Un des principaux auteurs de l'école franco-belge de bande dessinée, Jacques Martin (rien à voir avec l'ex-comique troupier animateur du Petit Rapporteur (Oh!) mais aussi de "sous vos applaudissements"(euuuuuuu !!)), vient de nous quitter.
Bien que je n'ai pas le souhait particulier de nourrir la rubrique nécro, ayant déjà écrit un billet sur la mort de Samuelson - excellent économiste, mais je pense moins bon dessinateur de BD , en tout cas les BD de Samuelson sont beaucoup moins connues - , je ne peux guère résister à l'envie de parler un peu de lui. Il est connu en particulier pour une série adorée par les profs d'histoire, "Alix", et à moindre titre pour une autre série aux accents jacobsiens (de E. P Jacobs, l'auteur de Blake et Mortimer, maitre incontesté de la BD franco-belge avec Hergé), "Lefranc".
Bon, pour tout dire, si j'ai toujours beaucoup apprécié certaines des œuvres de cet auteur, il faut bien reconnaitre que, comme Hergé le lui avait signifié clairement au début de sa carrière, je pense qu'il était au départ assez piètre dessinateur... Mais ce n'est guère charitable de commencer comme cela mon billet, d'autant plus que sa rigueur et son travail considérable lui ont permis de compenser ce départ un peu difficile.
Quel rapport entre Jacques Martin et l'économie me direz-vous ? Au moins un...
Il a en effet commis il y a maintenant quelques années un album de la série Lefranc, intitulé "Opération Thor". Dans cette histoire aux multiples rebondissements, il envisage l'attaque d'un pays , en l'occurrence des USA, non pas par des bombes ou autres fantassins armés jusqu'aux dents mais par le déversement massif de quantité de fausse monnaie. Pourquoi cela ?
Ben, même un dessinateur de BD peut comprendre intuitivement la théorie quantitative de la monnaie : si on augmente la masse monétaire dans des proportions astronomiques, toutes choses égales par ailleurs, on provoque l'hyperinflation (pour ceux qui voulent tous savoir sur l'hyperinflation, voir ici )!!!
La théorie quantitative de la monnaie est extrêmement simple, et ancienne, même si sa formulation moderne est attribuée à Irving Fisher (1908). Elle dit simplement que la valeur des revenus , c'est-à-dire des transactions économiques (environ par exemple 2000 milliards d'Euros en France pour 2009) réalisées pendant une période donnée est réalisée avec des espèces monétaires. Ces espèces monétaires sont simplement l'ensemble de la masse monétaire existant à un moment du temps (c'est un stock de pièces, de billets et surtout de monnaie scripturale) utilisée pendant la période donnée. Par exemple pour la zone Euro la masse monétaire (au sens de M3) est d'environ 9500 milliards d'euros pour un PIB de 9300 milliards d'euros en nominal (attention c'est un flux, alors que la masse monétaire est un stock). Approximativement, chaque euro du stock de monnaie (qui évolue lui-meêm chaque année, notamment en fonction de la politique de la Banque Centrale Européenne) est donc utilisé environ une fois pour réaliser les transactions au cours d'une année (un peu moins à vrai dire).
Si on suppose que le taux d'utilisation d'une unité de monnaie ne change pas beaucoup sur le court terme (ce que les économistes appellent la vitesse de circulation de la monnaie), et que le volume des transactions est relativement stable, alors toute augmentation de la masse monétaire se soldera par une augmentation des prix. Cette idée est au moins aussi vieille que l'économie elle-même puisque que Richard Cantillon me semble-t-il utilisait ce raisonnement pour dénoncer les dangers de l'accumulation de stocks d'or issus du pillage du Nouveau Monde par les Royaumes d'Espagne et du Portugal . En effet, l'augmentation des quantités d'or en circulation ne pouvait que déboucher sur une augmentation du prix des biens et ne représentait donc en rien une augmentation de richesse... C'est basiquement une des thèses clés du Prix Nobel d'économie Milton Friedman, qui écrivait en 1976 "l'inflation est toujours et partout un phénomène monétaire".
C'est l'idée de base de cette opération Thor, dans lequel un méchant de classe internationale monte une opération de déversement de fausse monnaie massive sur le territoire américain.
En fait, Jacques Martin s'est inspiré d'un épisode connu de la seconde guerre mondiale, l'opération Bernhard, du nom d'un officier allemand qui avait monté une équipe de faux monnayeurs et avait ainsi réussi à diffuser près de 140 millions de livres totalement fausses au sein du territoire britannique... Cette aventure incroyable est relatée ici. L'objectif des allemands était ainsi de provoquer une panique comparable à celle issue de l'hyperinflation vécue par ces mêmes allemands durant la république de Weimar en 1923 (voir la photo ci-dessous).
On utilise souvent l'expression "l'arme économique", mais pour détourner la phrase de Clausewitz qui écrivait que "la guerre continue la politique par d'autres moyens", certains ont apparement aussi pensé aussi que l'économie conitnuait la guerre par d'autres moyens... Par ailleurs, comme dirait Blueberry dans le Spectre aux Balles d'Or (planche 43, 3ème case):
"Blood and guts! Et si cette opération Bernhard avait contribué à relancer l'économie britannique par une injection massive de monnaie ? Quelle ironie de l'histoire..."
Le flooding de brouzoufs aurait pu être dirigé vers Tintin chez les Soviets, ça aurait permis de voir si la situation était due à une insuffisance de monnaie. Au pire ça aurait financé l'orphelinat qui permettra d'élever Largo Winch.
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