dimanche 22 mars 2009

De la myopie du consommateur



Récemment,  je me suis mis en tête d’acheter un casque audio de qualité correcte pour écouter dans des conditions acceptables ces  diables de petits objets que nous nous croyons presque tous obligés d’avoir, en l’occurrence les lecteurs mp3 (un des maux civilisationnels de ce siècle naissant avec les téléphones portables et la télé-réalité).
Etant un peu audiophile, j’ai une idée de ce qui est un bon casque et de ce qui n’en est pas un, et j’avais porté mon dévolu sur un modèle de k..ss, bien connu (que je ne citerais pas car je voudrai pas avoir d’ennui), et apparemment actuellement un must auprès de mes étudiants en termes de branchitude (ils ont bon goût au moins d’un point de vue technique).
Comme tout bon consommateur lambda, je regarde un peu sur le web pour comparer les prix, et trouve qu’un  site de vente à distance bien connu (le premier site de vente à distance de livres, cd, dvd et autres gadgets technologiques, du nom d’une peuplade antique peu commode exclusivement composée de représentants du beau sexe) propose ce modèle à un prix très concurrentiel comparé aux autres sites. Je le commande donc hic et nunc.
Quelques jours plus tard, je passe dans une enseigne de la grande distribution spécialisée dans le high-tech (un nom du genre de « galaxie venus »), enseigne qui jouxte mon lieu de travail et qui fait des campagnes de pub retentissantes basées sur l’idée, on va le voir peu vérifiée, qu’elle est imbattable en termes de prix.
Par curiosité, je vais voir le casque que je viens d’acquérir, et abasourdi, découvre que son prix est exactement deux fois plus élevé !  Ravi de mon choix rétrospectivement si avisé, je me dis que j’ai peut être eu de la chance et regarde d’autres modèles du même constructeur : ils sont tous environ deux fois plus cher que ce que l’on peut trouver au meilleur prix sur le net !
Vous allez penser que j’enfonce des portes ouvertes, que le niveau de service n’est pas le même, blablabla… De toute façon, je ne cherche pas à marcher sur les plates-bandes de « que décider ? » ou de « 60 millions d’acheteurs ».  C’est plus un problème économique que cela me pose ... Comment est-il possible qu’une enseigne connue table sur une marge d’au moins 100% (le bon prix que j’ai eu n’est pas une promotion exclusive, temporaire, ou exceptionnelle, c’est le prix que l’on peut trouver chez bon nombre de revendeurs dont on peut supposer qu'ils ne vendent pas à perte) ?
J’écarte d’emblée l’hypothèse d’imbécillité pure des consommateurs, des producteurs ou des distributeurs (quoique…). Il y a bien sûr des tas de raisons économiques et psychologiques pour expliquer cet écart de prix, et un livre entier ne suffirait pas  pour les exposer totalement (notamment, je pense encore une fois au problème d'impulsivité et de self control dans les comportements d'achat, voir ce qu'en dit le très bon bouquin de Dan Ariely, "c'est (vraiment) moi qui décides?"). Quid alors ?
Il y a quelques années, j’avais lu un papier de Morgan, Orzen  & Sefton (2003) sur la dispersion des prix empiriquement observée en dépit de la montée du commerce électronique et de l’accroissement de l’information des consommateurs. J’avais trouvé cela fort intéressant, mais le modèle théorique se basait sur une hypothèse qui me semblait un peu ad hoc : une partie des consommateurs étaient « captifs » et l’autre non.
Cela s’appliquait au commerce sur internet, mais il me semble évident que l’argument peut être généralisé à l’ensemble des consommateurs. Certains comparent donc et d’autres non, restent fermement attachés à leur crémerie même si leur crémier roule en Porsche alors qu’eux roulent en Twingo (cette illustration ne figure pas dans l’article de Morgan et al, ce sont des économistes sérieux, eux ! Et je n’ai rien contre les Twingo). La mécanique théorique est alors  simple, comme certains sont captifs (ou non informés) et d’autres non, (ils comparent et cherchent le meilleur prix), alors les producteurs répercutent le poids de la concurrence très forte qu’ils subissent sur les consommateurs informés (les baisses de prix en cas d’augmentation du nombre de producteurs sur ce marché là) par des hausses de prix sur le marché des captifs. Le modèle prédit en conséquence une augmentation de la dispersion des prix en cas d'accroissement de la concurrence entre les vendeurs.
Dans l'article de Morgan et al., cette prédiction théorique est en grande partie corroborée par l'évidence expérimentale issue de jeux réalisés en laboratoire par leurs soins. La dispersion des prix est observée dans le laboratoire et confirme donc en grande partie les prédictions théoriques du modèle.
Et dire que je trouvais cela trop mécanique !
Comme quoi les explications les plus simples sont parfois les meilleures, et qu’il n’est pas forcément utile de chercher très loin d’un point de vue théorique pour coller à la réalité observable !
En attendant, chers audiophiles, vous faites comme vous voulez, mais comparez nom de Zeus...

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