dimanche 26 avril 2009

Le bonus malus automobile ! "voilà une idée qu’elle est bonne ?"


 
Récemment, je me suis lancé dans la délicate opération qui consiste à acheter une voiture neuve. Opération d’autant plus délicate que je m’étais fixé comme contrainte d’acheter un véhicule essence et non pas diesel, ce pour différentes raisons personnelles….

La seconde contrainte que je m’étais fixée était de ne pas avoir de malus, et la troisième contrainte d’avoir une voiture suffisamment grande pour y faire rentrer ma petite famille et la somme d’objets inutiles que nous trimballons sans arrêt par monts et par vaux (cartable, ordinateur, chaussures, sacs, etc.). Donc la Smart était exclue…

Naïf que je suis : je n’avais pas anticipé que je m’étais lancé dans un programme d’optimisation quasiment insolvable !

En effet, l’écrasante majorité de l’offre de véhicules neufs se fait en France sur la base de motorisations diesel (le taux de dieselisation en France - c’est-à-dire la part du parc des véhicules en circulation ayant des moteurs diesel sur le total - est passé récemment (en 2005) au-dessus des 50% et l’achat de diesel représente approximativement les ¾ des immatriculations de véhicules neufs).

Or, ces fameux moteurs diesel à la sonorité si douce et aux fumées si légères (désolé, lecteur si vous avez un diesel, vous avez compris que je n’en raffole pas !) émettent moins de CO2 (dioxyde de carbone), l’un des gaz à effet de serre (GES) recensés dans le protocole de Kyoto et qui représente approximativement 80% du total des GES. Par conséquent, l’écrasante majorité des véhicules diesel dits citadins ou compacts n’ont pas de malus automobile, alors que, au contraire, en dehors des moteurs de cylindrée modeste, les véhicules essences sont au mieux « neutres » ou écopent d’un malus.

Récemment, notre cher Ministre, Jean-Louis Borloo, a proposé d’étendre le système de bonus malus à d’autres produits dits de consommation de masse. Je ne résiste pas au plaisir de le citer notre ministre de l’écologique qui claironne : (extrait de l’article « M. Borloo veut généraliser le bonus-malus écologique », par C. Jakubyszyn, Le Monde du 20/08/2009)

"On a abaissé de 8 grammes de CO2 la consommation automobile des nouveaux véhicules achetés, soit une réduction de 9 % de la consommation de carbone, mieux que l'objectif européen sur 2012-2020 !", calcule Jean-Louis Borloo. "Nous sommes en train d'inventer un nouveau modèle économique où le prix du marché ne rémunère plus seulement le capital ou le travail, mais aussi le capital nature", s'enthousiasme le ministre de l'écologie ».

C’est là que je tique. En parlant de « rémunérer le capital Nature », notre cher Ministre veut sans doute dire que les consommateurs doivent se faire imputer la totalité des coûts environnementaux qui leur incombent. Il invente donc, en fait (croit-il) la notion de coût marginal social, qui existe depuis presque un siècle en économie (en fait inventée par A. C Pigou dans les années 30 dans Economics of Welfare, et revisitée par R. Coase dans les années 50-60). Cette notion dit simplement que dans une économie soucieuse d’une allocation efficace de ses ressources naturelles, l’utilité marginale de la consommation doit être égale au coût marginal social de cette consommation.

Le coût marginal social est la somme du coût marginal privé de consommation et du coût marginal externe. Ce coût marginal externe représente en fait de la valeur des atteintes supplémentaires à l’environnement issues de l’acte de consommation et qui ne sont pas acquittées par le consommateur mais qui sont subies par la société dans son ensemble, c’est-à-dire le coût des pollutions.

C’est là où le bât blesse et où le dispositif de bonus-malus ne peut être efficace d’un point de vue économique, voire même peut induire une baisse d’efficacité pour la société.

Ces bonus malus sont exclusivement basés sur les émissions de C02 des véhicules. Or, non seulement les véhicules émettent d’autres GES mais surtout, ils émettent des polluants locaux, les GES étant des polluants globaux (ceux qui contribuent à l’effet de serre). Or, ces polluants locaux sont nocifs du point de vue de la santé publique et ont également des conséquences négatives autres (phénomène des pluies acides, etc.).

Or, si les véhicules diesel sont relativement meilleurs que les véhicules essences sur les émissions de CO2 en grammes par km (encore que la différence soit assez faible en fait, surtout si on relativise cela par le fait que les véhicules diesel roulent plus en moyenne que les véhicules essence), ils sont bien moins bons que les véhicules essence par exemple en termes d’émissions de microparticules. Même ceux qui sont équipés des fameux filtres à particules émettent beaucoup plus de ces microparticules que les véhicules essence de génération comparable.

Par exemple, concernant ces particules, l’AFSSE  a estimé en 2002 qu’une exposition prolongée à ces particules émises par les transports routiers, qui viennent essentiellement des moteurs diesel, était responsable d’environ 6000 morts chaque année en France.

Donc mieux vaut atteindre l’objectif de Kyoto, quitte à réduire l’espérance de vie des populations !

Bon, admettons que nous passions sur l’argument de santé publique et adoptons une approche plus « froide » et plus économiste. Un rapport récent de la Commission Européenne a chiffré les coûts externes totaux du point de vue environnemental des transports et les a donc finalement mesurés en centimes d’euros par km. Les résultats, donnés ci-dessous (cas de l’Allemagne) sont assez édifiants.
 
 

Le coût externe total (c’est-à-dire la valeur économique de l’atteinte à l’environnement, effet de serre, pollution locale du point de vue de l’atteinte à l’état de santé et autres impacts nocifs) d’un véhicule diesel « moyen » représente presque 2,5 fois le coût externe total d’un véhicule essence équivalent. Par ailleurs, la différence en termes de pollution globale (impact sur l’effet de serre) est réelle, mais pas aussi importante que la plupart peuvent imaginer (un diesel est moins coûteux en termes de GES à hauteur de 20% par rapport à un véhicule équivalent en essence).
Je ne suis pas allé chercher le chiffre qui arrangeait mon raisonnement, ce rapport que je vous conseille est bourré d’évidence empirique qui va dans le même sens (voir http://ec.europa.eu/transport/sustainable/2008_external_costs_en.htm). Afin d’enfoncer le clou, je reprends un des graphiques du rapport ci-dessous, où on a l’ensemble des coûts externes (pollution, bruit, congestion, etc.)

 

Par conséquent, d’un point de vue économique, et si on cherchait à faire de ce dispositif de bonus-malus une forme d’écotaxe qui soit cohérent et efficace, les bonus des véhicules diesel devraient être (environ) deux fois plus faibles que ceux des véhicules ou leur malus deux fois plus fort (tout dépend de l’objectif que l’on cherche en termes écologiques, plus il est ambitieux et plus les véhicules seront plus nombreux à subir des malus par exemple).
Je suis un peu estomaqué que personne ne trouve rien à redire à ce dispositif dans la presse, à part à ma connaissance l’équipe de Que Choisir ? du mois de mai 2009, qui bien que n’étant pas formé d’économistes bêtes et méchants qui cherchent des noises, ont bien compris l’inanité de ce dispositif et ses potentiels effets pervers...
Le comble de tout cela, c’est comme l’écrit Rémy Prud’homme dans Libé (2 déc. 2008, http://www.rprudhomme.com/resources/Art+2008+Bonus-malus+$28Les+Echos$29+.pdf ), cette mesure n’a même pas diminué les émissions de CO2. En fait, entre autre (mauvaise) chose, cette mesure a en fait boosté les achats de véhicules, l’augmentation des immatriculations compensant à peu près exactement la baisse des émissions unitaires.
Il est bien évidemment souhaitable que les politiques publiques prennent en compte les coûts environnementaux pour fixer des taxes (et reconnaissons qu’elles le font de plus en plus), mais l’effet peut être pire que le mal si on s’arrête au milieu du gué en privilégiant des objectifs de court terme ou porteurs du point de vue de l’opinion publique.

 

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