mardi 14 avril 2009

Billet de vacances : économie de Disneyland Paris


Cette semaine, à l’occasion de ces vacances de Pâques, j’ai eu la très grande joie d’emmener mes enfants, leur âge s’y prêtant malheureusement, à Disneyland Paris.
En fait, l’Europe entière semblait avoir pris la même décision (belges, hollandais, anglais et autres), et la cohue aidant, nous nous sommes retrouvés à attendre de longues minutes, pris dans les files d’attente, pour accéder, entre autres, aux fameuses attractions.
Alors que je me morfondais en broyant du noir dans les multiples queues générées par une fréquentation digne des soldes d’été chez Gap, j’ai eu alors l’idée de ce billet consacré à quelques réflexions sur l’économie de ce pays singulier sis en pleine banlieue parisienne.
Disneyland est le lieu d’un paradoxe économique assez unique. Le parc est en effet régi par deux systèmes économiques complètement opposés en termes d’allocation des ressources. Le premier est un système de marché régi par des mécanismes de prix (de monopole, j’y reviendrai…).Le second système est régi par un mécanisme de file d’attente. Ces deux systèmes fonctionnent bien évidemment de concert, en parfaite coordination l’un avec l’autre.
Le système de régulation par la file d’attente est celui qui régit l’accès aux attractions.
En effet, on attend beaucoup à Disneyland, le rendement économique est catastrophiquement bas : 2 à 5 mn de plaisir pour 30 à 60 mn d’attente lors de l’accès aux attractions les plus courues. Le système de file d’attente est la conséquence de la tarification du parc, un forfait permettant d’accéder à la zone limitée du parc, les attractions étant, pour l’essentiel, accessibles gratuitement.
La queue est d’ailleurs organisée de manière magnifique et copiée depuis dans de nombreux endroits : la longueur de la queue est adaptée par le personnel en fonction du trafic, de sorte que le client ait toujours l’impression d’avancer (et on avance effectivement toujours, ce qui est proprement épuisant), la vitesse de progression étant approximativement constante. Bien évidemment, un autre système de régulation aurait consisté à mettre en place un prix d’accès aux attractions, fonction de la demande d’accès (mécanisme de tarification visant à réguler la demande, inventé par Jules Dupuit en 1852).
Un mécanisme d’équilibre offre (capacité) -demande d’accès donnerait par exemple un prix élevé pour une attraction reine de Disneyland Paris comme « Pirates des Caraïbes » ou «  le train de la mine », et un prix faible pour une attraction délaissée, comme « 20000 lieues sous les mers »… Mais ce n’est pas ce système économique qui a été choisi, et on se rapproche en cela de l’économie socialiste avant la chute du mur de Berlin. La différence avec l’économie de la défunte URSS est que l’on est content d’attendre, et que la plupart des gens (à ma notable exception) sourient bêtement de perdre tout ce temps. De plus, la file d’attente n’est pas dispersée quand le bien n’est plus disponible, car ici, l’attraction (sauf panne) est toujours disponible, et seul le temps d’attente s’ajuste.
Par ailleurs, à côté, de cette régulation par la file d’attente, Disneyland est clairement le temple de l’économie de marché : tout est y est « inventorié, fiché, estampillé, enregistré, classé puis déclassé ou numéroté »1… et finalement vendu voire soldé.
Si les choses sont utiles, c’est parce qu’elles sont rares, disait Léon Walras. Cet axiome s’applique à 300% à Disneyland Paris... Le moindre biscuit, la moindre bouteille d’eau ou de soda que vous ne regarderiez même pas dans votre monoprix habituel y devient désirable tellement il est rare. Les prix sont en conséquence de cette rareté. Le paradoxe ultime est que vous êtes content de dépenser une fortune pour de tels biens car le risque de ne plus les trouver par la suite n’est pas si minime (voir les bouteilles d’eau fraiche durant les chaudes journées d’été. Disneyland devient alors Darwinland, le belge étant prêt à éventrer le néerlandais pour être devant lui dans la file d’attente…).
Le comble de tout cela, c’est que cette rareté est en fait en grande partie psychologique, et liée au fait que vous avez l’impression d’être dans un pays lointain où la disponibilité n’est plus identique à celle que vous connaissez habituellement, comme si vous étiez dans une lointaine province de Moldavie du Sud (j’espère qu’il n’y a pas de moldaves dans mes lecteurs, mon intention n’est en tout cas pas de les blesser). Alors qu’en fait, vous êtes au plus à 5 mn du périph’ parisien et des zones commerciales les plus débordantes de richesse qui existent au monde, biens et services y étant disponibles à des prix « normaux ».
Last but not least, c’est sûrement là encore un des seuls endroits du monde où les gens viennent pour se faire « capturer » par un monopole. Celui-ci exerce ensuite de manière implacable son droit d’extraction de rente : inutile d’aller d’un vendeur à un autre au sein du parc pour comparer les prix et faire jouer la concurrence (tiens, quelqu’un a-t-il déjà essayé de négocier un prix là bas ?), la bouteille d’eau est au même prix partout, le prix du magnum de champagne ailleurs (en dehors de Disneyland bien sûr, le prix du magnum de Champagne à Disneyland représentant approximativement la valeur de ma maison)…
Enfin, comme je suis un peu spécialiste d’économie des transports, un dernier paradoxe. Disneyland est l’endroit de la terre où la vitesse de déplacement est la plus faible : en moyenne environ 6 à 7 kms par jour, sur 10 bonnes heures de marche permanente, soit une vitesse à peine supérieure à un demi-kilomètre heure, approximativement la vitesse de reptation d’un escargot de ma région natale, la Bourgogne.
Pourquoi une si mauvaise performance ? Encore une fois, elle s’explique par les files d’attente multiples (pour manger, pour s’amuser, pour aller aux toilettes, je suis d’ailleurs surpris qu’il n’y ait pas de file d’attente pour pouvoir attendre), où l’on avance avec une lenteur désespérante par à coups, en fonction du débit de l’attraction. L’équilibre d’une attraction est d’ailleurs la parfaite illustration de la courbe débit-vitesse utilisée en ingénierie du trafic pour décrire l’externalité négative induite par l’augmentation du trafic routier sur la vitesse moyenne de déplacement pour un usager :

Au fur et à mesure que le nombre de personnes qui accède à l’attraction augmente, le débit étant constant (la capacité de l’attraction étant donnée en nombre de clients par heure, elle représente donc un goulot d’étranglement), leur vitesse moyenne baisse et peut même devenir nulle (situation dite d’hypercongestion).
Dès lors, on piétine beaucoup dans les attractions les plus courues (c’est vraiment une expression car on ne coure jamais dans la file d’attente de ces attractions !), et les pieds  des visiteurs ont  facilement pris à la fin de la journée deux à trois pointures de plus.
Je suis ultimement étonné qu’ils n’aient pas pensé à mettre un salon de soin et de massage pédicole (de pedis, pied, et cole, culture) à la sortie du parc, je suis sûr que cela marcherait du tonnerre de Brest…

PS : Il faut bien l’avouer, en dépit des apparences cyniques et faussement poseuses de ce billet, j’adore les parcs d’attraction et en particulier Disneyland Paris.


1.       1. The Prisoner, episode 1, Arrival « «I’ve resigned. Il will not be pushed, filed, stamped, indexed, briefed, debriefed or numbered. My life is my own.»

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