vendredi 20 février 2009

Tout ce que vous avez jamais voulu savoir sur les universitaires (sans jamais oser le demander)...


Dans le cadre du débat passionné (et parfois affligeant il faut bien le dire) sur la réforme du statut des enseignants chercheurs, et en paraphrasant le titre d’un célèbre film de Woody à l’époque où il me faisait encore rire (désolé, mais depuis Manhattan, je le trouve aussi drôle que les films d’Ingmar Bergman), j’ai décidé de donner quelques éléments de constat sur le métier d’enseignant chercheur. Je suis en effet parti du postulat selon lequel  la plupart des gens ignore complètement ce qu’est notre métier, et surtout comment nous le pratiquons actuellement au sein de l’université française…

De manière incroyablement égocentrique, j’ai décidé de me livrer à un peu d’introspection sur mon cas personnel en tant qu’enseignant-chercheur (oui, je sais, cela constitue un échantillon un peu limité pour faire de l’inférence, mais après tout, Saint-Augustin disait « Ne te borne pas à la surface; descends en toi-même, pénètre jusque dans l’intérieur de ton cœur. Fouille soigneusement ton âme » (sermon 4.53) et l’introspection est une technique comme une autre de recherche scientifique depuis Descartes).

La question est simple : la réforme du statut des EC (Enseignants-Chercheurs) part du principe selon lequel un EC « standard » doit, au-delà de ses 192h contractuelles d’enseignement et de diverses tâches liées à cette activité (stages, insertion professionnelle, etc. on appréciera le flou artistique de cette définition) consacrer la moitié de son temps à la recherche. Ce principe, qui n’était pas aussi clairement établi dans le décret de 1984, me semble devoir effectivement être rappelé fermement.

Par ailleurs, la question est aussi celle de la possibilité que nous avons actuellement, nous universitaires, de pratiquer raisonnablement une activité de recherche. Pour information, je rappelle que l’AERES établit qu’un chercheur publiant est un chercheur qui a publié 2 articles dans des revues à comité de lecture de rang A ou B (je ne rentre pas dans les détails, mais disons pour les non initiés que ce sont des revues pour la plupart avec double référé en aveugle). Dans le projet initial de décret, cet EC standard (2 publications tous les 4 ans + 192h d’enseignement) n’est donc pas sensé pouvoir prétendre à une modulation de service quelconque (en plus ou en moins).

Prenons donc modestement mon propre cas. Depuis que je suis EC (1996), j’ai publié 13 articles, ce qui donne en moyenne (je vous fais grâce de la virgule) 1 article par an dans des revues à comité de lecture.  Je suis donc a priori dans les clous et même au-delà de la contrainte imposée par l’AERES. Mais si on regarde cela dans le détail, j’ai des années pic et des années creuses, tout simplement parce qu’un projet de recherche peut demander parfois quelques années et d’autres fois quelques mois. Par conséquent, le niveau annuel de production est une variable éminemment stochastique.

Le graphique ci-dessous en témoigne :






Je ne mets là dedans que les publications dans des revues, et heureusement pour moi, j’ai fait d’autres choses, mais je reprends volontairement une  vision stricte, voire malthusienne diront certains, de l’output scientifique du chercheur (peut être qu’en fait aucune de ces publications n’a véritablement d’intérêt du point de vue de la connaissance, mais bon c’est publié…).
Une chose est l’output, une autre est l’input, en clair combien ai-je mis de temps (d’heures, d’effort…) pour produire cela ? Je n’en ai strictement aucune idée, ne serait-ce que pour la simple et bonne raison que l’activité de recherche des EC n’est pas mesurée ou pointée autrement que par l’output (publications, colloques, etc.). Mais, compte tenu de mon implication dans l’enseignement et autres tâches administratives diverses, j’estime que mon temps de recherche n’est sans doute guère supérieur à 25-30% du total de mon temps de travail.
Ce n’est pas faute de vouloir (si je le pouvais, j’y affecterai sans doute au moins la moitié de mon temps) mais de pouvoir. J’ajoute que je n’ai jamais dépassé les 250h de service et que je n’ai ni activité de consultant ni activités annexes. Vous pourriez penser alors que ma productivité recherche est faible en raison du fait que mon temps de travail total est faible, et que j’ai arbitré en faveur du loisir aux dépens de l’effort.  Il m’est difficile de répondre à cela, car ceci est essentiellement un point de vue relatif. Je note juste que je travaille en plus de la semaine complète 2 week-end sur 3 au minimum pour arriver à effectuer correctement les tâches que je me suis assigné (je ne cherche absolument pas à faire pleurer dans les chaumières bien sûr, j’ai trop conscience de la chance que j’ai d’exercer un tel métier). En clair, affecter actuellement 50% de son temps à la recherche me semble quasi-impossible, sauf à se contenter de faire ses 192h d’enseignement et n’avoir aucune tâche annexe « administrative ».
Et au fil des années, j’ai l’impression que la recherche, bien que critère prédominant de notre évaluation, devient une activité de plus en plus difficile à réaliser pour un EC confronté à la mise en place du LMD, à la réforme de l’Université via la LRU, à la recherche de contrats pour financer sa recherche, à la réalisation d’un site web ou d’un blog, au suivi des stages et autres dossiers, à l’organisation des plannings et des inscriptions des étudiants parfois, j’en passe et des meilleures.
Un des points positifs de la réforme des statuts est qu’elle prévoyait l’évaluation, ce à quoi je ne peux être que sensible, et surtout que cette évaluation portait sur les 2 (3 ?) facettes de notre mission, enseignement – administratif  ET recherche personnelle… J’espère que cet aspect ne retombera pas dans l’oubli.
Y-a-t-il quelques leçons à dégager de cette introspection ? Je n’en suis pas sûr…  On pourrait par exemple penser que le fait d’exercer les deux activités de concert, enseignement et recherche, est tout simplement impossible, et on pourrait prôner une spécialisation des universitaires, soit chercheurs, soit enseignants… Cette spécialisation pourrait d’ailleurs évoluer au cours du temps et pourrait être négociée contractuellement par les EC. Il y a toutefois deux problèmes à cela. Le premier est que, une fois l’activité de recherche mise de côté, il y a vraisemblablement un effet de lock in, et il est difficile de s’y remettre une fois que l’on a arrêté. L’autre est que, à ma connaissance, aucun grand pays universitaire n’a trouvé bon ou décidé de mettre en œuvre cette spécialisation recherche vs enseignement, à commencer par notre cousin l’oncle Sam… Les universitaires sont des enseignants et des chercheurs. Point. Alors ?
En fait, à l’issue de nombreuses discussions avec des collègues étrangers qui sont des chercheurs actifs, on se rend compte qu’en fait leur charge d’enseignement et d’administration est considérablement plus faible que celle de leurs collègues français, et que, de plus leur niveau de rémunération est très supérieur (voir le billet de mon excellent collègue Arthur Charpentier), http://blogperso.univ-rennes1.fr/arthur.charpentier/index.php/post/2009/02/19/Evolution-des-salaires%2C-suite). Par ailleurs, ils sont évalués régulièrement et cette évaluation conditionne la définition des objectifs contractuels entre l’établissement et l’EC.
Par conséquent, je crois raisonnablement que le seul moyen efficace d’augmenter notre productivité de chercheur est de diminuer le nombre d’heures d’enseignement que nous faisons, de revaloriser les salaires et perspectives de carrière et d’augmenter les moyens dévolus à la dimension administrative. Bien évidemment, on rétorquera que la contrainte budgétaire est forte et que cela est peu réaliste, mais si nos voisins étrangers ont pu réaliser cela, pourquoi pas nous ?
NB : concernant l'image ci-dessus, à vous de trouver la signification !

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