Comme l’exprime très bien l’excellent billet de mon collègue Jean-Baptiste Legavre http://www.rue89.com/2009/02/22/non-les-profs-de-fac-ne-font-pas-que-128-heures-par-an) , les enseignants-chercheurs travaillent (pour l’écrasante majorité d’entre eux) beaucoup.
L’autre lecture de son billet est aussi de constater que la recherche est toujours la variable d’ajustement par rapport aux tâches d’utilité plus immédiate comme l’enseignement ou l’administration. Pourtant, ce comportement n’est pas rationnel d’un point de vue individuel puisque, à l’heure actuelle, et pour ne pas faire de langue de bois, seule la recherche semble avoir une valeur identifiable dans la carrière d’un EC.
Comment pouvons-nous nous piéger nous-mêmes à ce point ? Une des réponses proposées par les psychologues est relative au comportement de procrastination. Ce comportement a depuis été également investi par les économistes depuis quelques années (Schefrin & Thaler (1978), O’Donogue & Rabin (1999), Noor (2005)…);
Supposons par exemple que le coût des deux activités soit le même (après tout, il n’y a aucune raison de penser qu’un cours bien fait exige moins de travail qu’un article bien fait…). Par exemple, fixons arbitrairement ce coût à 100.
Par ailleurs, faisons comme si le fait de subir un coût aujourd’hui de 100 impliquait un rendement immédiat pour le cours de 110 contre un rendement demain pour la recherche de 125 (je ne fais pas l’hypothèse que le rendement social de la recherche est supérieur au rendement social de l’enseignement, je n’ai aucune évidence théorique ou empirique pour penser cela, mais je pose que le rendement privé de la recherche dans la carrière d’un EC est supérieur au rendement privé de l’enseignement en termes de promotions potentielles, ce qui ma fois me semble assez raisonnable.).
Si mon EC est sujet à la procrastination, et à des préférences temporelles hyperboliques (son taux d’escompte décroit au cours du temps, il est très impatient aujourd’hui mais l’est beaucoup moins demain), le résultat donnerait quelque chose de ce genre.
Supposons par exemple que son taux d’escompte entre aujourd’hui et demain soit de 30% et que son taux d’escompte entre demain et après demain soit de 10%. Aujourd’hui, il planifiera de faire de l’enseignement (car 110>>125/1.3) et de la recherche demain (car 100/1.1 < 125/1.1^2). Donc, s’il respectait ses plans, intertemporellement, son activité serait équilibrée entre enseignement et recherche (aujourd’hui enseignement et demain recherche). Le problème est que, quand demain deviendra aujourd’hui pour lui, son taux d’escompte devient égal à 30%, et par conséquent, plus question de faire la recherche qu’il avait planifiée ! (car 125/1.3 < 110). Ainsi, il choisira tout le temps l’enseignement alors qu’il avait planifié de faire plus tard de la recherche. Le passage du temps entraine cette incohérence dynamique dans ce cas de préférences hyperboliques.
Un modèle à taux d’escompte constant comme le modèle canonique de Samuelson donnerait une répartition équilibrée entre enseignement et recherche fonction de l’importance du taux d’actualisation.
Bon, peut être trouverez vous, lecteurs, cette explication de la difficulté à faire de la recherche un peu tirée par les cheveux sans doute, et certains de mes collègues invoqueront d’autres explications plus politiquement correctes. Mais il n’y a pas de raison que les universitaires ne soient pas sujets comme tout le monde à l’impatience et à la difficulté à s’en tenir à ses (bonnes) résolutions ! Par ailleurs, mettre en place des dispositifs qui « lient les mains » des EC en les aidant ainsi à tenir leurs objectifs (en les empêchant de céder à la tentation), comme Ulysse fut à sa demande enchainé à son mât, ou comme Cortez à l’assaut de l’empire aztèque brûla ses vaisseaux après avoir débarqué dans le golfe du Mexique. Cela peut être une stratégie possible, par exemple en mettant en place des contrats d’objectifs précis et négociables périodiquement entre chaque EC et son établissement d'appartenance. Enfin, j’ai raisonné à système d’incitations financières et non financières constant…
Last but not least, le fait d’encourager les personnes sujettes à procrastination, éventuellement en reconnaissant soi-même que l’on a déjà cédé, donc s’encourager les uns les autres peut être une tactique qui marche très bien. Le soutien de l’individu par le groupe est donc très important, et on peut penser que la technique de l’insulte personnelle (« vous êtes médiocre et incapables de vous prendre en charge ! », pour reprendre une argumentation de quelqu’un de plus important que moi,) soit très contre-productive le cas échéant.
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