L’académie de Créteil, sous le patronage du Commissaire à la Jeunesse Martin Hirsch, vient de mettre en place une expérimentation sur l’absentéisme qui a fait grand bruit dans les médias Cette expérimentation consiste à mettre les classes en compétition pour l’obtention d’un prix, la classe gagnant le prix étant celle qui a obtenu la meilleure performance au regard d’objectifs à atteindre, en particulier de taux d’absentéisme des élèves Le prix consiste en une somme d’argent qui sera utilisée dans le cadre d’un projet pédagogique profitant à la classe, cette somme pouvant aller de 2000 € à 10000 € (voir le dispositif décrit ici). L’objectif principal est de lutter contre l’absentéisme, particulièrement important dans les lycées professionnels dans lesquels cette action est mise en place.
Une autre expérience est mise en place à Marseille, mais de nature un peu différente, les élèves les plus assidus au sein d’une classe pouvant gagner des billets pour assister aux matches de foot.
La première question que je me suis posée, dans mon for intérieur, est : à quel horizon les élèves seront-ils plus payés que les enseignants pour assister à leurs cours ?
[Il se trouve que j’ai découvert cette histoire en ayant devant les yeux ma fiche de paie, et ceci explique sans doute cela]
Cela pose un intéressant problème économique, mais ce n’est pas du tout de cela dont je vais parler aujourd’hui.
En effet, les réactions ont été souvent passionnées et il faut bien le dire, majoritairement critiques à l’égard de cette expérience, la plupart des gens, y compris les enseignants, voyant dans celle-ci une ébauche de marchandisation de l’école.
Certains ont également avancé que le capitalisme, tel le loup, entrait dans la bergerie de l’école. Si on veut dire par là que l’on met en place des incitations, qui existent dans le monde du travail, là où il n’y en a pas encore, on se fourre à mon avis le doigt dans l’œil, une grande partie de la pédagogie consistant à construire le système d’incitations adéquat pour conduire nos chères têtes blondes à faire un minimum d’effort lors de leur passage à l’école. Par ailleurs, inutile de le cacher, il y a heureusement une relation positive entre le niveau d’effort et la réussite à l’école et, comme vient de le rappeler l'économiste et sociologue Eric Maurin, une relation positive entre la réussite à l’école (le niveau et la qualité du diplôme), le niveau de salaire des individus et l’assurance contre le chômage.
J’avoue que, bien que choqué également à divers titres (voir la question un brin ironiquement désespérée que je me suis posée plus haut), ce procès en sorcellerie m’est apparu en définitive un brin grotesque. Il ne s’agit pas de violer un temple de la solidarité nationale et de le brûler sur l’autel du capitalisme. Il s’agit simplement de savoir si des incitations de nature monétaire peuvent avoir une plus grande efficacité que des incitations de nature non monétaire (sanctions, mauvaises notes, etc.) sur la variable qui nous occupe, à savoir l’importance de la présence dans les cours.
Le principe de cette expérimentation, à travers ce que j’ai pu compiler comme information, est ce que nous appelons nous les économistes du « field experiment » (expérience de terrain dans laquelle, comme en économie expérimentale, les participants sont rémunérés en fonction de leurs décisions, et impliquant en général des groupes de traitement que l’on va comparer à des groupes témoins, voir Harrison & List, 2001, JEL). Le protocole de cette expérimentation de terrain a été réalisé par l’Ecole d’Economie de Paris et sera évaluée par elle (voir les actions expérimentales financées ici).
Le principe est le suivant : certaines classes participent à l’expérience, et je suppose ou j’espère, elles ont été sélectionnées au hasard, et bénéficient d’une cagnotte initiale de 2000 euros. La classe doit alors définir un contrat global d’objectifs en termes d’assiduité et de discipline qu’elle doit remplir si elle veut voir cette cagnotte prospérer. Le niveau d’atteinte des objectifs est évalué périodiquement par un tiers, toutes les six semaines, et plus le niveau d’atteinte des objectifs est élevé, plus la cagnotte est abondée, ce à concurrence d’au maximum 2000 euros par période d’évaluation. Comme il y a quatre périodes de six semaines, la cagnotte peut donc passer de 2000 euros à un maximum de 10000 euros qui profitera à la classe dans son ensemble, lui permettant de réaliser un projet pédagogique.
Lecteur, tu te doutes certainement que ce qui m’a intéressé dans cette histoire réside dans la dimension comportementale et en particulier dans le modèle sous jacent de jeu proposé à ces classes.
Il me semble évident que ce qui est mis en place dans cette expérimentation est un problème de contribution volontaire à un bien public. Le bien public est la fameuse cagnotte qui profitera à tous, nonobstant le niveau d’effort que chaque élève de la classe aura fait sur son assiduité personnelle. Sans ce système incitatif, le problème est essentiellement celui d’un choix individuel d’élèves qui à travers leur manque d’assiduité se tirent des balles dans le pied et diminuent leurs chances de réussite à l’école. Il y a une forme d’externalité négative dans ce comportement, puisque leur conduite génère des coûts pour l’ensemble de la société en termes de pertes de revenus potentiels et en termes d’assurance chômage. C’est ce qu’une analyse « froide » en termes économiques peut d’ores et déjà mettre en évidence. Stéphane d'éconoclaste a déjà évoqué tout cela ici.
Prenons un exemple afin de démontrer que le système d’incitations correspond bien à un jeu de contribution volontaire à un bien public. Supposons que la classe concernée se fixe comme objectif d’atteindre un maximum de 5% d’absentéisme (le ratio entre le total des jours d’absence pour tous les élèves de la classe sur le nombre de jours d’école doit être inférieur à ce seuil). Par ailleurs, toute baisse de l’absentéisme au-dessous de ce seuil donne des euros en plus dans la cagnotte, ce proportionnellement à la performance collective. En tant qu’élève de la classe, le fait que je m’absente personnellement au-delà de ce seuil diminue potentiellement les chances d’atteindre l’objectif collectif et donc le montant de la cagnotte finale en euros. Mais je peux juger que mon voisin lui sera plus sérieux que moi et choisira d’être moins absent, ce qui au global permettra peut être d’atteindre l’objectif. Bien évidemment, si on suppose tous les élèves comme étant égoïstes et opportunistes, personne ne change son comportement et reste absent de la même manière qu’avant l’instauration du dispositif.
La mise en place d’un système de contribution au bien public peut-elle améliorer les choses de ce point de vue, les élèves étant mis explicitement au sein d’un groupe (la classe) dont l’objectif commun est de créer la plus grande quantité de bien public possible ? Du point de vue de la théorie économique la plus simple, la réponse est bien évidemment non. En effet, chaque élève profitant potentiellement de la cagnotte même s’il n’y a pas contribué du tout, le problème de passager clandestin émerge et du coup, aucun élève ne change son comportement. Donc exit l’expérience financée par Martin Hirsch, l’impact sur l’absentéisme de cette incitation financière devant être nul.
Bien évidemment, l’évidence empirique tirée des expériences en laboratoire dit des choses un peu plus nuancées (lecteur, si tu n’as pas suivi ce blog ou oublié comment fonctionne cette expérience, tu peux aller voir ce billet). On sait depuis longtemps que dans le jeu de contribution au bien public, les contributions sont, contrairement à ce que prévoit la théorie, initialement positives (autour en moyenne de 30% du total de la dotation des participants), mais décroissant au fur et à mesure que le jeu est répété (et ici le jeu est répété six fois). Au global, sans autre précision, il pourrait donc empiriquement y avoir un effet faiblement positif mais tendant à disparaître de ce dispositif sur l’absentéisme et la discipline, même si on suppose que le comportement individuel en termes de contribution au bien public n’est observé qu’à un niveau agrégé, au niveau de la classe par exemple.
Ce n’est bien évidemment pas le cas : les comportements individuels seront observés par les autres élèves et par les enseignants référents, et surtout chaque personne au sein du groupe pourra juger de l’écart entre les engagements de chacun et la contribution réelle finale au bien public « cagnotte ».
Cette structure incitative est en fait très proche d’une étude expérimentale que David Masclet, Charles Noussair et moi-même venont récemment de publier ( voir ici, une étude proche avait été réalisée par Sell & Wilson en 1997). Dans cette expérience de laboratoire, réalisée à Rennes avec 120 étudiants, et qui est un jeu de contribution volontaire au bien public, nous réalisons plusieurs traitements. Un premier traitement, benchmark, est celui du jeu de contribution au bien public standard réalisé à dix ou vingt reprises. Trois autres traitements sont réalisés, chaque participant ayant à jouer au moins deux traitements. Un premier traitement dit « annonce » dans lequel les participants doivent annoncer leur intention de contribuer au bien public avant que la prise de décision (simultanée) soit faite sur les contributions. Un second traitement est celui dit « d’observation », dans lequel les participants peuvent connaître le montant contribué ex post au bien public par chque personne appartenant à leur groupe. Enfin, le dernier traitement « annonce + observation » mixe les deux traitement annonce et observation, chaque participant au sein d’un groupe devant s’engager devant ses partenaires sur un montant de contribution et les partenaires pouvant vérifier ex post en observant les contributions réelles si la promesse de chacun a été tenue.
D’un point de vue théorique, ces traitements ne devraient donner aucune modification en termes de contribution, la stratégie optimale étant toujours d’être un passager clandestin (toute cette information donnée au joueurs s’assimile en fait à du cheap talk du point de vue de la théorie des jeux).
Du point de vue émotionnel, deux types d’émotions sont générées au sein d’un tel protocole, ces deux émotions négatives pouvant être finalement un support de la coopération au sein du groupe : la culpabilité (je sais que j’ai triché et que je n’ai pas respecté mon engagement, et même si personne ne le sait, j’en éprouve du remords) et la honte (j’ai triché et tout le monde le sait). Dans le traitement « annonce », seule la culpabilité est en œuvre, dans le troisième « Annonce + Observation », c’est principalement la honte qui est présente (dans le second, on pourrait aussi invoquer la honte, mais il est difficile de dire que certains participants ont honte d’être des passagers clandestins).
Quels sont les résultats expérimentaux ? L’effet de l’annonce sur le niveau des contributions est très faiblement positif et en fait non significatif d’un point de vue statistique. Il en de même pour l’effet de l’observation. Seul l’effet des deux ensembles (annonce et observation) a un impact faiblement positif sur le niveau des contributions comme le montre le graphique ci-dessous :
Une autre expérience est mise en place à Marseille, mais de nature un peu différente, les élèves les plus assidus au sein d’une classe pouvant gagner des billets pour assister aux matches de foot.
La première question que je me suis posée, dans mon for intérieur, est : à quel horizon les élèves seront-ils plus payés que les enseignants pour assister à leurs cours ?
[Il se trouve que j’ai découvert cette histoire en ayant devant les yeux ma fiche de paie, et ceci explique sans doute cela]
Cela pose un intéressant problème économique, mais ce n’est pas du tout de cela dont je vais parler aujourd’hui.
En effet, les réactions ont été souvent passionnées et il faut bien le dire, majoritairement critiques à l’égard de cette expérience, la plupart des gens, y compris les enseignants, voyant dans celle-ci une ébauche de marchandisation de l’école.
Certains ont également avancé que le capitalisme, tel le loup, entrait dans la bergerie de l’école. Si on veut dire par là que l’on met en place des incitations, qui existent dans le monde du travail, là où il n’y en a pas encore, on se fourre à mon avis le doigt dans l’œil, une grande partie de la pédagogie consistant à construire le système d’incitations adéquat pour conduire nos chères têtes blondes à faire un minimum d’effort lors de leur passage à l’école. Par ailleurs, inutile de le cacher, il y a heureusement une relation positive entre le niveau d’effort et la réussite à l’école et, comme vient de le rappeler l'économiste et sociologue Eric Maurin, une relation positive entre la réussite à l’école (le niveau et la qualité du diplôme), le niveau de salaire des individus et l’assurance contre le chômage.
J’avoue que, bien que choqué également à divers titres (voir la question un brin ironiquement désespérée que je me suis posée plus haut), ce procès en sorcellerie m’est apparu en définitive un brin grotesque. Il ne s’agit pas de violer un temple de la solidarité nationale et de le brûler sur l’autel du capitalisme. Il s’agit simplement de savoir si des incitations de nature monétaire peuvent avoir une plus grande efficacité que des incitations de nature non monétaire (sanctions, mauvaises notes, etc.) sur la variable qui nous occupe, à savoir l’importance de la présence dans les cours.
Le principe de cette expérimentation, à travers ce que j’ai pu compiler comme information, est ce que nous appelons nous les économistes du « field experiment » (expérience de terrain dans laquelle, comme en économie expérimentale, les participants sont rémunérés en fonction de leurs décisions, et impliquant en général des groupes de traitement que l’on va comparer à des groupes témoins, voir Harrison & List, 2001, JEL). Le protocole de cette expérimentation de terrain a été réalisé par l’Ecole d’Economie de Paris et sera évaluée par elle (voir les actions expérimentales financées ici).
Le principe est le suivant : certaines classes participent à l’expérience, et je suppose ou j’espère, elles ont été sélectionnées au hasard, et bénéficient d’une cagnotte initiale de 2000 euros. La classe doit alors définir un contrat global d’objectifs en termes d’assiduité et de discipline qu’elle doit remplir si elle veut voir cette cagnotte prospérer. Le niveau d’atteinte des objectifs est évalué périodiquement par un tiers, toutes les six semaines, et plus le niveau d’atteinte des objectifs est élevé, plus la cagnotte est abondée, ce à concurrence d’au maximum 2000 euros par période d’évaluation. Comme il y a quatre périodes de six semaines, la cagnotte peut donc passer de 2000 euros à un maximum de 10000 euros qui profitera à la classe dans son ensemble, lui permettant de réaliser un projet pédagogique.
Lecteur, tu te doutes certainement que ce qui m’a intéressé dans cette histoire réside dans la dimension comportementale et en particulier dans le modèle sous jacent de jeu proposé à ces classes.
Il me semble évident que ce qui est mis en place dans cette expérimentation est un problème de contribution volontaire à un bien public. Le bien public est la fameuse cagnotte qui profitera à tous, nonobstant le niveau d’effort que chaque élève de la classe aura fait sur son assiduité personnelle. Sans ce système incitatif, le problème est essentiellement celui d’un choix individuel d’élèves qui à travers leur manque d’assiduité se tirent des balles dans le pied et diminuent leurs chances de réussite à l’école. Il y a une forme d’externalité négative dans ce comportement, puisque leur conduite génère des coûts pour l’ensemble de la société en termes de pertes de revenus potentiels et en termes d’assurance chômage. C’est ce qu’une analyse « froide » en termes économiques peut d’ores et déjà mettre en évidence. Stéphane d'éconoclaste a déjà évoqué tout cela ici.
Prenons un exemple afin de démontrer que le système d’incitations correspond bien à un jeu de contribution volontaire à un bien public. Supposons que la classe concernée se fixe comme objectif d’atteindre un maximum de 5% d’absentéisme (le ratio entre le total des jours d’absence pour tous les élèves de la classe sur le nombre de jours d’école doit être inférieur à ce seuil). Par ailleurs, toute baisse de l’absentéisme au-dessous de ce seuil donne des euros en plus dans la cagnotte, ce proportionnellement à la performance collective. En tant qu’élève de la classe, le fait que je m’absente personnellement au-delà de ce seuil diminue potentiellement les chances d’atteindre l’objectif collectif et donc le montant de la cagnotte finale en euros. Mais je peux juger que mon voisin lui sera plus sérieux que moi et choisira d’être moins absent, ce qui au global permettra peut être d’atteindre l’objectif. Bien évidemment, si on suppose tous les élèves comme étant égoïstes et opportunistes, personne ne change son comportement et reste absent de la même manière qu’avant l’instauration du dispositif.
La mise en place d’un système de contribution au bien public peut-elle améliorer les choses de ce point de vue, les élèves étant mis explicitement au sein d’un groupe (la classe) dont l’objectif commun est de créer la plus grande quantité de bien public possible ? Du point de vue de la théorie économique la plus simple, la réponse est bien évidemment non. En effet, chaque élève profitant potentiellement de la cagnotte même s’il n’y a pas contribué du tout, le problème de passager clandestin émerge et du coup, aucun élève ne change son comportement. Donc exit l’expérience financée par Martin Hirsch, l’impact sur l’absentéisme de cette incitation financière devant être nul.
Bien évidemment, l’évidence empirique tirée des expériences en laboratoire dit des choses un peu plus nuancées (lecteur, si tu n’as pas suivi ce blog ou oublié comment fonctionne cette expérience, tu peux aller voir ce billet). On sait depuis longtemps que dans le jeu de contribution au bien public, les contributions sont, contrairement à ce que prévoit la théorie, initialement positives (autour en moyenne de 30% du total de la dotation des participants), mais décroissant au fur et à mesure que le jeu est répété (et ici le jeu est répété six fois). Au global, sans autre précision, il pourrait donc empiriquement y avoir un effet faiblement positif mais tendant à disparaître de ce dispositif sur l’absentéisme et la discipline, même si on suppose que le comportement individuel en termes de contribution au bien public n’est observé qu’à un niveau agrégé, au niveau de la classe par exemple.
Ce n’est bien évidemment pas le cas : les comportements individuels seront observés par les autres élèves et par les enseignants référents, et surtout chaque personne au sein du groupe pourra juger de l’écart entre les engagements de chacun et la contribution réelle finale au bien public « cagnotte ».
Cette structure incitative est en fait très proche d’une étude expérimentale que David Masclet, Charles Noussair et moi-même venont récemment de publier ( voir ici, une étude proche avait été réalisée par Sell & Wilson en 1997). Dans cette expérience de laboratoire, réalisée à Rennes avec 120 étudiants, et qui est un jeu de contribution volontaire au bien public, nous réalisons plusieurs traitements. Un premier traitement, benchmark, est celui du jeu de contribution au bien public standard réalisé à dix ou vingt reprises. Trois autres traitements sont réalisés, chaque participant ayant à jouer au moins deux traitements. Un premier traitement dit « annonce » dans lequel les participants doivent annoncer leur intention de contribuer au bien public avant que la prise de décision (simultanée) soit faite sur les contributions. Un second traitement est celui dit « d’observation », dans lequel les participants peuvent connaître le montant contribué ex post au bien public par chque personne appartenant à leur groupe. Enfin, le dernier traitement « annonce + observation » mixe les deux traitement annonce et observation, chaque participant au sein d’un groupe devant s’engager devant ses partenaires sur un montant de contribution et les partenaires pouvant vérifier ex post en observant les contributions réelles si la promesse de chacun a été tenue.
D’un point de vue théorique, ces traitements ne devraient donner aucune modification en termes de contribution, la stratégie optimale étant toujours d’être un passager clandestin (toute cette information donnée au joueurs s’assimile en fait à du cheap talk du point de vue de la théorie des jeux).
Du point de vue émotionnel, deux types d’émotions sont générées au sein d’un tel protocole, ces deux émotions négatives pouvant être finalement un support de la coopération au sein du groupe : la culpabilité (je sais que j’ai triché et que je n’ai pas respecté mon engagement, et même si personne ne le sait, j’en éprouve du remords) et la honte (j’ai triché et tout le monde le sait). Dans le traitement « annonce », seule la culpabilité est en œuvre, dans le troisième « Annonce + Observation », c’est principalement la honte qui est présente (dans le second, on pourrait aussi invoquer la honte, mais il est difficile de dire que certains participants ont honte d’être des passagers clandestins).
Quels sont les résultats expérimentaux ? L’effet de l’annonce sur le niveau des contributions est très faiblement positif et en fait non significatif d’un point de vue statistique. Il en de même pour l’effet de l’observation. Seul l’effet des deux ensembles (annonce et observation) a un impact faiblement positif sur le niveau des contributions comme le montre le graphique ci-dessous :
source : Denant-Boemont, Masclet & Noussair (2009), forthcoming, Pacific Economic Review
Au global, les contributions sont en moyenne augmentées de 30 % dans le traitement dans lequel les participants font des engagements et peuvent vérifier le respect de ses engagements de manière symétrique.
Quelle transposition peut-on faire au niveau des classes expérimentales de l’académie de Créteil ? Si je me base sur nos propres résultats, l’effet devrait être positif au moins faiblement, et le taux d’absentéisme devrait baisser. Mais il y aussi des éléments dont les impacts sont difficiles à anticiper : dans notre expérience, l’anonymat était de rigueur, et dans les lycées concernés, il n’y a je pense aucun anonymat au sein de la classe dans cette expérimentation. La levée de l’anonymat joue en général positivement sur le niveau de contribution dans un jeu de bien public (voir l'étude d'Andreoni et Petrie, 2004, publiée dans le Journal of Public Economics), et cela pourrait donc renforcer l’effet de l’observabilité des performances individuelles couplée à un engagement personnalisé de chaque élève. Enfin, si des seuils d’absentéisme sont définis dans le contrat collectif auquel s’engage la classe afin de pouvoir alimenter la cagnotte, on sait que la mise en place de seuils de contribution conditionnant l’existence du bien public améliore aussi la coopération au sein du groupe ...
Donc, à tout le moins, avant de jeter l’opprobre sur un tel dispositif, donnons-lui la chance d’être testé, cela permettrait ensuite de discuter sainement des coûts et des avantages qu’il y aurait à le généraliser… Certains vont penser que je défends un peu ma boutique, mais c’est aussi je crois une position raisonnable d’un point de vue scientifique. Par ailleurs, certains, nombreux, ont suffisamment pesté contre la mise en place de politiques publiques sans qu’une évaluation sérieuse ex ante en ait été faite ou même qu’une ébauche d’expérimentation ait permis d’en identifier les impacts saillants. C’est donc également du point de vue démocratique qu’une telle démarche d’expérimentation de terrain est à encourager, chaque politique publique devant être un minimum évaluée avant de savoir s’il est opportun de la mettre en œuvre. Rien ne dit d’ailleurs que, concernant l’expérimentation dans l’académie de Créteil, les avantages soient supérieurs aux coûts directs et indirects.
Quelle transposition peut-on faire au niveau des classes expérimentales de l’académie de Créteil ? Si je me base sur nos propres résultats, l’effet devrait être positif au moins faiblement, et le taux d’absentéisme devrait baisser. Mais il y aussi des éléments dont les impacts sont difficiles à anticiper : dans notre expérience, l’anonymat était de rigueur, et dans les lycées concernés, il n’y a je pense aucun anonymat au sein de la classe dans cette expérimentation. La levée de l’anonymat joue en général positivement sur le niveau de contribution dans un jeu de bien public (voir l'étude d'Andreoni et Petrie, 2004, publiée dans le Journal of Public Economics), et cela pourrait donc renforcer l’effet de l’observabilité des performances individuelles couplée à un engagement personnalisé de chaque élève. Enfin, si des seuils d’absentéisme sont définis dans le contrat collectif auquel s’engage la classe afin de pouvoir alimenter la cagnotte, on sait que la mise en place de seuils de contribution conditionnant l’existence du bien public améliore aussi la coopération au sein du groupe ...
Donc, à tout le moins, avant de jeter l’opprobre sur un tel dispositif, donnons-lui la chance d’être testé, cela permettrait ensuite de discuter sainement des coûts et des avantages qu’il y aurait à le généraliser… Certains vont penser que je défends un peu ma boutique, mais c’est aussi je crois une position raisonnable d’un point de vue scientifique. Par ailleurs, certains, nombreux, ont suffisamment pesté contre la mise en place de politiques publiques sans qu’une évaluation sérieuse ex ante en ait été faite ou même qu’une ébauche d’expérimentation ait permis d’en identifier les impacts saillants. C’est donc également du point de vue démocratique qu’une telle démarche d’expérimentation de terrain est à encourager, chaque politique publique devant être un minimum évaluée avant de savoir s’il est opportun de la mettre en œuvre. Rien ne dit d’ailleurs que, concernant l’expérimentation dans l’académie de Créteil, les avantages soient supérieurs aux coûts directs et indirects.
Cher Laurent,
RépondreSupprimerMerci pour cet article très intéressant. Serez t-il possible d'obtenir des références plus précises sur votre article écrit avec D.Masclet? Outre la "culpabilité" et la "honte" ne pourrions nous pas envisager un effet "mimétique" (je vais en cours parce que mes amis vont en cours ou simplement parce qu'il n'y a plus personne pour jouer au babyfoot avec moi durant les heures de cours)? Existe t-il à votre connaissance d'autres expériences de laboratoire qui évalueraient cet élément là?
Merci pour votre réponse
Cher Laurent,
RépondreSupprimerMerci pour cet article très intéressant. Serez t-il possible d'obtenir des références plus précises sur votre article écrit avec D.Masclet? Outre la "culpabilité" et la "honte" ne pourrions nous pas envisager un effet "mimétique" (je vais en cours parce que mes amis vont en cours ou simplement parce qu'il n'y a plus personne pour jouer au babyfoot avec moi durant les heures de cours)? Existe t-il à votre connaissance d'autres expériences de laboratoire qui évalueraient cet élément là?
Merci pour votre réponse
@adbou:
RépondreSupprimermerci pour le commentaire. La référence précise de l'article écrit avec David Masclet et Charles Noussair est ici : http://www.cb.cityu.edu.hk/research/per/?category=volume&page=forthcoming.
Pour le comportement de mimétisme que vous évoquez, il est bien sûr très envisageable, j'ai fait un billet sur ce sujet (à propos de la pandémie de grippe A) s'appuyant sur les expériences dites de cascades informationnelles, le papier de référence étant Anderson & Holt, AER, 1997.