotz en 1956 qui mit en évidence les problèmes d'incohérence temporelle potentielle des agents ayant un comportement "myope" (c'est-à-dire qui prend en compte surtout les conséquences présentes sans anticiper correctement ou parfaitement les conséquences futures des décisions présentes) voire "naïf" (c'est à dire qui n'anticipe pas qu'il va devoir choisir à nouveau dans le futur et que ses préférences peuvent évoluer). Kydland & Prescott se sont d'ailleurs inspirés de cette idée de Strotz pour formaliser les problèmes potentiels d'un gouvernement qui choisirait les politiques économiques de manière discrétionnaire plutôt que de les fixer une bonne fois pour toutes de manière réglementaire ("<i>rules rather than discretion</i>", leur article de 1977).<br />
<br />
Un petit exemple pour comprendre cela, emprunté à Homère par le philsosophe Jon Elster : supposons qu'Ulysse arrivé à proximité de l'ile aux sirènes, décide d'écouter leur dangereux chant. C'est la mort assurée pour lui et ses compagnons, car hypnotisé par leur chant, le capitaine et ses marins conduisent le vaisseau sur les récifs entourant l'ile. Si Ulysse est totalement "myope" au sens de la rationalité, il n'anticipe pas correctement que, en décidant aujourd'hui de passer à proximité de l'ile, il provoque sa mort à plus ou moins brève échéance. S'il a une rationalité sophistiquée, il devrait anticiper cela et s'empêcher lui même de se placer dans cette fâcheuse situation. Pour s'empêcher de faire quelque chose qui sera coûteux, il se "lie les mains" en demandant à ses marins de l'enchainer au mât du navire, ceux-ci remplissant leurs oreilles de cire leur permettant de ne pas succomber à l'appel de ces créatures malfaisantes.<br />
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Pour revenir à notre belle tentée par la "sirène" Robert Redford, elle devrait anticiper qu'il lui sera impossible de l'oublier à l'issue de leur nuit, que cela sonnera la fin de leur couple et que le million de dollar ne servirait à rien. Elle devrait donc refuser la proposition puisqu'elle celle-ci sera coûteuse au final. C'est exactement, comme le note John Hey dans un de ses papiers (ici) comme dans le livre de Stevenson, Jekyll & Hyde, Jekyll adoptant ultimement un comportement "sophistiqué" consistant à tuer (physiquementt parlant, puisqu'il se suicide) son moi présent pour éviter que son "moi" futur malfaisant apparaisse à nouveau. Mais tout l'intérêt du film réside dans le comportement "naïf" ou "myope" qu'elle adopte en n'anticipant pas les conséquences ultimes de son choix et notamment la possibilité que ses préférences futures soit modifiées par la nuit avec Bob et que, in fine, elles diffèrent de ses préférences présentes.</div><div style="text-align: justify;"><br />
</div><div style="text-align: justify;">Idem pour le mari, qui acceptes la proposition indécente, il devrait anticiper anticiper la manière dont il vivra après la nuit en question, et donc refuser le contrat proposé par Bob...</div><div style="text-align: justify;"><br />
</div><div style="text-align: justify;">En clair, si les gens se comportaient comme la théorie économique standard le dit, il n'y aurait plus de film ! </div><div style="text-align: justify;"><br />
</div><div style="text-align: justify;">Donc la question est de savoir si ultimement, les gens sont "naïfs" c'est à dire n'anticipent pas qu'ils peuvent être incohérents dynamiquement, ou s'ils "sont sophistiqués", c'est à dire anticipent ce que seront leurs préférences futures et adoptent des actions qui, aujourd'hui, déjouent les actions potentiellement mauvaises de leur ego futur (oui, je sais lecteur, tu peux acheter des stocks d'aspirine à la tonne <a href="http://cgi.ebay.fr/LOT-DE-2-TUBES-ASPIRINE-BAYER-VEGANINE-SUBSTANTIA-/160405454740">ici</a>). En bref, si je suis sophistiqué, mon ego présent sait quelles actions mon ego futur est susceptible d'adopter et les conséquences qui leur sont attachées, pour moi et pour lui. Un individu sophistiqué sait qu'il joue en premier et la théorie des jeux non coopératifs peut donc être appliquée à cette situation d'interaction entre mes egos successifs.</div><div style="text-align: justify;"><br />
</div><div style="text-align: justify;">Une étude expérimentale récente vient d'être publiée par John^3* Bone, Hey and Suckling en 2009 dans Experimental Economics (* : les trois s'appellent John, d'où le John au cube, une version du papier doit figurer <a href="http://www-users.york.ac.uk/%7Ejdh1/papers.html">ici</a>). Leur expérience implique différents traitements dans lesquels des participants font des choix dynamiques.</div><div style="text-align: justify;">Notamment, dans un des traitements, les sujets doivent choisir entre deux décisions sachant que, à l'issue de cette première série de décisions, la Nature choisira parmi deux issues, et qu'ils devront alors choisir à nouveau parmi deux décisions, et qu'à l'issue de cette dernière décision, un état de la nature sera choisi parmi deux possibles (on leur présente un "arbre de décision" qui comporte 2*2*2*2 = 16 branches). Bien sûr, avant de choisir la 2de fois, il sauront quel est l'état de la nature sélectionné juste avant. L'information est donc croissante au cours du temps. Cela ressemble à quelque chose comme cela:</div><div style="text-align: justify;"></div><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhsndadt8yTFm98X4Bym1UQ7iLWAyOj7l-HVwydUQ8Bc7hlylxwDLeylrvpz6nVNOnFZ8VAaRmVTGD0gAZE5CfMJwI7ymHyte0Q6sbQShMIR8iYJ93o_O2U5U4fbNeBeWiWPdqS6Ur8-eT-/s1600/hey2009.png" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="300" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhsndadt8yTFm98X4Bym1UQ7iLWAyOj7l-HVwydUQ8Bc7hlylxwDLeylrvpz6nVNOnFZ8VAaRmVTGD0gAZE5CfMJwI7ymHyte0Q6sbQShMIR8iYJ93o_O2U5U4fbNeBeWiWPdqS6Ur8-eT-/s400/hey2009.png" width="400" /></a></div><div style="text-align: justify;"> source : Bone, Hey and Suckling, 2009</div><div style="text-align: justify;"><br />
</div><div style="text-align: justify;"><br />
</div><div style="text-align: justify;">Un des principaux résultats est que plus de la moitié des participants se comportent de manière "naïve" et non pas "sophistiquée" comme je l'expliquais ci-dessus. La majorité des sujets ne planifie pas vraiment ses décisions et ne se conforme donc pas à la manière dont les économistes représentent le choix dynamique. Par ailleurs, la répétition de l'expérience n'améliore pas cette proportion, les participants ne sont pas plus sophistiqués à l'issue d'un apprentissage du problème que sans cet apprentissage.La manière qu'ont les économistes de représenter le choix dynamique en termes de comportement sophistiqué est donc en grande partie à côté de la plaque, nous expliquent ces auteurs.</div><div style="text-align: justify;"><br />
</div><div style="text-align: justify;">Donc, en dépit de sa qualité artistique pour le moins discutable, le film Proposition indécente semble d'une certaine justesse dans la manière de représenter les choix tels qu'ils sont réalisés concrètement par des personnes comme vous et moi.</div><div style="text-align: justify;"></div><div style="text-align: justify;">Cela m'amène à une réflexion : peut être qu'en fait, le scénariste de 'Proposition indécente' était un expérimentaliste qui n'arrivait pas à publier son papier, et qui, pour survivre, a refourgué son histoire à Hollywood pour rendre publics ses résultats ?? Hum, hum, je vais essayer de refourguer un des mes papiers à TF1 pour "Joséphine Ange Gardien", mais je ne te dirait pas, lecteur, lequel. A toi de deviner et de visionner du coup tous les épisodes à venir.</div><div style="text-align: justify;"><br />
</div><div style="text-align: justify;"><br />
</div>Laurent Denant-Boemonthttp://www.blogger.com/profile/08252381928844005264noreply@blogger.com8tag:blogger.com,1999:blog-6161986843091652284.post-32437029043957851292010-03-13T11:03:00.008+01:002010-03-14T08:33:10.568+01:00L'influence d'Ushaïa sur le vote écolo ? Humain, trop humain....<div style="text-align: justify;"><br />
</div><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjMzMi-13gsrL-IEt4yo1ew19jZZPTf914T9Iw3mcD6fmLTlosbWvAUjkeNeXReiod8okkdtR2UyD-cu8Hw4JdXA9oqt8k8YMUKVRBjxXE438G9Ze465nxaz0M3kPStaFrYcIfOH5ixt_y0/s1600-h/Ushuaia-Nature-A-la-rencontre-de_diaporama.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="265" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjMzMi-13gsrL-IEt4yo1ew19jZZPTf914T9Iw3mcD6fmLTlosbWvAUjkeNeXReiod8okkdtR2UyD-cu8Hw4JdXA9oqt8k8YMUKVRBjxXE438G9Ze465nxaz0M3kPStaFrYcIfOH5ixt_y0/s400/Ushuaia-Nature-A-la-rencontre-de_diaporama.jpg" width="400" /></a></div><div style="text-align: justify;"><br />
</div><div style="text-align: justify;"><br />
</div><div style="text-align: justify;">Le CSA vient de rejeter la demande faite par Jean-Jack Queyranne, élu du Conseil Régional de Rhône Alpes, qui souhaitait que l'émission de notre Nicolas Hulot national, Ushaïa, qui doit être diffusée ce soir, soit reportée après le scrutin régional du premier tour dimanche. Celui-ci arguait en effet que la diffusion de cette émission pourrait avoir une influence sur les électeurs, le catastrophisme hulotien bien connu sur les malheurs de la planète les incitant à voter écolo en masse !</div><div style="text-align: justify;"></div><div style="text-align: justify;">Plus précisément, (je <a href="http://www.blogger.com/Le%20pr%C3%A9sident%20socialiste%20de%20Rh%C3%B4ne-Alpes%20estimait%20en%20effet%20que%20l%27%C3%A9mission%20anim%C3%A9e%20par%20Nicolas%20Hulot%20d%C3%A9fend%20l%27id%C3%A9e%20que%20la%20%22plan%C3%A8te%20est%20fragile%20et%20vuln%C3%A9rable%22%20et%20qu%27une%20%22telle%20prise%20de%20position%22%20%28sic%29%20devrait%20appeler%20le%20CSA%20%C3%A0%20ordonner%20un%20report%20de%20diffusion.%20Le%20courrier%20de%20Queyranne%20se%20terminait%20m%C3%AAme%20assez%20s%C3%A8chement%20:%20%22J%E2%80%99attends%20que%20le%20CSA%20veille%20scrupuleusement%20au%20respect%20du%20principe%20de%20neutralit%C3%A9%20des%20grands%20m%C3%A9dias%20audiovisuels.%20C%E2%80%99est%20la%20mission%20que%20vous%20a%20confi%C3%A9e%20le%20l%C3%A9gislateur.%22">cite pour que tout soit clair</a>), le président socialiste de Rhône-Alpes estimait en effet que l'émission animée par Nicolas Hulot défend l'idée que la<i> "planète est fragile et vulnérable" </i>et qu'une <i>"telle prise de position"</i> (sic) devrait appeler le CSA à ordonner un report de diffusion. Le courrier de Queyranne se terminait même assez sèchement : <i>"J’attends que le CSA veille scrupuleusement au respect du principe de neutralité des grands médias audiovisuels. C’est la mission que vous a confiée le législateur."</i></div><div style="text-align: justify;"><br />
</div><div style="text-align: justify;">Quelle plaisanterie, n'est-ce pas lecteur ? </div><div style="text-align: justify;"><br />
</div><div style="text-align: justify;">De nombreux commentateurs se sont en effet moqué de cette demande, fustigeant ce rggnnnnntdjuuuu.... d'élu qui pouvait penser que des décisions aussi importantes que les choix politiques puissent être influencées par des choses aussi futiles qu'une émission de télévision, a priori non politique, qui surfe plutôt sur le registre de l'émotion provoquée par la beauté de la Nature et l'exaspération face aux outrages que nous, espèce humaine, lui faisons subir...</div><div style="text-align: justify;"><br />
</div><div style="text-align: justify;">Pour autant, et bien que j'ai eu une réaction similaire à l'écrasante majorité des commentateurs (Diantre ! Il nous prend pour des chiens de Pavlov qui, en guise de salive provoquée par la lumière rouge, votons écologiste quand nous voyons Home ou équivalent ?), après deux minutes de réflexion, j'en suis arrivé à la conclusion qu'il n'avait peut être pas totalement tort.</div><div style="text-align: justify;"><br />
</div><div style="text-align: justify;">Sommes-nous seulement des êtres de chair et de sang, balayés par les vents de l'émotion et sujets à des réactions épidermiques, assez loin du comportement de choix rationnel tel que le supposent la plupart des économistes ?</div><div style="text-align: justify;">Au risque de te décevoir, lecteur, et de t'enlever une partie de tes illusions sur le libre-arbitre, eh bien oui.... Tout du moins y-a-t-il suffisamment d'évidence scientifique pour dire cela.</div><div style="text-align: justify;">Après tout, dire que nos choix ne sont peut être pas aussi rationnels que cela, et sont susceptibles d'être influencés par des dimensions anecdotiques et a priori non pertinentes est l'essentiel de ce que l'on fait quand on fait de l'économie comportementale, et en particulier de l'économie expérimentale...</div><div style="text-align: justify;">En fait, l'évidence empirique mise en lumière par les expérimentalistes va totalement ou presque dans le sens de ce que dit cet élu. Nous sommes en grande partie les jouets de nos émotions et nous réagissons essentiellement avec autre chose que notre froide raison, même pour des choix a priori aussi froids et rationnels que les choix financiers. C'est un des apports essentiels de la neuroéconomie.</div><div style="text-align: justify;">Le phénomène qui consiste à provoquer une modification de l'humeur suffisamment pérenne pour amener un sujet à modifier ses choix s'appelle l'induction d'humeur ("mood induction" en anglais). C'est une technique de manipulation des émotions souvent utilisée en laboratoire (pour ceux qui voudraient plus de détails, voir <a href="http://books.google.fr/books?id=bym66K88-ysC&pg=PA1&lpg=PA1&dq=Glimcher+neuroeconomics&source=bl&ots=dH6UI4khrL&sig=oAU9cs74METT9rG2vx_Slzml7Ic&hl=fr&ei=YlebS-nRKaKO4gbT8e15&sa=X&oi=book_result&ct=result&resnum=1&ved=0CAsQ6AEwAA#v=onepage&q=&f=false">Glimcher et al. 2009 (eds), Neuroeconomics</a>).</div><div style="text-align: justify;">Cette technique est fréquemment utilisée par les psychologues, y compris pour évaluer l'impact des émotions sur les choix politiques des votants, un travail très représentatif de cette idée étant par exemple l'article de L Isbell et V. Ottati en 2002 sur le <a href="http://books.google.fr/books?hl=fr&lr=&id=OYrErhPFFLwC&oi=fnd&pg=PA55&dq=emotional+voter&ots=FavzEPDnVn&sig=hNvxSizcdzraYug51IEOQ4r5UBA#v=onepage&q=emotional%20voter&f=false">votant émotif</a> ("emotional voter").</div><div style="text-align: justify;"><br />
</div><div style="text-align: justify;">Si l'économie expérimentale ne s'est pas à ma connaissance intéressée à ce phénomène d'induction humeur en matière de choix de vote politique, un papier assez connu de <a href="http://www.ecares.org/ecare/personal/kirchsteiger$/publications/2006jebo-Morale_and_mood.pdf">Kirschteiger et al., 2006</a> s'est focalisé sur le rôle de ce phénomène sur la coopération entre deux individus.<br />
<br />
Ces auteurs réalisent une expérience dans laquelle chaque paire de participants joue un gift-exchange game. J'ai déjà expliqué ce jeu <a href="http://expeconomics.blogspot.com/2009/07/il-y-quelques-semaines-je-consacrais-un.html">ici,</a> mais je peux en rappeler le principe en deux mots. Dans ce jeu, un participant 1 doit décider de fixer un transfert d'une somme d'argent qui lui a été remise vers le participant 2. Ce participant 2, après avoir reçu le transfert du participant 1, doit choisir un niveau d'effort coûteux pour lui qui va permettre de plus ou moins valoriser ce transfert . En effet, l le niveau d'effort choisi par le participant 2 va alors déterminer le gain du participant 1 qui gagnera, pour simplifier, la différence entre le niveau d'effort choisi par le participant 2 et le montant qu'il a transféré au début du jeu. Dans ce jeu, l'équilibre de Nash parfait en sous jeu, si on suppose que le jeu est répété une seule fois ("one shot game") est que le participant 2 choisit le niveau d'effort le plus faible possible (nul si possible). Anticipant cela, le participant 1 devrait proposer un niveau de rémunération également le plus faible possible. Il s'agit d'un dilemme social, dans la mesure où la structure du jeu implique qu'il serait meilleur pour les deux joueurs d'arriver à un niveau de coopération impliquant un transfert plus important au début du jeu.<br />
Nombre d'expériences ont observé que, contrairement à la prédiction théorique issue de l'équilibre de Nash parfait en sous jeu, le niveau de transfert était assez important et, en contrepartie, le niveau d'effort choisi était loin d'être le minimum.</div><div style="text-align: justify;"><br />
</div><div style="text-align: justify;">L'originalité de l'étude de Kirschteiger et al., 2006 est la suivante. Avant de faire jouer le gift exchange game à chaque paire de participants, ils font visionner aux participants 2 (ceux qui doivent choisir le niveau d'effort en réponse au transfert) une séquence d'un film, l'une issue de "la liste de Chindler" de Spielberg et pour d'autres participants une scène issue d'un film de Chaplin "Les lumières de la ville". La première scène est une scène assez terrible dans le ghetto de Varsovie, la seconde scène est une scène comique dans laquelleCharlot se livre à un désopilant combat de boxe, chaque scène durant 5 mn. Chaque séquence est censée induire un état d'affect positif dans le second cas et négatif dans le premier. Puis, après que les participants 2 aient visionné chacun une des séquences (deux traitements), ils doivent faire un report concernant leur état émotionnel à l'issue du visionnage, puis jouent le gift exchange game.</div><div style="text-align: justify;"><br />
Leurs résultats sont assez spectaculaires. Dans le traitement "bad mood" (les participants 2 ont vu la scène dramatique), le niveau d'effort choisi est très supérieur à celui qui est en moyenne choisi dans le traitement "good mood" (la scène drôle de boxe).. Bien évidemment, le comportement du participant 1, qui n'a vu aucune scène, ne diffère pas selon les traitements. En moyenne, sachant que le niveau d'effort choisi par le participant 2 peut varier de 0.1 à 1, dans le traitement "bad mood", le niveau d'effort choisi est de 0.32 contre 0.28 dans le traitement "good mood", la différence étant statistiquement significative.<br />
Une des explications proposées par les auteurs est que, lorsqu'un participant est soumis au traitement good mood, il cherche à rester dans cet état d'esprit, mais cela le conduit à avoir un niveau de réciprocité vis-à-vis du participant 1 moins important. A contrario, un participant qui est soumis au traitement "bad mood" cherche lui à sortir de ce mauvais état d'esprit à tout prix, ce qui explique le niveau de coopération élevé dans ce traitement.</div><div style="text-align: justify;"><br />
Un de mes collègues, <a href="http://ideas.repec.org/p/grt/wpegrt/2009-03.html">Emmanuel Petit</a>, a récemment observé des résultats similaires dans le cadre d'un jeu d'ultimatum soumis à des manipulations de l'état d'émotion des participants à l'aide de séquences de films.</div><div style="text-align: justify;">En conclusion, il faut sans doute se méfier d'une attitude qui consisterait à sous estimer le rôle des émotions dans des choix a priori rationnels réalisés dans un cadre d'incitations clair. Il me semble que, déjà lors de la présidentielle de 2002, le rôle des reportages sur l'insécurité en France et le discours ambiant sur ce thème avait été mis en cause pour expliquer la défaite du PS au premier tour.</div><div style="text-align: justify;"><br />
</div><div style="text-align: justify;">En ce qui concerne Ushaïa et la demande de Queyranne, il faut donc là encore essayer d'aller contre le bon sens, et réaliser que l'impact du facteur émotionnel est loin d'être négligeable même longtemps après...</div><br />
<div style="text-align: justify;"></div>Laurent Denant-Boemonthttp://www.blogger.com/profile/08252381928844005264noreply@blogger.com3tag:blogger.com,1999:blog-6161986843091652284.post-27781886516430024412010-02-27T09:45:00.007+01:002010-02-27T21:29:20.717+01:00Economie des contes de fées : Hansel et Gretel<div style="text-align: justify;"><br />
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEg5TJgkHhMxPpeC9I8W3qEe5h26qGme6XGGPyFV0HZg6-sgPWx55IDT07zB8XgpsYWjO41q2cX3L2CUg67P6cemQaWc2Ka0R76-JkwZCZD-IESZnzaQ6IyLFYhExxGRV3yy58LFHyhFySmh/s1600-h/hansel.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="400" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEg5TJgkHhMxPpeC9I8W3qEe5h26qGme6XGGPyFV0HZg6-sgPWx55IDT07zB8XgpsYWjO41q2cX3L2CUg67P6cemQaWc2Ka0R76-JkwZCZD-IESZnzaQ6IyLFYhExxGRV3yy58LFHyhFySmh/s400/hansel.jpg" width="317" /></a></div><br />
Peu avant les vacances scolaires, un de mes enfants a ramené de l'école un conte bien connu des frères Grimm, "Hansel et Gretel". Si j'ai toujours été féru de contes et de mythologie, bien que connaissant les grandes lignes de l'oeuvre des diaboliques frangins, je n'avais jamais lu leur conte. En le parcourant, je me suis alors dit, comme jadis Bruno Bettelheim avec sa célèbre "psychanalyse des contes de fées" (1976), que ce conte et beaucoup d'autres peuvent constituer une excellente introduction à l'économie. Cette idée, lecteur, je te la livre, avec ma générosité habituelle, ainsi qu'aux éventuels professeurs de lycée ayant à affronter la réforme des programmes de SES.... (cette dernière suggestion est un brin ironique bien évidemment, parce que essayer d'intéresser des ados à l'économie avec "Les trois petits cochons" risque de déclencher l'hilarité générale dans la classe)</div><div style="text-align: justify;"><br />
En fait, en cherchant un peu, je me suis rendu compte que cette idée était déjà venue à d'autres, comme Ed Glaeser<a href="http://economix.blogs.nytimes.com/2009/09/01/the-economics-of-fairy-tales/"> ici</a>. Il nous explique notamment, s'appuyant sur son article de 1992 dans le J<i>ournal of Political Economy</i>, comment le "paradoxe de Cendrillon" peut être expliqué. En quelques mots, le paradoxe de Cendrillon réside dans le fait que la belle-mère de Cendrillon néglige la belle en termes d'investissement familial et mise tout sur les deux soeurs de Cendrillon, ce qui semble peu intuitif car, dans la course au succès, (qui épousera le fils du roi ?) elle ne devrait pas mettre tous ses oeufs dans le même panier et diversifier ses actifs (donc choyer Cendrillon au même degré que ses filles). Il évoque également d'autres contes dont la dimension pédagogique d'un point de vue économique est intéressante, comme "le Magicien d'Oz", ou "Jack et le haricot magique".<br />
<br />
Bon revenons à nos moutons, ou plutôt à nos Hansel et Gretel....<br />
<br />
<i>[Je note en passant que ce billet vaut deux fois son pesant de rien du tout, car pour le même prix, lecteur, tu as les éléments d'un conte de fées à raconter à tes enfants, au cas où tu ne connaisses pas l'histoire d'Hansel et Gretel et en prime des idées de réflexion pour tes vieux jours.</i><br />
<i>Par ailleurs, lecteur, si tu es un parent en quête d'histoires à raconter le soir à tes bambins, en voilà une qui les terrifiera et te permettra de leur faire peur avec tout un tas de sorcières et d'ogres imaginaires susceptibles de les faire obéir au doigt et à l'oeil, et ce à peu de frais...] </i><br />
<br />
Donc Hansel et Gretel vivent dans une chaumière à l'orée de la forêt avec leur père, un brave homme, et une marâtre absolument détestable. Extrait :<br />
<br />
</div><div style="text-align: justify;">" <i>La famille avait toujours été très pauvre, mais lorsque la famine s'abattit sur le pays, ils n'eurent absolument plus rien à manger</i>."<br />
<br />
Suggestions de discussion économique : notion de choc exogène, endogène sur l'économie (la famine peut être assimilée à l'un ou l'autre, à un choc exogène si par exemple elle est issue d'aléas climatiques ayant réduit le niveau des subsistances agricoles, ou à un choc endogène si par exemple le gouvernement a mis en place des taxes sur les biens alimentaires) ; inégalités des patrimoines et des revenus ; choix de localisation optimale dans le modèle développé par Alfred Weber (1909), le frère de Max, dans son ouvrage "théorie de la localisation des industries".<br />
<br />
Sur ce dernier point par exemple, histoire de faire un développement un peu plus conséquent, le père de Hansel et Gretel est bûcheron et choisit de se localiser près de la forêt et non à proximité du marché de consommation, la ville. Le modèle de Weber explique parfaitement ce choix dans la mesure où si le poids des matières premières est plus important que le poids des biens de consommation qui sont fabriqués avec cette matière première, et que le coût de transport est fonction de la distance et du poids, alors il est optimal de se localiser à proximité de la source de matières premières. Dans le cas contraire (poids du bien de consommation supérieur au poids de la matière première, il aurait été optimal de se localiser à proximité du marché final, en ville. Cela permet aussi de discuter des limites du modèle, celui-ci supposant notamment que mon brave bûcheron est en situation de monopole.<br />
<br />
Reprenons la suite du conte avec un autre extrait :<br />
<br />
</div><div style="text-align: justify;"><i>" Je ne vois qu'une solution, dis sa femme, les conduire au plus profond de la forêt et les y laisser.</i><br />
<i>" Seigneur ! dit le père, tu me demandes d'abandonner mes enfants ?" </i><br />
<i>" Tu préfères que nous mourrions tous les quatre de faim ?"</i></div><div style="text-align: justify;"><br />
Discussion et commentaires : La marâtre, bien que fort antipathique, a du suivre ides cours de théorie des jeux (même si elle n'existe pas encore au moment où les Grimm écrivent ce conte) car elle utilise à merveille l'idée de<i> stratégie (faiblement) dominante </i>de la théorie des jeux. En effet, abandonner les enfants implique une issue fatale avec une très grande probabilité pour eux seulement (surtout si le loup du petit chaperon rouge n'est pas rassasié à l'issue de son festin à base de Mère Grand, de chaperon et de beurre et de petit pot de lait, et qu'il traine toujours dans la forêt). A contrario, ne pas les abandonner implique une issue fatale pour l'ensemble de la famille. Le choix rationnel et égoïste est donc vite fait...<br />
<br />
Il est également possible d'insister également sur la rareté des ressources et le caractère infini des besoins, l'économie étant la science de l'arbitrage entre les deux. </div><div style="text-align: justify;"><br />
Là dessus, le père les emmène dans la forêt, les perds mais heureusement Hans a pris soin de semer de petits cailloux blancs, ce qui permet derechef aux enfants de retrouver leur chemin vers la chaumière familiale.</div><div style="text-align: justify;"><br />
</div><div style="text-align: justify;"><i>[Une remarque, lecteur, il me semble que les frères Grimm ont légèrement plagié Perrault (le petit poucet), qui lui même a du plagier Strabon, qui lui même a du plagier Homère. En effet, dans l'Odyssée, les grecs sèment des chevaux de bois pour retrouver leur chemin vers Troie ? Non ?].</i></div><div style="text-align: justify;"><br />
</div><div style="text-align: justify;">Bon, je passe un peu plus vite. La famille a entre temps été remboursée d'un prêt fait au Roi , ressource qu'elle n'attendait plus (on pourra développer sur le risque souverain et la dette publique, en évoquant au passage le cas actuel de l'économie grecque et des difficultés actuelles et futures du gouvernement grec à emprunter auprès des particuliers). Dès lors, tout se passe bien pendant quelque temps jusqu'à ce que cette ressource providentielle soit épuisée. Le père (bis) emmène à nouveau les enfants en forêt pour perdre ses enfants, mais Hansel prend soin de semer des miettes de pain, ce qui n'est absolument d'aucun secours, un farceur d'oiseau boulottant l'intégralité de ses repères.<br />
<br />
On pourrait d'ailleurs introduire la théorie des jeux répétés, car si chaque fois que la famille est dans le besoin les enfants sont menés dans les bois, ils devraient l'anticiper, et Hansel aurait du constituer une réserve de plusieurs tonnes de petits cailloux blancs.<br />
<br />
</div><div style="text-align: justify;">Les enfants tombent sur la maison en pain d'épices dans la forêt, habitée par une sorcière qui les capture pour ("on n'attrape pas une mouche avec du vinaigre") pour pouvoir engraisser Hans afin de de dévorer. Gretel sert elle de bonniche à la sorcière en attendant le jour de ce funeste festin.</div><div style="text-align: justify;">C'est là une magnifique illustration du concept d'investissement comme détour de production tel que l'a présenté l'économiste autrichien <a href="http://fr.wikipedia.org/wiki/Eugen_von_B%C3%B6hm-Bawerk">Eugen Böhm-Bawerk</a> et du coût d'opportunité de la constitution d'un capital... La sorcière a détourné une partie de ses ressources pour construire cette maison qui lui permet d'attirer des enfants et détourne encore une autre partie de celles-ci pour faire fructifier sa capture.<br />
<br />
</div><div style="text-align: justify;">Bon, je solde le reste du conte, car votre patience et la mienne doivent être épuisées.<br />
Hans trompe la sorcière sur son embonpoint (elle a la vue un peu basse apparemment), puis les enfants réussissent à la jeter dans le four et tombent sur un trésor qui fait la fortune de la famille, car, last but not least, ils réussissent à trouver le chemin de la maison familiale. Tout cela finit dans des effusions de joie lors des retrouvailles, d'autant plus qu'entre temps, la marâtre est passée de vie à trépas, et il ne reste que le brave bûcheron qui adore ses enfants.<br />
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</div><div style="text-align: justify;">Comme une théorie pédagogique ne vaut que si elle est testée, j'ai essayé à l'occasion de la lecture du conte de faire cette introduction à l'économie à mon fils, sept ans.</div><div style="text-align: justify;"><br />
</div><div style="text-align: justify;">Extrait de notre dialogue (j'ai laissé tombé assez rapidement sur la théorie des jeux et la notion de stratégie dominante) :</div><div style="text-align: justify;">[Au moment du passage sur le détour de production]</div><div style="text-align: justify;">- moi : "<i>tu comprends, la sorcière nourrit Hans pour qu'il grossisse et soit plus appétissant...</i>"</div><div style="text-align: justify;">- lui (dubitatif manifestement) : "<i>Mais pourquoi la sorcière elle mange pas tous les bonbons et les gâteaux qu'elle lui donne et elle mange en plus Hans, même s'il est maigre ?</i>"</div><div style="text-align: justify;">- moi (encore plus dubitatif) : "<i>Euh, peut être qu'elle aime pas les bonbons d'abord et puis, elle a peut être pas faim aujourd'hui, alors elle préfère attendre que Hans soit bien joufflu pour quand elle aura faim..</i>."</div><div style="text-align: justify;">- lui (front plissé) : "<i>elle est stupide cette sorcière, elle n'a qu'à vendre ses bonbons sur e-bay, comme ça avec les sous, elle pourra acheter de la viande et quand même manger Hans si elle a encore faim !</i>"</div><div style="text-align: justify;">- moi (agacé) : "<i>Euh, je vais te remettre la playstation, hein, ce sera mieux...</i>"<br />
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Je pense qu'il n'était pas dans de bonnes dispositions, j'essaye la semaine prochaine avec quelque chose de plus évident, comme les "trois petits cochons".... <br />
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</div>Laurent Denant-Boemonthttp://www.blogger.com/profile/08252381928844005264noreply@blogger.com6