dimanche 23 janvier 2011

L'affaire PPDA : D'un plagiat à l'économie à l'économie du plagiat


Récemment, le grand écrivain, accessoirement journaliste (à moins que ce ne soit le contraire), Passe-moi-le-poivre-d’abord (Pardon, c’est le surnom que Desproges lui donnait et j'avoue préférer celui-ci à l'original) s’est trouvé empêtré dans une ténébreuse affaire de plagiat d’une œuvre existante lors de la réalisation de sa « propre » biographie d’Hemingway. En fait, on ne sait pas toujours bien aujourd’hui si c’est lui-même qui a plagié ou si c’est la personne chargée d’écrire à sa place la dite biographie- son nègre selon le terme consacré - qui est coupable de plagiat. Car, dans une sorte de mise en abîme amusante et affolante en même temps – comme l’écrivait Nietzsche, « quand tu regardes l’abime,  l’abîme regarde aussi en toi » -la question est : le copieur a-t-il copié l’œuvre ou le copieur a-t-il copié le copieur de l’œuvre ?

[Lecteur, je sens que les maux de tête arrivent et que tu envisages déjà de zapper sur le blog de Régis, nettement moins prise de tête]
Les enseignants, dont je suis,  ont tous été confronté à ce problème de plagiat dès qu’il est demandé aux étudiants de fournir un travail écrit personnel à réaliser en dehors du cours. Dans le meilleur des cas, un dossier sur trois contient des preuves évidentes de plagiat, parfois un peu inconscient, qui consiste en la culture du « copier-coller » de morceaux de texte, parfois même non relus.
[Dans le genre grands classique de l’anthologie des cancres, un dossier qui écrit en 2010 « la politique de notre entreprise… » après avoir repompé un vague dossier de présentation d’une stratégie, ou « Au-delà de l’année 1995, les perspectives  futures s’avèrent prometteuses… »]

Qu’est ce que le plagiat ? Je reprendrais la definition du Black’s Law Dictionary,  comme “the act of appropriating the literary composition of another, or parts or passages of his writings, or the ideas or language of the same, and passing them off as the product of one's”own mind.

Le plagiat n’est donc pas seulement un copier coller, mais aussi le fait de voler l’idée de quelqu’un et de se l’attribuer avec une générosité envers soi qui force le respect. Je ne parlerai que de la forme stricte du plagiat évoquée dans la première partie de cette citation, à savoir le « copier-coller » apparemment à l’œuvre dans l’affaire PPDA.

[Je pouffe d’ailleurs à propos de la défense de l’intéressé face à l’accusation, qui déclare le plus sérieusement du monde la chose suivante : « "Je me suis naturellement documenté auprès des nombreuses biographies  existantes, au nombre desquelles celle de Griffin - la biographie copiée (NDLA) - me semble la meilleure sur le  jeune Hemingway. Mais je n'allais pas lui réinventer une vie !" ». J’envisage d’ailleurs personnellement de me « documenter » fréquemment sur les blogs d’économie francophone parce que, bon hein !je ne vais pas réinventer l’analyse économique.]

Le plagiat est un phénomène non pas récent mais apparemment en pleine explosion. Il ne concerne malheureusement pas que les étudiants, mais les journalistes et éventuellement les économistes universitaires. Cette enquête de Wooders and Hoover en 2005 établit que sur la base de 1200 réponses d’enquêtés économistes académiques, environ 25% estiment avoir été plagiés au moins une fois . D’ailleurs, une proportion non négligeable de ces économistes académiques interrogés (35%) a tendance à définir le plagiat de manière assez stricte, consistant à copier une citation sans l’attribuer, l’utilisation d’idées des autres non citée n’étant pas strictement ou vraisemblablement du plagiat, s’opposant ainsi à la définition donnée un peu plus haut.

Le plus troublant est que, pour d’autres populations, les résultats sont comparables, si l’on se fie à la rapide revue de littérature menée par exemple par Collins, Judge et Rickman en 2007 dans l’European Journal of Law and Economics : environ un quart des étudiants anglais disent avoir plagié au moins une fois au cours de leurs études et 16% plus d’une fois. Cette proportion est encore plus forte en Amérique du Nord, où 38% des étudiants admettent avoir plagié.

Cette attitude est d’autant plus curieuse de la part des étudiants que les sanctions en cas de découverte de plagiat ne sont pas légères, et que les enseignants détectent assez facilement (mais pas suffisamment souvent) le plagiat quand ils se donnent la peine de chercher. D’un point de vue social, le coût du plagiat des étudiants n’est sans doute pas négligeable, car il implique une potentielle remise en cause de la valeur marchande d’un diplômé (c’est-à-dire qu’in fine, le plagiat est une externalité négative subie par les étudiants eux-mêmes) d’une part, et d’autre part, il fait perdre beaucoup de temps à des enseignants-chercheurs soucieux de détecter la fraude, ce qui les détourne d’activités plus productives, comme la recherche et l’enseignement.

Les travaux d’économie ou de psychologie comportementale qui portent sur le sujet sont relativement rares, si on reste sur le problème de plagiat et pas de fraude ou de triche de manière très générale.
Toutefois, je donnerai juste un résultat sur les comportements de triche en général tels qu’ils sont observés en laboratoire, car c’est également une manière de réfléchir sur les raisons du comportement de plagiat et par conséquent sur les mécanismes qui permettraient de combattre cela. L’étude de Schwieren et Weichselbaumer parue en 2010 dans le Journal of Economic Psychology montre notamment que plus l’environnement économique de sujets expérimentaux est concurrentiels, plus ceux-ci  tendent à plus tricher de manière générale. D’après leurs résultats, les femmes seraient plus touchées par cette réaction à la pression concurrentielle que les hommes.

Une étude assez amusante de Dan Ariely et (voir ce lien) porte précisément sur l’utilisation de plagiat « industriel » par les étudiants, à travers la commande que ceux-ci peuvent passer auprès de sites spécialisés concernant des essais ou dissertations sur différentes thématiques moyennant finances.
L’issue de l’histoire renvoie je trouve de manière troublante à la mésaventure de PPDA. Ariely et sa collègue Aline Grüneisen passent commande de rédactions d’essais auprès de quatre différents sites sur le thème de la triche (humour typiquement à la Ariely !). Ils compilent les études et les évaluent, et trouvent essentiellement que ces rédactions payantes sont un fatras d’inepties sans queue ni tête, sans guère de valeur au final d'un point de vue académique, ce qui les rassure sur la capacité des étudiants recourant à ce stratagème de tromper leurs enseignants. Toutefois, l’histoire ne s’arrête pas là et la chute est encore plus intéressante: lls soumettent ensuite ces quatre rédactions à  un site spécialisé dans la détection de plagiat. Le résultat est édifiant : sur deux de ces rédactions, 35 à 40% du contenu est directement plagié !

[De là à penser, lecteur, que PPDA a commandé son prochain ouvrage concernant la vie d’Hemingway sur le site OTURBIN.COM, il n’y qu’un pas que je ne me permettrai jamais de faire…]

Que faire alors face à ce comportement . Une étude toute récente par Dee et Jacob parue comme document de travail du NBER en 2010  utilise la méthode de l’expérience de terrain (« field experiment ») pour évaluer l’impact de différentes politiques sur le comportement de plagiat. Les expérimentateurs placent de manière aléatoire la moitié d’un pool de 1200 étudiants ayant à réaliser un travail écrit dans un groupe où ils doivent utiliser préalablement (ie avant de rédiger) à un tutoriel en ligne qui permet d’auto-évaluer son propre comportement et sa perception du plagiat (si cela t’intéresses lecteur, va voir  ), ce de manière à sensibiliser les étudiants à ce problème. Les autres étudiants n’ont pas de formation particulière et représentent donc le groupe de contrôle.
Les auteurs observent notamment que le groupe d’étudiants qui a du avoir recours à ce tutoriel plagie significativement moins que les autres (plus exactement la probabilité de recourir au plagiat est d’autant plus faible que leur score au test de compréhension du tutoriel sur le plagiat est élevé), et que cet effet n’est pas à attribuer à une meilleure prise de conscience des risques issus du plagiat, mais plutôt à la connaissance accrue de ce en quoi consiste  vraiment le plagiat pour ces étudiants.

Pour clore ce petit tour d’horizon un brin anecdotique, une dernière étude de Ariely et Norton parue en 2010 dans Psychological Science montre que le fait de consommer des articles contrefaits (ie des copies de biens de consommation, porter de fausses Rayban dans leur expérience) est en général le fait d’individus qui sont eux-mêmes enclins à tricher personnellement. Par ailleurs, le fait de porter des articles contrefait incite les autres (ceux qui ne portent pas forcément d’articles contrefaits) à tricher plus fréquemment.

Bon, si un lecteur connait personnellement PPDA, toute la question est maintenant de savoir s’il porte des Rayban contrefaites, des polos Lacoste made in Syldavia ou des pulls Armor Lux made in Borduria…

4 commentaires:

  1. "Tout a été dit cent fois - Tout a été dit cent fois - Et beaucoup mieux que par moi" histoire de plagier Boris Vian,
    sinon merci pour l'adresse du site de Régis, je ne connaissais pas...
    et bonne année (si je suis encore dans les temps, mais c'est mon premier commentaire de l'année)

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  2. Au regard des articles cités, je me permets de signaler cet article du *Chronicle of Higher Education*. Sait l'auteur exagère beaucoup ses mérites, soit il existe des officines fournissant des travaux de meilleure qualité que ceux obtenus par Ariely.

    http://chronicle.com/article/The-Shadow-Scholar/125329/

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  3. @Arthur,
    Merci pour le commentaire et bonne année également, en espérant qu'il ne fasse pas trop froid par chez toi !
    @Mathieu P.
    Merci pour ce témoignage coup de poing assez hallucinant, passionnant à plusieurs points de vue et non dénué d'un parfum littéraire certain. Je doute toutefois un peu du caractère généralisé de la chose (celui-ci me parait vraiment doué), mais je suis peut être encore naïf ! Et puis il est quand même vrai que l'étude d'Ariely reste assez limitée d'un point de vue statistique : il faut que je réfléchisse à une expérience en laboratoire sur ce thème, il n'y a vraiment rien...

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  4. Bonjour,

    Pensez-vous que les logiciels de détection automatique du plagiat peuvent permettre d'industrialiser cette détection ?

    Par ailleurs je me permets de signaler que le lien vers le tutoriel débouche sur une erreur 404.

    Merci !

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