vendredi 3 juillet 2009

Mécanique newtonienne, théorème de Haavelmo et impact macroéconomique de la taxe carbone



Une fois n’est pas coutume, un billet à teneur plutôt macroéconomique à propos de la taxe carbone et de la conférence de consensus consacrée à la contribution climat-énergie qui s'est déroulée le jeudi 2 juillet.
En fait, c’est la lecture des Echos du 1 juillet qui m’a donné l’idée de ce billet. Je ne suis pas particulièrement fanatique de la presse économique, et je préfère le net pour trouver de l’information économique, mais, entre deux avions, la compagnie fournissant gracieusement ce journal, j’ai pris le temps de le parcourir. Deux articles m’ont incité à réagir, l’un de Jean Marc Vittori, sur les faiblesses des économistes en ces moments de crise, et l’autre sur la mise en place de la fameuse taxe carbone ( la « contribution climat-énergie » comme dit Nicolas Hulot qui ne veut pas parler de taxe, un peu comme quand on dit « non-voyant » pour parler des aveugles).
Le premier article ("Les économistes entre deux murs") m’a en fait agacé, et je pense ne pas avoir été le seul, l’éditorialiste des Echos nous accusant de deux maux, l’hyperspécialisation et les ordinateurs. Dixit "S'ils n'ont pas vu la crise venir, c'est que leur vision est bornée par deux oeillères : l'hyperspécialisation... et l'ordinateur".  Je ne suis pas d’accord globalement avec le ton de l’article qui nous accuse en gros d’être timoré dans l’exercice de prévision comme il a du nous accuser il y a quelques mois de nous être plantés dans nos prévisions. Par ailleurs, il nous reproche de manquer de recul, de ne pas prendre de hauteur, rigidifiés que nous serions par notre hyperspécialisation et par la débauche actuelle de technique et de formalisation dans nos calculs, débauche incarnée par les ordinateurs.
 Le second article, celui qui relatait les premières réunions de travail sur la mise en œuvre de la taxe carbone,  m’a – involontairement – amusé. Vous allez comprendre pourquoi assez rapidement.

Au-delà du fait que je trouve la critique de Jean-Marc Vittori un brin ridicule (demande-t-on à un physicien spécialiste de la physique des solides de prévoir correctement la trajectoire des balles de tennis de Féderer ? Accuse-t-on les prévisionnistes météo de se vautrer généralement sur les prévisions météo à 2 mois ?), je vais aller, juste par esprit de provocation, dans son sens pour montrer (cette démonstration a un caractère scientifique proche de zéro toutefois) qu’il n’a pas totalement  tort sur la débauche de calculs utilisés pour produire des résultats parfois assez triviaux et qu’il serait possible de produire avec un calcul de coin de table.
Je ne suis pas keynésien au-delà du raisonnable, je l’étais beaucoup plus quand j’étais étudiant, étant jeune et naïf, que maintenant, où je suis vieux et méfiant. J’ai tendance à penser que la mécanique keynésienne est justement un brin « mécanique » et suppose des agents grégaires que mes travaux expérimentaux ne retrouvent pas du tout dans le laboratoire, les comportements observés étant en général assez sophistiqués, pleins de préférences sociales, et surtout sujets à apprentissage. Les agents peuvent faire des erreurs, mais ils n’en font pas indéfiniment. Comme le disait l’immortel film des Nuls La cité de la peur, « on peut tromper 1 fois 1000 personnes, mais on ne peut pas tromper 1000 fois 1 personne ».

Je pense que c’est en fait l’erreur fondamentale du modèle keynésien, qui sous-entend un comportement extrêmement fruste de la part des ménages. Bon, c’est le point de vue global que j’ai sur la macroéconomie disons d’avant Robert Lucas ou même d’avant Milton Friedman, et que l’on enseignait encore dans beaucoup de facultés il y 15 ou 20 ans. Heureusement les choses ont changé d’un point de vue scientifique et pédagogique. Toutefois, encore une fois, je ne suis pas macroéconomiste, et bien que connaissant un peu en tant qu’amateur ce domaine,  je peux me tromper.

On va voir toutefois que ces modèles « mécaniques » (en tout cas tel que présentés dans la vulgat keynésienne) permettent de dire des choses intéressantes voire amusantes avec un minimum d’effort. Un peu comme un astronome s’amuserait à prévoir la trajectoire des planètes avec un modèle copernicien ou newtonien de gravitation universelle pour l‘approximer  en première instance, avant de passer éventuellement au modèle de relativité restreinte développé par Einstein, beaucoup plus coûteux en calculs, j’ai repris un peu cette mécanique céleste keynésienne.
La macroéconomie keynésienne construite, pour dire les choses rapidement, autour d’IS-LM, est un peu notre mécanique newtonienne à nous, économistes. Elle décrit avec un minimum de relations un modèle économique sur lequel on peut s’amuser à simuler l’impact de différents chocs exogènes ou de mesures de politique économique. C’est un peu comme le travail de gamme pour un musicien, un peu fastidieux, mais pas très compliqué…
Quand je faisais le cours de macroéconomie en première année de licence d’économie, j’aimais bien présenter le théorème d’Haavelmo. Ce théorème bien connu des étudiants en économie dit simplement qu’1 euro de dépense publique financé par 1 euro d’impôt (ou de taxe) génère en net 1 euro de revenu additionnel. Ce que j’aime bien dans ce résultat d’Haavelmo est qu’il remet en cause le bon sens qui voudrait qu’1 euro dépensé publiquement générera certes des effets positifs, mais que ces effets positifs seront exactement annulés par l’effet négatif de l’impôt levé aujourd’hui à concurrence d’1 euro pour financer cette dépense, ou de l’euro prélevé demain pour rembourser l’emprunt afférent à cette dépense (théorème d’équivalence Ricardo-Barro dans mes souvenirs). ,Le théorème  montre précisément que le raisonnement de bon sens est fallacieux. La démonstration est d’un point de vue économique simplissime en économie fermée : le lecteur intéressé peut aller voir cela sur wikipedia, c'est très bien fait et en tout points comparables à ce que je vais expliquer maintenant.

Regardons en premier l’effet d’un prélèvement fiscal sur l’économie :
Si à la période 0, on a l’équilibre entre ressources et emplois  qui s’écrit :
Y0 = c(Y0-T) + I + G               (1)
Y0 est le PIB à la période 0, T le montant des impôts, I de l’investissement et G les dépenses publiques, c la propension marginale à consommer (le supplément de revenu consommé en moyenne, compris entre 0 et 1, typiquement autour de 80% en France).
Si à la période 1, l’Etat prélève un impôt ou une taxe supplémentaire dT, l’équilibre devient :
Y1 = c(Y1-T – dT) + I + G      (2)
Si on fait la différence entre (2) et (1) on a :
dY=Y1-Y0= (-c/1-c)dT
Dit simplement, la variation de revenu issue d’une variation des taxes est égal au produit du multiplicateur fiscal (négatif car c positif) par la variation des taxes. Comme c est supérieur en général à 50%, ce multiplicateur est toujours plus petit que -1.
En deuxième, du côté dépenses publiques, on a le multiplicateur des dépenses publiques, équivalent au multiplicateur d’investissement keynésien.
Comme on s’intéresse à une variation dG des dépenses publiques G, on a le résultat classique:
dY= 1/(1-c) dG
Bon, il n’y a pas besoin d’avoir inventé l’eau chaude pour comprendre que quand je dépense 1 euro financé par l’impôt, il génère 1/1-c euro de revenu supplémentaire et l’impôt réduit lui le revenu de  –c/(1-c) euros. Si on fait la somme des deux, on obtient en net 1. C’est le théorème d’Haavelmo, toute dépense G financée par un impôt T égal à G générant in fine 1 euro de revenu additionnel.
Au-delà de l’intérêt de ce théorème, je vais l’utiliser pour simuler l’impact (macro)économique de la taxe carbone. Les prévisions ont été établies à la demande de Christine Lagarde par la DGTPE et, en tant que digne représentant de la DGEQNSPPTAS (Direction Générale des Economistes Qui Ne Se Prennent Pas Totalement Au Sérieux), je vais produire une contre-simulation.

Pour cela, je m’arme de ma calculatrice TI-30, fossile des années 80 que j’ai encore, et je fais le calcul suivant.

[lecteur, c’est juste une note d’humour, je n’utilise plus de calculatrice depuis au moins dix ans]

Le produit de la taxe serait de 9 milliards d’Euros. Le gouvernement dit vouloir reverser la totalité de cette taxe aux agents pour obtenir un effet positif. En fonction des différentes hypothèses d’affectation de cette taxe, on obtient un impact sur le PIB français compris entre 0.2% et 0.6%. Ce qui m’a amusé est en fait la phrase suivante :
« L’impact sur l’activité économique ne serait pas forcément négatif : les services de Bercy anticipent même un gain de croissance compris entre 0.2 et 0.6 point (de PIB, NDLA) à condition que le produit de l’impôt soit reversé en intégralité aux entreprises et aux ménages ». (Lucie Robequin, Les Echos, 1er juillet 2009, « les scénarios de Bercy pour la taxe de carbone »)

L’article explique en fait que, selon les scénarios (du pire où l’on affecte le produit de la taxe à la réduction des autres impôts au meilleur, où le produit de cette taxe sert à réduire les cotisations sociales employeurs et les impôts sur le bénéfice des entreprises), la France gagnerait entre 0.3 point et 0.45 point de croissance du PIB (j’ai fait des moyennes, les intéressés peuvent se reporter à l’article lui-même pour plus de détails).
Le lecteur non-averti s’imagine des dizaines d’ordinateurs tournant pendant des semaines, des discussions d’experts interminables aussi impénétrables pour moi que les règles du base-ball ou l’intérêt intrinsèque de Secret Story. Et, en gros, bien que lecteur averti, je m’imaginais sensiblement la même chose, n’étant ni macro-économiste, ni spécialiste de conjoncture.
Puis j’ai réfléchi deux minutes. L’hypothèse est celle de 9 milliards d’Euros pour le produit de la taxe carbone. Supposons que le coût de la fiscalité et de la collecte réduise de 20% le produit de cette taxe (on estime en général qu’à la louche, sur 1 euro prélevé en taxe ou en impôt, on peut dépenser 80% de cette somme en dépense publique, car il faut déduire les coûts de collecte et de redistribution du produit de la taxe). .  Bref, en net, on pourra donc dépenser 80% de cette somme de 9 milliards soit environ 7.2 milliards. On verra que ce chiffre de 80%  conduit à des interrogations.

Si on applique stricto sensu le théorème d’Haavelmo de manière naïve (l’équivalence recette dépense n’est pas respectée), l’effet négatif est  de 4 (le multiplicateur fiscal est égal à -0.8/(1-0.8), ce qui fait -4) que multiplie la perte de revenus pour les agents, soit 9 mds d’Euros, ce qui représente donc -36 milliards d’euros. Si on applique côté dépense le multiplicateur des dépenses publiques, approximativement égal à 5 en France (1/(1-0.8)), alors le supplément de revenu de ce supplément de dépense publique de 7.2 milliards d’euros est d’exactement + 36 milliards d’euros. Bref, en net on arrive à un impact nul sur le PIB (+36 – 36). Si on suppose que la taxe est intégralement reversée aux agents sans aucun coût de prélèvement, alors on reprend les calculs. Le coût fiscal de la taxe du point de vue du revenu national est toujours de 36, mais l’effet multiplicateur de la dépense est cette fois de 5 fois 9 soit 45 milliards. L’effet net sur le revenu national est donc de 45 moins 36 soit 9 milliards, soit le montant initial de la taxe, ce qui est bien normal puisque c’est précisément le résultat démontré par Haavelmo.
Si on rapporte ces 9 milliards d’impact net sur le revenu national au PIB de la France (environ 1950 milliards d’euros en 2008), on obtient approximativement + 0.37% de PIB supplémentaire. C’est à peu de choses près exactement la moyenne obtenue dans les différents  scénarios d’impact macroéconomique de la taxe carbone relatés dans l’article des Echos (entre +0.3% et +0.45%, soit en moyenne +0.37% de PIB supplémentaire).
En clair, on a  exactement en moyenne  l’impact prévu par les économistes de la  DGTPE, ce avec un modèle keynésien d'économie fermée dans sa version la plus dépouillée...

Conclusion ? De deux choses l’une.

Soit ils ont fait des calculs pendant des semaines et ont abouti à des résultats similaires à ceux qu’auraient obtenus un étudiant de première année en économie, et on ne voit pas bien pourquoi tout ça pour ça.
Soit ils ont fait les calculs avec la même TI-30 que moi en 5 mn pour pouvoir jouer à Half Life 2 en réseau sur leurs super micro-ordinateurs…

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