samedi 26 septembre 2009

La taxe carbone à 17 euros la tonne : bien ou pas bien ?



Le  10 septembre dernier, la présidence de la République a dévoilé la stratégie de la France dans la lutte contre le réchauffement climatique ; Un des éléments dont tout le monde, y compris moi, a beaucoup discuté, la fameuse taxe carbone, a donné lieu à un arbitrage présidentiel, le problème étant d’en fixer le niveau.
Le montant choisi fut de 17 euros la tonne de C02, sachant que grosso modo, il y a avait deux « benchmarks » possibles, celui du prix de la tonne de CO2 sur le marché européen des quotas (ETS : Emission Trading Scheme), autour de 14 euros, et le niveau considéré comme souhaitable par la Commission Rocard, 32 euros la tonne. En fait, comme je l’ai déjà dit (ici), ces 32 euros ne sont qu’une actualisation du rapport du Commissariat Général du Plan de 2001. Les 17 euros représentent, d’après la présidence de la République, le prix moyen sur le marché des quotas depuis son ouverture, d’où le choix présidentiel.
Le Président a coupé la poire en deux, plutôt en tirant du côté bas de la fourchette, estimant qu’en période de crise, les effets supposés négatifs d’une taxe additionnelle sur la croissance économique devaient être minimisés. Par ailleurs, il est vrai qu’il aurait été inéquitable que les gros industriels payent environ 14 € la tonne et que les ménages payent 32 € pour la même tonne, alors que l’industrie manufacturière et la transformation d’énergie représentent environ 30% des émissions annuelles nettes chaque année. Cela pose de toute manière un problème d’incohérence, la tonne de CO2 ayant deux prix, ce qui est d’un point de vue économique un peu curieux.
Nombreux ont été les débats autour de cette taxe, et j’y ai moi-même contribué au moins à deux reprises. Certains ont discuté de l’impact sur les comportements (comme les bloggers d’Optimum ici), d’autres ont évoqué le problème de son niveau (les bloggers de rationalité limitée )
Bref, cette taxe a été un sujet des plus abondamment discutés sur les blogs d’économie ces derniers temps, ce qui est la moindre des choses puisqu’elle est une application assez stricte du principe pollueur-payeur, qui, en France, reste assez rare.
Le point que je voulais aborder maintenant, et, à ma connaissance pas tellement discuté, concerne le coût économique de l’arbitrage présidentiel, la taxe étant d’un montant inférieur à la valeur supposée souhaitable (au minimum 32 euros, mais en fait plutôt 45 euros) par l’ensemble des experts.
Plus exactement, d’après de multiples travaux, la valeur souhaitable pour la France est de 100 euros la tonne à l’horizon 2030, puis de 200 euros la tonne à l’horizon 2050. C’est cette valeur qui, d’après les simulations économiques permet d’atteindre l’objectif de division par quatre de nos émissions de GES (Gaz à Effet de Serre) par rapport au niveau émis en 1990. Cela impliquerait, comme le rappellent Gollier et Tirole dans le Monde, de partir de 45 euros la tonne en 2010 en faisant croitre cette valeur de 4% par an. Ce taux de croissance de 4% par an est en fait le taux d’actualisation public tel qu’il a été fixé en 2005. Cela implique que la valeur actualisée d’une tonne de CO2 est toujours égale à 45 euros la tonne. Un taux d’actualisation plus fort aurait écrasé la valeur de la tonne de CO2, ce d’autant plus qu’elle est émise loin dans le temps. Si, au contraire, la valeur était fixée à un niveau constant de 45 euros quelle que soit la période d’émission de cette tonne, cela aurait impliqué que les tonnes de CO2 émises  par nos rejetons par exemple auraient un coût économique beaucoup plus faible que celles que nous émettons actuellement.
Bon, en fait, les experts (le CAS principalement dans cette note) ont proposé deux scénarios : le premier basé sur une valeur de 32€ la tonne en 2010, qui a l’avantage d’être cohérent avec la valeur retenue par le Plan pour calculer la rentabilité socioéconomique des infrastructures de transport, et le second établissant une valeur de 45 euros la tonne en 2010. Le premier scénario, s’il est cohérent avec les valeurs prises en comptes dans le calcul économique public depuis 2005, a l’inconvénient d’impliquer un taux de croissance de la valeur tutélaire de la tonne de CO2 supérieur à 4% afin d’atteindre le niveau optimal de 100 euros en 2030. Le second scénario, incohérent avec la pratique actuelle en termes de calcul économique, a par contre l’avantage de faire croitre la valeur de cette tonne au taux d’actualisation public et donc d’être « neutre » du point de vue intertemporel.
A l’issue de l’arbitrage présidentiel en faveur de 17€, la majorité, et le président lui-même, ont argué du fait qu’il était souhaitable, vu la conjoncture de ne pas partir trop haut mais qu’en contrepartie, il faudrait augmenter plus rapidement la taxe que si l’on était parti d’un niveau plus élevé considéré comme souhaitable par les experts. En fait, la question de la vitesse de progression de la taxe a été traitée avec un flou artistique digne des clichés les plus ratés de David Hamilton.
Bien évidemment, on pourrait intuitivement penser que tout cela est assez neutre, que l’on parte de bas en progressant vite ou que l’on parte de haut en progressant lentement, le coût économique pour la collectivité est identique. En fait, rien n’est moins vrai, comme un petit calcul de coin de table comme je les aime, et qu’un étudiant d’économie même peu avancé peut faire, conduit à le montrer.
Mettons nous dans le monde idéal des experts dans lequel le niveau optimal de la taxe est de 45 euros en 2010. Cette taxe progresse de 4% par an, un niveau conforme au taux d’actualisation public. Cela implique, pour prendre un exemple simple, qu’un ménage qui émettrait une tonne par an sur 21 ans (de 2010 à 2030 inclus) verrait sa taxe passer de 45 en t=2010 puis à 47€ en 2010 (+4% par an) jusqu’à environ 100 euros en 2030. Le coût total de ces 21 tonnes serait d’environ 1450€ pour la collectivité, ce coût étant compensé par la taxe touchée chaque année sur ce ménage (je fais bien sûr l’hypothèse qu’il n’y a aucune compensation telle qu’elle a été annoncée par le Gouvernement). La valeur actualisée en 2010 de la taxe et du coût des dommages est d’environ 910 euros, et la différence est donc nulle, ce qui signifie que l’on est à l’optimum de pollution.
Maintenant, envisageons le scénario d’une taxe à 32 euros en 2010. Pour arriver à 100€ en 2030, il faut progresser beaucoup plus vite, d’environ 5.8% par an et en supposant que l’accélération reste constante sur 21 ans. Si on fait progressait la taxe à cette vitesse, la valeur actualisée du total des taxes prélevées chaque année en 2010 représente environ 770 euros. Or, le coût actualisé des dommages est toujours de 910 euros. Cela implique une perte sociale en termes de bien être d’environ 180 euros.
Si on est dans le scénario présidentiel d’une taxe à 17 euros la tonne, la progression doit être encore plus rapide pour atteindre les 100 euros en 2030. Cette progression doit être d’environ 9.2% par an. La taxe passe donc de 17 euros en 2010 à environ 18.6 euros en 2011, etc. Cela représente un total de taxes payées pour mon ménage d’un peu moins de 1000 euros. La valeur actualisée de ces taxes aujourd’hui représente environ 584 euros pour ces 21 tonnes émises soit 27.8 euros actualisés par tonne émise. Le coût des dommages est toujours de 910 euros, soit 43.4 euros actualisés par tonne émise (ou un avantage de 43.4 euros par tonne en moins).
Ainsi, pour chaque tonne émise dans le cadre fixé par le Président de la République, il en coûte à la collectivité environ 15.6 euros de bien-être. En partant sur la base d’environ 300 millions de tonnes nettes émises chaque année en France (voir ici l’inventaire des émissions par le CITEPA ), cela signifie une perte en bien-être d’environ 4.5 milliards d’euros annuels, si je suppose que les émissions restent constantes.
Sur les vingt ans considérés, cela fait quand même de l’ordre d’une centaine de milliards d’euros, toujours en supposant le niveau d'émission constant …
La morale, que certains trouveront basique sans doute, c’est que, ce que nous ne payons pas aujourd’hui, nous le paierons demain quoi qu’il en soit. Et qu’il n’est en tout cas jamais neutre du point de vue de l’efficacité de dévier trop longtemps du prix optimal de la tonne de dioxyde de carbone…

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