dimanche 26 avril 2009

Le bonus malus automobile ! "voilà une idée qu’elle est bonne ?"


 
Récemment, je me suis lancé dans la délicate opération qui consiste à acheter une voiture neuve. Opération d’autant plus délicate que je m’étais fixé comme contrainte d’acheter un véhicule essence et non pas diesel, ce pour différentes raisons personnelles….

La seconde contrainte que je m’étais fixée était de ne pas avoir de malus, et la troisième contrainte d’avoir une voiture suffisamment grande pour y faire rentrer ma petite famille et la somme d’objets inutiles que nous trimballons sans arrêt par monts et par vaux (cartable, ordinateur, chaussures, sacs, etc.). Donc la Smart était exclue…

Naïf que je suis : je n’avais pas anticipé que je m’étais lancé dans un programme d’optimisation quasiment insolvable !

En effet, l’écrasante majorité de l’offre de véhicules neufs se fait en France sur la base de motorisations diesel (le taux de dieselisation en France - c’est-à-dire la part du parc des véhicules en circulation ayant des moteurs diesel sur le total - est passé récemment (en 2005) au-dessus des 50% et l’achat de diesel représente approximativement les ¾ des immatriculations de véhicules neufs).

Or, ces fameux moteurs diesel à la sonorité si douce et aux fumées si légères (désolé, lecteur si vous avez un diesel, vous avez compris que je n’en raffole pas !) émettent moins de CO2 (dioxyde de carbone), l’un des gaz à effet de serre (GES) recensés dans le protocole de Kyoto et qui représente approximativement 80% du total des GES. Par conséquent, l’écrasante majorité des véhicules diesel dits citadins ou compacts n’ont pas de malus automobile, alors que, au contraire, en dehors des moteurs de cylindrée modeste, les véhicules essences sont au mieux « neutres » ou écopent d’un malus.

Récemment, notre cher Ministre, Jean-Louis Borloo, a proposé d’étendre le système de bonus malus à d’autres produits dits de consommation de masse. Je ne résiste pas au plaisir de le citer notre ministre de l’écologique qui claironne : (extrait de l’article « M. Borloo veut généraliser le bonus-malus écologique », par C. Jakubyszyn, Le Monde du 20/08/2009)

"On a abaissé de 8 grammes de CO2 la consommation automobile des nouveaux véhicules achetés, soit une réduction de 9 % de la consommation de carbone, mieux que l'objectif européen sur 2012-2020 !", calcule Jean-Louis Borloo. "Nous sommes en train d'inventer un nouveau modèle économique où le prix du marché ne rémunère plus seulement le capital ou le travail, mais aussi le capital nature", s'enthousiasme le ministre de l'écologie ».

C’est là que je tique. En parlant de « rémunérer le capital Nature », notre cher Ministre veut sans doute dire que les consommateurs doivent se faire imputer la totalité des coûts environnementaux qui leur incombent. Il invente donc, en fait (croit-il) la notion de coût marginal social, qui existe depuis presque un siècle en économie (en fait inventée par A. C Pigou dans les années 30 dans Economics of Welfare, et revisitée par R. Coase dans les années 50-60). Cette notion dit simplement que dans une économie soucieuse d’une allocation efficace de ses ressources naturelles, l’utilité marginale de la consommation doit être égale au coût marginal social de cette consommation.

Le coût marginal social est la somme du coût marginal privé de consommation et du coût marginal externe. Ce coût marginal externe représente en fait de la valeur des atteintes supplémentaires à l’environnement issues de l’acte de consommation et qui ne sont pas acquittées par le consommateur mais qui sont subies par la société dans son ensemble, c’est-à-dire le coût des pollutions.

C’est là où le bât blesse et où le dispositif de bonus-malus ne peut être efficace d’un point de vue économique, voire même peut induire une baisse d’efficacité pour la société.

Ces bonus malus sont exclusivement basés sur les émissions de C02 des véhicules. Or, non seulement les véhicules émettent d’autres GES mais surtout, ils émettent des polluants locaux, les GES étant des polluants globaux (ceux qui contribuent à l’effet de serre). Or, ces polluants locaux sont nocifs du point de vue de la santé publique et ont également des conséquences négatives autres (phénomène des pluies acides, etc.).

Or, si les véhicules diesel sont relativement meilleurs que les véhicules essences sur les émissions de CO2 en grammes par km (encore que la différence soit assez faible en fait, surtout si on relativise cela par le fait que les véhicules diesel roulent plus en moyenne que les véhicules essence), ils sont bien moins bons que les véhicules essence par exemple en termes d’émissions de microparticules. Même ceux qui sont équipés des fameux filtres à particules émettent beaucoup plus de ces microparticules que les véhicules essence de génération comparable.

Par exemple, concernant ces particules, l’AFSSE  a estimé en 2002 qu’une exposition prolongée à ces particules émises par les transports routiers, qui viennent essentiellement des moteurs diesel, était responsable d’environ 6000 morts chaque année en France.

Donc mieux vaut atteindre l’objectif de Kyoto, quitte à réduire l’espérance de vie des populations !

Bon, admettons que nous passions sur l’argument de santé publique et adoptons une approche plus « froide » et plus économiste. Un rapport récent de la Commission Européenne a chiffré les coûts externes totaux du point de vue environnemental des transports et les a donc finalement mesurés en centimes d’euros par km. Les résultats, donnés ci-dessous (cas de l’Allemagne) sont assez édifiants.
 
 

Le coût externe total (c’est-à-dire la valeur économique de l’atteinte à l’environnement, effet de serre, pollution locale du point de vue de l’atteinte à l’état de santé et autres impacts nocifs) d’un véhicule diesel « moyen » représente presque 2,5 fois le coût externe total d’un véhicule essence équivalent. Par ailleurs, la différence en termes de pollution globale (impact sur l’effet de serre) est réelle, mais pas aussi importante que la plupart peuvent imaginer (un diesel est moins coûteux en termes de GES à hauteur de 20% par rapport à un véhicule équivalent en essence).
Je ne suis pas allé chercher le chiffre qui arrangeait mon raisonnement, ce rapport que je vous conseille est bourré d’évidence empirique qui va dans le même sens (voir http://ec.europa.eu/transport/sustainable/2008_external_costs_en.htm). Afin d’enfoncer le clou, je reprends un des graphiques du rapport ci-dessous, où on a l’ensemble des coûts externes (pollution, bruit, congestion, etc.)

 

Par conséquent, d’un point de vue économique, et si on cherchait à faire de ce dispositif de bonus-malus une forme d’écotaxe qui soit cohérent et efficace, les bonus des véhicules diesel devraient être (environ) deux fois plus faibles que ceux des véhicules ou leur malus deux fois plus fort (tout dépend de l’objectif que l’on cherche en termes écologiques, plus il est ambitieux et plus les véhicules seront plus nombreux à subir des malus par exemple).
Je suis un peu estomaqué que personne ne trouve rien à redire à ce dispositif dans la presse, à part à ma connaissance l’équipe de Que Choisir ? du mois de mai 2009, qui bien que n’étant pas formé d’économistes bêtes et méchants qui cherchent des noises, ont bien compris l’inanité de ce dispositif et ses potentiels effets pervers...
Le comble de tout cela, c’est comme l’écrit Rémy Prud’homme dans Libé (2 déc. 2008, http://www.rprudhomme.com/resources/Art+2008+Bonus-malus+$28Les+Echos$29+.pdf ), cette mesure n’a même pas diminué les émissions de CO2. En fait, entre autre (mauvaise) chose, cette mesure a en fait boosté les achats de véhicules, l’augmentation des immatriculations compensant à peu près exactement la baisse des émissions unitaires.
Il est bien évidemment souhaitable que les politiques publiques prennent en compte les coûts environnementaux pour fixer des taxes (et reconnaissons qu’elles le font de plus en plus), mais l’effet peut être pire que le mal si on s’arrête au milieu du gué en privilégiant des objectifs de court terme ou porteurs du point de vue de l’opinion publique.

 

mardi 14 avril 2009

Billet de vacances : économie de Disneyland Paris


Cette semaine, à l’occasion de ces vacances de Pâques, j’ai eu la très grande joie d’emmener mes enfants, leur âge s’y prêtant malheureusement, à Disneyland Paris.
En fait, l’Europe entière semblait avoir pris la même décision (belges, hollandais, anglais et autres), et la cohue aidant, nous nous sommes retrouvés à attendre de longues minutes, pris dans les files d’attente, pour accéder, entre autres, aux fameuses attractions.
Alors que je me morfondais en broyant du noir dans les multiples queues générées par une fréquentation digne des soldes d’été chez Gap, j’ai eu alors l’idée de ce billet consacré à quelques réflexions sur l’économie de ce pays singulier sis en pleine banlieue parisienne.
Disneyland est le lieu d’un paradoxe économique assez unique. Le parc est en effet régi par deux systèmes économiques complètement opposés en termes d’allocation des ressources. Le premier est un système de marché régi par des mécanismes de prix (de monopole, j’y reviendrai…).Le second système est régi par un mécanisme de file d’attente. Ces deux systèmes fonctionnent bien évidemment de concert, en parfaite coordination l’un avec l’autre.
Le système de régulation par la file d’attente est celui qui régit l’accès aux attractions.
En effet, on attend beaucoup à Disneyland, le rendement économique est catastrophiquement bas : 2 à 5 mn de plaisir pour 30 à 60 mn d’attente lors de l’accès aux attractions les plus courues. Le système de file d’attente est la conséquence de la tarification du parc, un forfait permettant d’accéder à la zone limitée du parc, les attractions étant, pour l’essentiel, accessibles gratuitement.
La queue est d’ailleurs organisée de manière magnifique et copiée depuis dans de nombreux endroits : la longueur de la queue est adaptée par le personnel en fonction du trafic, de sorte que le client ait toujours l’impression d’avancer (et on avance effectivement toujours, ce qui est proprement épuisant), la vitesse de progression étant approximativement constante. Bien évidemment, un autre système de régulation aurait consisté à mettre en place un prix d’accès aux attractions, fonction de la demande d’accès (mécanisme de tarification visant à réguler la demande, inventé par Jules Dupuit en 1852).
Un mécanisme d’équilibre offre (capacité) -demande d’accès donnerait par exemple un prix élevé pour une attraction reine de Disneyland Paris comme « Pirates des Caraïbes » ou «  le train de la mine », et un prix faible pour une attraction délaissée, comme « 20000 lieues sous les mers »… Mais ce n’est pas ce système économique qui a été choisi, et on se rapproche en cela de l’économie socialiste avant la chute du mur de Berlin. La différence avec l’économie de la défunte URSS est que l’on est content d’attendre, et que la plupart des gens (à ma notable exception) sourient bêtement de perdre tout ce temps. De plus, la file d’attente n’est pas dispersée quand le bien n’est plus disponible, car ici, l’attraction (sauf panne) est toujours disponible, et seul le temps d’attente s’ajuste.
Par ailleurs, à côté, de cette régulation par la file d’attente, Disneyland est clairement le temple de l’économie de marché : tout est y est « inventorié, fiché, estampillé, enregistré, classé puis déclassé ou numéroté »1… et finalement vendu voire soldé.
Si les choses sont utiles, c’est parce qu’elles sont rares, disait Léon Walras. Cet axiome s’applique à 300% à Disneyland Paris... Le moindre biscuit, la moindre bouteille d’eau ou de soda que vous ne regarderiez même pas dans votre monoprix habituel y devient désirable tellement il est rare. Les prix sont en conséquence de cette rareté. Le paradoxe ultime est que vous êtes content de dépenser une fortune pour de tels biens car le risque de ne plus les trouver par la suite n’est pas si minime (voir les bouteilles d’eau fraiche durant les chaudes journées d’été. Disneyland devient alors Darwinland, le belge étant prêt à éventrer le néerlandais pour être devant lui dans la file d’attente…).
Le comble de tout cela, c’est que cette rareté est en fait en grande partie psychologique, et liée au fait que vous avez l’impression d’être dans un pays lointain où la disponibilité n’est plus identique à celle que vous connaissez habituellement, comme si vous étiez dans une lointaine province de Moldavie du Sud (j’espère qu’il n’y a pas de moldaves dans mes lecteurs, mon intention n’est en tout cas pas de les blesser). Alors qu’en fait, vous êtes au plus à 5 mn du périph’ parisien et des zones commerciales les plus débordantes de richesse qui existent au monde, biens et services y étant disponibles à des prix « normaux ».
Last but not least, c’est sûrement là encore un des seuls endroits du monde où les gens viennent pour se faire « capturer » par un monopole. Celui-ci exerce ensuite de manière implacable son droit d’extraction de rente : inutile d’aller d’un vendeur à un autre au sein du parc pour comparer les prix et faire jouer la concurrence (tiens, quelqu’un a-t-il déjà essayé de négocier un prix là bas ?), la bouteille d’eau est au même prix partout, le prix du magnum de champagne ailleurs (en dehors de Disneyland bien sûr, le prix du magnum de Champagne à Disneyland représentant approximativement la valeur de ma maison)…
Enfin, comme je suis un peu spécialiste d’économie des transports, un dernier paradoxe. Disneyland est l’endroit de la terre où la vitesse de déplacement est la plus faible : en moyenne environ 6 à 7 kms par jour, sur 10 bonnes heures de marche permanente, soit une vitesse à peine supérieure à un demi-kilomètre heure, approximativement la vitesse de reptation d’un escargot de ma région natale, la Bourgogne.
Pourquoi une si mauvaise performance ? Encore une fois, elle s’explique par les files d’attente multiples (pour manger, pour s’amuser, pour aller aux toilettes, je suis d’ailleurs surpris qu’il n’y ait pas de file d’attente pour pouvoir attendre), où l’on avance avec une lenteur désespérante par à coups, en fonction du débit de l’attraction. L’équilibre d’une attraction est d’ailleurs la parfaite illustration de la courbe débit-vitesse utilisée en ingénierie du trafic pour décrire l’externalité négative induite par l’augmentation du trafic routier sur la vitesse moyenne de déplacement pour un usager :

Au fur et à mesure que le nombre de personnes qui accède à l’attraction augmente, le débit étant constant (la capacité de l’attraction étant donnée en nombre de clients par heure, elle représente donc un goulot d’étranglement), leur vitesse moyenne baisse et peut même devenir nulle (situation dite d’hypercongestion).
Dès lors, on piétine beaucoup dans les attractions les plus courues (c’est vraiment une expression car on ne coure jamais dans la file d’attente de ces attractions !), et les pieds  des visiteurs ont  facilement pris à la fin de la journée deux à trois pointures de plus.
Je suis ultimement étonné qu’ils n’aient pas pensé à mettre un salon de soin et de massage pédicole (de pedis, pied, et cole, culture) à la sortie du parc, je suis sûr que cela marcherait du tonnerre de Brest…

PS : Il faut bien l’avouer, en dépit des apparences cyniques et faussement poseuses de ce billet, j’adore les parcs d’attraction et en particulier Disneyland Paris.


1.       1. The Prisoner, episode 1, Arrival « «I’ve resigned. Il will not be pushed, filed, stamped, indexed, briefed, debriefed or numbered. My life is my own.»

samedi 4 avril 2009

"Un jour sans fin", l'apprentissage individuel et le renforcement des croyances

Un nouveau billet dans la série « apprendre l’économie en l’illustrant par des films », aujourd’hui sur le thème de l’apprentissage individuel, cher à l’économie comportementale, et que j’ai choisi d’illustrer par l’un de mes films préférés, « Un jour sans fin » (« Groundhog day » in english).

Comme j’envie ceux qui n’ont pas encore eu la chance de voir ce film, d’Harold Ramis – qui a fait d’autres choses très amusantes, comme l’incroyable « Multiplicity » (Mes doubles, ma femme et moi)  ou le plus connu encore « Analyze that » (Mafia blues) - avec le génialissime Bill Murray, et qui se précipiteront pour le voir à l’issue de la lecture de ce billet (ce sera au moins un de ses effets positifs…)

Bill Murray y joue le rôle d’un présentateur météo irrascible et profondément misanthrope, Phil Connors, qui est chargé de réaliser un reportage sur le « jour de la marmotte » - d’où le titre original du film - dans une petite ville perdue au fin fond des Etats-Unis, Punxsutawney (le nom est déjà un gag). L’état de la dite marmotte en en effet supposé donner une indication sur la fin probable de l’hiver, d’où le rapport avec la météo. Bien évidemment, la perspective de réaliser ce reportage le déprime totalement et il fait subir à tout son entourage, et aux habitants de la ville, tout le déplaisir qu’il a à les côtoyer, ne serait-ce que pendant quelques heures. Cette ire s’accroît encore quand toute l’équipe TV est bloquée dans le bled susnommé pour cause de tempête de neige… Bill Murray s’endort alors dans une chambre d’un hôtel familial, profondément déprimé, la seule perspective heureuse pour lui étant de fuir l’endroit le plus vite possible…

Par un artifice de scénario empruntant au fantastique, il s’éveille le lendemain et, de plus en plus interloqué, comprend qu’il revit exactement la même journée que la veille… Le soir, il s’endort et se réveille le lendemain pour revivre encore la même journée que la veille… et ce encore et encore, comme un vieux vinyle bloqué sur le même passage et qui le rejoue à l’infini. Il revivra ce jour un grand nombre de fois, avec des variantes très drôles (il essaie par exemple toutes les formes de suicide possibles), jusqu’à ce qu’il soit délivré de cette malédiction à la faveur d’une modification profonde de son ego et de son comportement vis-à-vis d’autrui. Je passe sur la morale de fin qui est pour le coup très américaine…

L’intérêt de ce film est bien évidemment qu’il représente une magnifique ellipse du concept d’apprentissage individuel. Au fur et à mesure de la progression du film, Bill Murray passe d’une connaissance nulle à une connaissance parfaite des évènements, étant à la fin capable d’établir en totalité « l’arbre de décision », pour reprendre un outil cher aux théoriciens de la décision ou des jeux,  du problème (en fait il connaît tout les états possibles de la Nature et toutes les conséquences des décisions qu’il peut prendre par rapport à n’importe quel état de la Nature). Soit dit en passant, ce film peut aussi constituer une belle illustration aussi du concept de préférence pour le présent, puisque la préférence pour le présent de Phil devient infinie, ou sa dépréciation du futur infinie. Le futur n’existant plus pour lui, ou plutôt le futur n’étant qu’un présent répété indéfiniment, il n’a plus aucun poids, donc il n’a plus aucun problème de procrastination, comme l’illustre ce moment du film où il s’empiffre sans peur des conséquences futures :



Mais revenons à nos moutons, ceux évoqués juste avant que je m''interrompe moi-même de manière fort grossière, à savoir  les phénomènes d'apprentissage individuel en avenir incertain.

En ce qui concerne l'explication des processus d'apprentissage individuel, il existe beaucoup de modèles proposés par les psychologues et les économistes. Une revue est par exemple proposée par Nyarko & Schotter, 2000, et il existe maintenant des modèles relativement sophistiqués, souvent utilisés dans le domaine de l'économie expérimentale.

Je me contenterai pour ma part d’évoquer deux modèles très basiques d’apprentissage, le modèle d’apprentissage par révision des croyances, et le modèle d’apprentissage par renforcement.

Le modèle d’apprentissage par révision des croyances est intuitif : si j’ai une idée a priori sur les probabilités qu’ont les événements possibles, cette idée sera révisée en fonction de l’observation que j’ai au jour le jour de la réalisation des événements. Par exemple, si Phil Connors est à Punxsutawney (c’est la dernière fois que je l’écris !), et qu’initialement il n’a aucune raison de croire qu’il ya plus d’imbéciles qu’ailleurs, il peut penser que la population se répartit « normalement » entre imbéciles et non imbéciles à l’instar des autres villes du pays. Mais s’il observe la présence d’un grand nombre d’imbéciles, il révisera sa croyance en attribuant à la probabilité de tomber sur un imbécile un poids plus important que la normale. Normalement, le temps passant, sa croyance va finir par converger vers la « vraie »probabilité (la véritable proportion d’imbéciles dans la population de l’endroit en question). Ce modèle est donc basé sur l’observation d’événements qui m’amène à réviser les probabilités d’occurrence de ces événements. C’est ce qui arrive à Phil Connors dans le film quand, au fur et à mesure qu’il observe les événements du même jour se répéter, il révise ses croyances pour que celles-ci collent à son observation.

Dans le modèle d’apprentissage par renforcement (proposé notamment par Roth & Erev, 1998), les choses sont légèrement différentes. Mes croyances sont renforcées par la conséquence associée aux événements que j’observe, et pas seulement à leur fréquence. Par exemple, si Phil Connors cherche à savoir quelle est la réaction d’Andy Mc Dowell à un de ses comportements (allez voir le film…), s’il se prend une claque à l’issue de son essai, cela le renforce plus dans l’idée que c’est un mauvais comportement (ses croyances sont fortement révisées) que dans le cas où elle fronce simplement les sourcils (ses croyances sont faiblement révisées).

Ces deux modèles sont successivement suggérés dans le film, le premier modèle étant plutôt présent au début du film, le second dans la deuxième moitié dans laquelle Phil Connors cherche à séduire Andy Mc Dowell dans le délai écourté qui lui est imparti, à savoir 24h - challenge assez difficile en fait -.

Ce n’est sans doute un hasard si Phil passe d’un modèle de révision des croyances à un modèle de renforcement des croyances. En effet, deux psychologues, Siegel et Goldstein, en 1959, ont montré que des sujets expérimentaux utilisaient plutôt le modèle de révision quand les conséquences de leurs décisions restaient hypothétiques et qu’au contraire, ils utilisaient plutôt un modèle de renforcement quand les conséquences étaient réelles. Cela a une conséquence importante, car un individu qui utilise plutôt le modèle de révision est sujet au phénomène dit de « probability matching », ce qui signifie que ses prévisions de deux événements entre lesquels ils doit choisir, ces deux événements n’ayant pas la même probabilité, convergent vers la vraie distribution de probabilité. Quel est le problème ? Si des conséquences sont associées aux événements , il n’est pas optimal de prédire les événements par leurs probabilités révisées du point de vue de la maximisation du gain.

Par exemple, supposons qu’un joueur n’ait pas de connaissances a priori sur la probabilité de réalisation de deux événement, E et K, la probabilité de E étant de 25% et celle de K de 75%. On lui demande de prédire quel événement va être tiré au sort et chaque prévision correcte lui rapport 2$ (0$ en cas de prévision incorrecte). A l’issue de son choix de prévision, on lui dit quel événement est sorti et il gagne ou perd en fonction de ce qu’il a choisi. Le jeu est répété un grand nombre de fois, de sorte qu’il peut réaliser un apprentissage sur les probabilités d’occurrence des deux événements. Le joueur finit par comprendre que la distribution de probabilités est de 75%/25% alors qu’il est sans doute parti d’une croyance 50/50.

Très souvent, les sujets ont tendance à prévoir K dans 75% des cas et E dans 25% des cas (si on les fait jouer 20 périodes, ils vont prédire 14 fois K et 6 fois E).

Or, cette stratégie ne maximise par leur espérance de gain. La meilleure stratégie est de prévoir tout le temps K compte tenu de la probabilité de 75% de réalisation de cet événement (le lecteur aguerri pourra vérifier que l’espérance de la stratégie K est de 1.5$ par période de jeu contre 1.25$ pour la stratégie qui consisterait à dire avec une probabilité de 75% K et de 25% E).

Le graphique ci-dessous donne les résultats d’un jeu en classe fait avec 9 étudiants dans des conditions proches de l’exemple donné. Dans le jeu fait par les étudiants, il y avait 30 périodes pour lesquelles la probabilité de K était de 75% et 30 périodes pour lesquelles la probabilité de K était alors de 25% (75% pour E). La stratégie optimale pour le premier traitement était de toujours prévoir K, alors que la stratégie optimale pour le second traitement était de toujours prévoir E (par un raisonnement symétrique à celui employé ci-dessus).

 

On observe bien le biais constaté par Siegel et Goldstein, à savoir que les prédictions « matchent » la « vraie » distribution de probabilités (d’où le terme de « probability matching » employé par les économistes et les psychologues pour qualifier ce comportement), ce qui ne permet pas au sujet de maximiser son gain espéré (la bonne stratégie est en rouge sur le graphique).

 En clair, un sujet qui calque ses réponses sur les probabilités des événements n’est pas rationnel. Par contre, un sujet qui utilise un modèle de renforcement des croyances est potentiellement beaucoup moins exposé à ce biais, car les conséquences positives d’une bonne prédiction vont le pousser à répondre beaucoup plus fort « K ». A ce titre, les expériences des psychologues ont montré que les rats étaient beaucoup plus rationnels que les humains.

C’est une vision possible de l’évolution de Bill Murray dans un « jour sans fin ». La première stratégie (révision des croyances) n’est pas assortie de succès, loin de là, tandis que la seconde, la stratégie de renforcement, l’est beaucoup plus, comme tu le verras, lecteur, par toi-même…