"Ma chère S. G.,
J’ai bien reçu ta gentille demande « entretien épargne haute définition », et bien qu’ayant cru initialement que tu voulais me vendre un téléviseur, j’ai fini par comprendre qu’elle consistait à essayer d’en savoir plus sur moi, le sous-titre étant « quel investisseur êtes-vous ? ». Je pouffe encore de ma méprise.
Je tiens à te dire que j’ai beaucoup apprécié ta demande. Cette prise de contact m’invite, avec un altruisme que l’on sent inspiré par les plus grandes soirées du téléthon, nonobstant Pierre Bergé, à remplir un questionnaire visant à mieux cerner ma personnalité profonde, question qui, je le sais, te passionnes. Non contente de me demander mon opinion, alors que tu pourrais n’en avoir rien à faire, tu m’invites alors à l’issue de mes réponses à prendre rendez-vous avec l’un des tes merveilleux représentants, qui s’empresseront alors de me conseiller sur l’utilisation idéale de cette épargne accumulée à la sueur de mon large front. Quelle générosité !
J’ai également bien noté que tu me proposais « un questionnaire basé sur de véritables techniques statistiques ». Quelle aventure excitante nous allons vivre ensemble !
Dans ce très joli questionnaire, tu t’intéresses en effet à mes états d’âme et, plus précisément, à mon goût pour le risque en me posant des questions d’une élégance stylistique digne des meilleures créations de Marc Levy, ce qui n’est pas peut dire. Par exemple, j’ai particulièrement aimé celle-ci, que je m’en vais faire encadrer et qui figurera en bonne place dans ma modeste habitation, la parant à elle-seule d’un chef d’œuvre de la littérature contemporaine. Je ne peux m’empêcher de la citer :
« Imaginez que l’ensemble de vos économies, soit 20000 euros, [Blood and guts, je ne me savais pas aussi riche !] soit investi dans un placement sans risque qui vous permet d’obtenir avec certitude votre capital de départ et un intérêt minime … »
– intérêt dont soit dit en passant ma chère S. G. (J’espère que tu me pardonneras cette familiarité que je me permets suite à une longue fréquentation en tant que client) tu ne précises pas la valeur, même s’il est minime -.
« …On vous propose de réallouer votre capital pour l’investir sur des supports qui ont :
Une chance sur deux (50%) de vous procurer un capital final double (40000€)
Et une chance sur deux de vous procurer un capital diminué de 33% (13333€) »
Tu me demandes si j’accepte ce placement au cours de cette délicate question 1 afin que, au cas où j’opine du chef, tu puisses me poser une encore plus merveilleuse question dans laquelle tu me demandes en fait si j’irais jusqu’à accepter ce placement si mon capital diminuait en fait de 50% (il me resterait 10000 € avec 50% de chances).
J’ai bien reçu ta gentille demande « entretien épargne haute définition », et bien qu’ayant cru initialement que tu voulais me vendre un téléviseur, j’ai fini par comprendre qu’elle consistait à essayer d’en savoir plus sur moi, le sous-titre étant « quel investisseur êtes-vous ? ». Je pouffe encore de ma méprise.
Je tiens à te dire que j’ai beaucoup apprécié ta demande. Cette prise de contact m’invite, avec un altruisme que l’on sent inspiré par les plus grandes soirées du téléthon, nonobstant Pierre Bergé, à remplir un questionnaire visant à mieux cerner ma personnalité profonde, question qui, je le sais, te passionnes. Non contente de me demander mon opinion, alors que tu pourrais n’en avoir rien à faire, tu m’invites alors à l’issue de mes réponses à prendre rendez-vous avec l’un des tes merveilleux représentants, qui s’empresseront alors de me conseiller sur l’utilisation idéale de cette épargne accumulée à la sueur de mon large front. Quelle générosité !
J’ai également bien noté que tu me proposais « un questionnaire basé sur de véritables techniques statistiques ». Quelle aventure excitante nous allons vivre ensemble !
Dans ce très joli questionnaire, tu t’intéresses en effet à mes états d’âme et, plus précisément, à mon goût pour le risque en me posant des questions d’une élégance stylistique digne des meilleures créations de Marc Levy, ce qui n’est pas peut dire. Par exemple, j’ai particulièrement aimé celle-ci, que je m’en vais faire encadrer et qui figurera en bonne place dans ma modeste habitation, la parant à elle-seule d’un chef d’œuvre de la littérature contemporaine. Je ne peux m’empêcher de la citer :
« Imaginez que l’ensemble de vos économies, soit 20000 euros, [Blood and guts, je ne me savais pas aussi riche !] soit investi dans un placement sans risque qui vous permet d’obtenir avec certitude votre capital de départ et un intérêt minime … »
– intérêt dont soit dit en passant ma chère S. G. (J’espère que tu me pardonneras cette familiarité que je me permets suite à une longue fréquentation en tant que client) tu ne précises pas la valeur, même s’il est minime -.
« …On vous propose de réallouer votre capital pour l’investir sur des supports qui ont :
Une chance sur deux (50%) de vous procurer un capital final double (40000€)
Et une chance sur deux de vous procurer un capital diminué de 33% (13333€) »
Tu me demandes si j’accepte ce placement au cours de cette délicate question 1 afin que, au cas où j’opine du chef, tu puisses me poser une encore plus merveilleuse question dans laquelle tu me demandes en fait si j’irais jusqu’à accepter ce placement si mon capital diminuait en fait de 50% (il me resterait 10000 € avec 50% de chances).
Je suppose que derrière cette série de questions très intimes, tu cherches à en savoir plus sur ma personnalité, ce qui m’anime, ma conception de la vie ou si j’aime les lave-vaisselle Whirlpool, mais surtout ce qu'est mon attitude vis-à-vis du risque, afin de savoir si tu pourrais envisager de conclure, comme dirait Michel Blanc, dans l'idée de me vendre des produits financiers tous plus intéressants les uns que les autres, qui assureraient ma félicité matérielle et qui me conduiraient résolument vers un avenir radieux dans lequel la Star Academy n’existe pas.
[Cette phrase un brin longuette m’a été suggérée par un certain Proust, Marcel, mais celui-ci a fui avant que je puisse lui faire cosigner le billet afin de reconnaître la paternité de cette prose]
Mon problème est celui-ci, chère S. Bien qu’étant un peu connaisseur soi-disant de ces questions de révélation des comportements dans le risque, il me semble que, même si je suis tellement averse au risque que je refuse de traverser la rue de peur de me prendre un pot de fleur sur la tête, ou encore de sortir de peur que le ciel me tombe sur la tête, je dois toujours accepter le placement risqué que tu me proposes.
Je trouve par conséquent que la question que tu me poses, à moins que je n’ai pas saisi quelque chose, m’amènes toujours à dire « oui » à ton placement qui est quand même un brin risqué… Après des années d’amitié et de confiance mutuelle, je trouve dès lors cela un brin mesquin de ta part. Mais sans doute n’ai-je pas saisi quelque chose, mon intellect n’étant même pas digne du centième du moindre de tes conseillers.
En effet, si tu supposes que ma fonction d’utilité à la Von Neumann-Morgenstern (pour ceux qui ne savent pas, il ne s’agit pas du méchant dans « Piège de cristal » mais d’un couple hasardeux formé par un mathématicien et un économiste dans les années 40) est d’une forme assez générale comme :
En effet, si tu supposes que ma fonction d’utilité à la Von Neumann-Morgenstern (pour ceux qui ne savent pas, il ne s’agit pas du méchant dans « Piège de cristal » mais d’un couple hasardeux formé par un mathématicien et un économiste dans les années 40) est d’une forme assez générale comme :
Dans ces conditions, je ne comprends pas très bien. En effet, si j’abhorre toute forme de prise de risque, c’est-à-dire que la valeur de mon coefficient relatif d’aversion au risque r est assez importante (par exemple égale à 1.5), je préfère le placement le plus risqué que tu me proposes (voir question 2a, 20000€ certains vs un placement avec 50% de chances d’obtenir 40000€ ou 50% de chances d’obtenir 10000€). En effet, l’utilité de 20000 euros certains est inférieure à l’espérance d’utilité du placement que tu me proposes.
[lecteur, en guise de passe-temps du week end, tu pourras t'amuser à faire ce petit calcul en lieu et place des complétement dépassés mots-fléchés et autres Sudoku qui ne sont même pas de chez nous d'abord... ]
En conséquence, il me semble que la manière dont tu exposes tes généreuses propositions m’incite plus que fortement à choisir le placement le plus risqué, car même en supposant que je sois le genre d’individu à avoir peur de mon ombre, je serai tenté par ta merveilleuse perspective.
Du reste, même si je reprends une fonction d’utilité moins habituelle, telle que Saha (1993) l’a proposée (répondant au doux nom de fonction « power-expo ») , définie par :
[lecteur, en guise de passe-temps du week end, tu pourras t'amuser à faire ce petit calcul en lieu et place des complétement dépassés mots-fléchés et autres Sudoku qui ne sont même pas de chez nous d'abord... ]
En conséquence, il me semble que la manière dont tu exposes tes généreuses propositions m’incite plus que fortement à choisir le placement le plus risqué, car même en supposant que je sois le genre d’individu à avoir peur de mon ombre, je serai tenté par ta merveilleuse perspective.
Du reste, même si je reprends une fonction d’utilité moins habituelle, telle que Saha (1993) l’a proposée (répondant au doux nom de fonction « power-expo ») , définie par :
... Je ne comprends toujours pas. En effet, en supposant alpha égal à 0.08 et r égal aussi à 0.8, ce qui est la marque d’une aversion au risque assez importante (voir le graphique ci-dessous que j’ai dessiné avec la TI-30 que tu m’as offert généreusement sur la base des points fidélité accumulés au cours de nos longues années d'une relation quasi-nirvanesque) l’utilité des 20000 euros certains reste inférieure à l’espérance d’utilité du placement évoqué.
En effet, l'espérance d'utilité du placement proposé s'écrit :
En effet, l'espérance d'utilité du placement proposé s'écrit :
alors que l'utilité de mon épargne est :
Donc ton placement est meilleur que mon épargne sûre... Ou, à tout le moins, je suis indifférent entre les deux, de sorte que, en guise d'amusement du samedi soir, je m'amuserai à jeter une pièce d'un euro pour savoir ce que je peux faire de ces 20000 euros dont, d'après toi, je disposes...
De là à y voir une preuve de ton caractère si délicatement taquin, il y a un pas que je ne me permettrai pas de faire.
Je suis sûr que tu prendras le temps d’expliquer, chère S. , à l’ignare inculte que je suis, le fond de ta pensée, qui, j’en suis sûr éclairera beaucoup ma lanterne et me fera dormir du sommeil du juste qui sait qu’il se couche moins bête qu’il ne s’est éveillé.
Du fond du cœur, merci
Affectueusement, ton dévoué
L."
Je suis sûr que tu prendras le temps d’expliquer, chère S. , à l’ignare inculte que je suis, le fond de ta pensée, qui, j’en suis sûr éclairera beaucoup ma lanterne et me fera dormir du sommeil du juste qui sait qu’il se couche moins bête qu’il ne s’est éveillé.
Du fond du cœur, merci
Affectueusement, ton dévoué
L."
En même temps, la SG est si délicieusement taquine qu'elle a réussi à piéger Jean-Edouard au cours d'un entretien similaire... De là à voir en vous une réincarnation de Maurice Allais (même s'il n'est pas mort, mais depuis Harry Potter on sait que ça n'est pas un problème) et en lui une de Savage, il n'y a qu'un pas !
RépondreSupprimer@Emmeline,
RépondreSupprimerMerci pour ce très gentil compliment, encore que, du point de vue du caractère, je me demande si la position de Jean-Edouard Savage n'est pas plus enviable que la mienne de laurent Allais...
... J'aimerai bien savoir combien a touchée l'équipe d'experts qui a mis en place ce fabuleux questionnaire ... Je suis certain (probabilité de 100%, je précise) que pour 10% de cette somme je peux refaire les combles de ma maison ...
RépondreSupprimerBah, si on file la métaphore Harry Potter, vous pouvez toujours être le gentil petit cicatrisé qui n'a pas le même, euh, "caractère" est bien le mot qui convient que son glorieux et néanmoins redoutable aîné ! (et qui en plus plaît aux filles...)
RépondreSupprimer@youenn,
RépondreSupprimermettons même pour 1% de cette somme tu peux refaire tes combles
@emmeline,
si, en plus il plait aux filles, que demander de plus ?
Ahh il est génial ce questionnaire, j'avoue que je me suis fait piéger et que j'ai montré lors d'un entretien à la SoGé avec mon merveilleux conseiller (content d'apprendre que pour vous aussi c'est nirvanesque) que j'étais complètement irrationnel. Ce que je me demande c'est à quoi ce genre de questionnaire peut servir.
RépondreSupprimerSupposons que vous vous occupiez vraiment des intérêts de votre client et que vous ne cherchez pas juste à lui refiler des produits bizarres que vous allez lui prendre 1% dessus tous les ans en frais (ou plutôt 0,8% par mois, ce qui d'après mon conseiller est très différent). Vous constatez qu'il n'a pas de jolies préférences CARA et qu'en fait il est même totalement incohérent, qu'en faites-vous ? Vous lui donnez un cours de microéconomie ? Vous lui trouvez des placements délirants qui satisferont ses préférences bizarres ? Vous exploitez son incohérence pour récupérer toutes ses économies en le faisant changer de formule tout le temps et en prélevant des sous au passage ?
Bravo pour la refonte du site, c'est très joli.
@J.-E.
RépondreSupprimerBonsoir et merci pour le compliment sur le site, c'est gentil..
Pour ton conseiller, il est sans doute comme le mien, et il ne maitrise pas grand chose sur cette question. Mais il y a peu de doutes que les banques exploitent notre incohérence temporelle et nos renversements de préférences pour gagner un peu d'argent... Par contre, pour rebondir sur le commentaire de Youenn, j'aimerai vraiment savoir qui est derrière la méthodologie de ce questionnaire, j'aurai deux ou trois mots à leur dire
Mon conseiller m'avait dit que c'était un truc sérieux, peut-être même le CNRS.
RépondreSupprimerExcellent billet !
RépondreSupprimerVous venez de me faire comprendre à quoi pourraient éventuellement servir les cours de microéconomie de l'incertain que j'ai suivit l'année dernière, et avec humour.
Cela en dit long sur la stratégie de la SG (dont je suis un fidèle et dévoué client, mais qui ne m'envoie jamais que des propositions de prêt étudiant...), à moins que ce ne soit sur l'incroyable qualité de l'intellect des membres du département marketing. Probablement un subtil mélange des deux (l'un impliquant l'autre) !
Merci, et bonne continuation pour votre blog très sympathique !
P.S : je suis un peu jaloux. Je pensais être le seul à entretenir une relation charnelle avec la SG. Les louanges de mes qualités de gestionnaire qui accompagnaient la lettre me signifiant mon attribution d'une carte "VISA" (waou!) m'avaient laissé pensé que...
Damned, tes amis de la Société Géniale auraient pu m'écrire ! J'aurais adoré recevoir un tel "cours" (mais je n'aurais pas su le commenter avec ton brio). Visiblement quelqu'un a du leur dire que je ne tenais pas à passer l'agreg, et que mon salaire n'est pas prêt de décoller....
RépondreSupprimerN'étant pas client de la SG je n'ai pas eu droit au questionnaire. C'est fort possible que quelqu'un de sérieux soit derrière cela car il y a en ce moment beaucoup d'études académiques portant sur le lien entre préférences et comportements d'épargne (L.Guiso, A.Caplin, T.Dohmen, L. Arrondel etc) toute plus ou moins (in)conclusives. Car, in fine, on ne sait pas grand chose du pouvoir prédictif des théories au niveau des choix individuels hors laboratoire (où on sait déjà qu'il y a du boulot). D'accord pour dire qu'en l'espèce, ils identifieront plutôt ceux qui ne prennent pas trop le temps de réflechir...
RépondreSupprimerce genre de questionnaire pourrait bien etre inspire des travaux de arrondel et masson. le but est de regarder de manière large aversion au risque et préférence pour le présent; ensuite, on a les produits adaptés...
RépondreSupprimerEncore plus prise de tête que le jeu de sudoku. Il faut vraiment s'accrocher :)
RépondreSupprimerCarolina
Heu... Ca pourrait pas être ça ?
RépondreSupprimerUn truc où aurait baigné PSE (au conditionnel...) ?
@Cimon
RépondreSupprimerc'estexactement cela !!! Bravo...
@ J-E :
RépondreSupprimerSur l'utilité du questionnaire, elle est assez simple : avec la directive MIF (et son extension en début d'année à l'assurance par ordonnance - et n'oublions pas que vos amis de la SG sont susceptibles de vous vendre des produits de mes amis de SOGECAP ou SOGESSUR), il existe un vrai besoin de formalisation du devoir de conseil.
Donc on vous pose ces super questions, on en déduit une aversion au risque et on vous propose tel ou tel produit.
Et a priori, pas de risque de misselling : la question n'est pas de savoir si votre aversion au risque était bien celle déduite du test, mais de savoir si votre banque s'est bien intéressée à votre cas...
Ceci dit, quelqu'un sait si PSE a effectivement trempé dans la combine de près ou de loin ?