samedi 7 mars 2009

Des bulles encore des bulles (financières) ...




Dans la série des expériences d’économie amusantes que l’on peut faire chez soi (genre "le petit économiste illustré") pour animer ses soirées (moyennant une dizaine de convives et au moins une dizaine d’ordinateurs portables ou de PDA équipés wifi), et stimuler des conversations parfois, il faut le dire, moyennement intéressantes, un jeu permettant de produire des bulles spéculatives sur un marché financier.

J’ai fait pour la première fois ce jeu, en étant à peu près persuadé que rien ne se produirait. Quelle erreur ! J’ai observé, grande expérience personnelle s’il en est, une bulle  spéculative produite dans le laboratoire (malheureusement, je n’ai pas eu le temps de voir se produire le krach…).

Le principe du jeu est très simple : chaque participant (ils sont 12 dans le cas présent) obtient une dotation en monnaie (50$) et en actions (6), les dotations étant totalement identiques d’un participant à l’autre. La monnaie conservée d’une période sur l’autre rapporte un taux d’intérêt r ici de 10% et les actions un dividende unitaire qui est aléatoire. La valeur espérée du dividende est de 0.7$ par action (le mauvais état de la nature donne 0.4$ et le bon état 1$, chaque état ayant 50% de chances de se produire). Là est l’astuce économique comparée au jeu classique fait par Smith dans les années 80 : on indique que, à l’issue du jeu (n périodes), chaque action sera rachetée à chaque participant à hauteur de 7$. La valeur fondamentale de l’action est donc de 7$ (pour les lecteurs éclairés, ceux-ci noteront avec attention que ces 7$ correspondent bien à la valeur fondamentale de l’action générant un rendement espéré de 0.7$ répété à l’infini car 0.7/0.1=7, or c’est précisément la valeur de rachat. Cela évite de dire aux participants et de faire comme si le jeu allait se répéter un grand nombre de fois, potentiellement infini, ce qui est un peu difficile dans le cadre d’un cours de 2h).

L’expérimentateur (l’enseignant) peut, grâce au serveur génial de Holt dont j’ai déjà parlé, paramétrer tout cela. Notamment, j’avais choisi 20 périodes de répétition du jeu.

Pendant chaque période, les participants peuvent proposer des prix d’achat et de vente, en utilisant leur dotation financière s’ils souhaitent acheter des actions, la contrepartie étant qu’ils perdent les intérêts qu’ils auraient obtenu pendant la période s’ils avaient conservé cette dotation intégralement.

D’un point de vue théorique, sur un tel marché, il devrait y avoir très peu d’échanges d’actions et, dans le cas où il y en aurait, le prix devrait être très proche de 7$, la valeur fondamentale. Or, voilà ce que j’ai observé :




Le graphique ci-dessus donne le prix unitaires des actions échangées sur ce marché (en bleu), mais également les offres de prix de vente et de prix d'achat (en gris), les participants pouvant indifféremment acheter ou vendre des actions et ce dans la même période. En rouge, la valeur fondamentale de 7$ (le prix théorique de marché).

Les participants ont joué pendant en fait 10 périodes (j'ai arrêté l'expérience faute te temps), mais c'est dommage car on voit poindre le spectre du krach sur les dernières périodes... Par contre on voit bien la bulle spéculative : en moyenne le prix est autour de 20$ pour chaque action échangée c'est-à-dire que l'action est survalorisée de 200% en moyenne !

Bref, les résultats de laboratoire collent plutôt bien avec ce que l’on peut observer dans la réalité (les bulles financières ont été abondamment chroniquées par leurs contemporains et d’autres, comme dans le cas de la célèbre tulipomania en 1636 en Hollande, une "bulle sur les bulbes" –  dur à dire à l’oral, ça !-), et cela montre la puissance d'un outil comme l'économie expérimentale, qui avec un petit nombre de participants, arrive à reproduire des phénomènes économiques observés dans la réalité.

J’ai juste un petit problème avec ce jeu. Je pense qu’il y a une forme de biais d’action lié au design (mais sans doute existe-t-il de la même manière pour les traders) : les participants sont incités à proposer des prix d’achat ou de vente et à échanger des actions car sinon, le jeu est mortellement ennuyeux. Un joueur totalement rationnel au sens de la prédiction théorique (et en supposant qu’ils le soient tous) ne devrait rien faire au cours du jeu, conserver ses actions et laisser fructifier sa dotation monétaire !

En tout cas, les anticipations et les décisions des participants les conduisent à multiplier des échanges dont la conséquence est cette envolée du cours de l'action suivie immanquablement d'un krach (ce fait est bien documenté par les expériences de laboratoire, on se reportera à  l'excellent article de Charles Noussair et Bernard Ruffieux en 2002 dans la revue économique - disponible ici : http://www.cenecc.ens.fr/EcoCog/12juin02/noussair-ruffieux.pdf-.

ll faut d'ailleurs noter que l'on n'observe pas systématiquement des bulles dans le laboratoire, mais c'est aussi le cas dans la réalité (en tout cas, on peut l'espérer...).

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