samedi 5 septembre 2009

Au secours ! La taxe carbone existe déjà...



Je ne voulais par parler de la taxe carbone cette semaine, car tout le monde en parle (j’ai – je vous l’accorde – un peu l’esprit de contradiction, et j’aime bien parler de choses dont on ne parle pas car je me méfie du consensus), mais impossible de ne pas en parler tant j’entends d’âneries dans les médias divers et variés.

Et surtout tant le débat, dans le feu de l'actualité,  en créant fumerolles et brouillard digne d'un des meilleurs films de John Carpenter, escamote la masse d'analyses déjà effectuées depuis quelques années.

[ D'où  l'image qui illustre ce blog,. Je sais c'est acrobatique mais j'adore vraiment ce film et l'idée du côté fantômatique de Fog pour illustrer ce spectre de la taxe carbone me plaisait bien ]

Le débat tourne autour des multiples dimensions de cette taxe : son niveau, notamment par rapport à d’autres pays où elle existe déjà, la manière dont elle peut être collectée, et l’impact qu’elle peut avoir sur l’économie (voir un précédent billet que j’avais écrit sur cette question). Jusqu’à ce que, début septembre, alors que globalement un consensus semblait se faire sur le principe même de cette taxe, certain(e)s remettent maintenant celui-ci en cause.

Un des points du débat porte sur la valeur de cette taxe. Le Gouvernement a pour cela formé une commission, animée par l'ancien premier ministre Michel Rocard, pour l'éclairer sur ce point. La recommandation principale est de fixer cette taxe à 32 euros la tonne de CO2.

En fait cette valeur du carbone a été discutée et tranchée il y a déjà un moment… Elle a été fixée en 2001 par le défunt commissariat général du Plan à 27 € la tonne en euros constants de 2000 - si tu ne me crois pas, lecteur, tu peux aller vérifier ici -… Si on accepte que cette valeur économique du carbone représente le support pour fixer une taxe, ceci donne a peu près exactement les 32 euros la tonne de CO2 recommandés par la commission Rocard, si on actualise de l'inflation, environ 2% par an, pour  de 2000 à 2008 (je me demande vraiment ce qu’ils ont pu bien faire pour arriver 8 ans après à la même valeur que celle préconisée par la commission menée par Marcel Boiteux en 2001, il y a vraiment des commissions dont on peut douter de l’utilité…).

[Si je continue avec ce genre de réflexions, je suis bon pour émarger dans quelques années  comme chroniqueur dans "combien q'ça nous coûte-ty c't'affaire?" aux côtés de Jean-Pierre Ricard sur une chaine qui fait un max d'audience avec un programme économique d'une qualité que nous envie le monde entier]

D’ailleurs, le Centre d’Analyse Stratégique a sorti un rapport sur cette question très dernièrement en réaffirmant cette position, avec un brin d’actualisation (voir ici), et l’évolution mentionnée par la commission Rocard qui estime que la valeur de la tonne de CO2 pourrait évoluer jusqu’à 100 euros la tonne en 2030 est connue depuis longtemps.

Au-delà de mes ricanements sarcastiques sur toute cette agitation intellectuelle sur un sujet rebattu depuis des lustres, il y a bien sûr un réel problème de mise en application, notamment un aspect redistributif classique : ceux qui vont payer le feront en fonction de l’usage probablement, et ce ne sont pas forcément les plus riches (voir ici le billet d’Olivier Bouba-Olga).

Mais il faut aussi comprendre que la valeur de la tonne de carbone est en fait fixée sur la base d’un principe d’efficacité économique, et pas du tout d’équité. Cela ne signifie pas que le premier principe prime sur le second, qu’il est plus important. Simplement, selon une position classique – mais qui a tendance à changer depuis quelques années -, les économistes s’occupent avant tout des problèmes d’allocation efficace des ressources, aux politiques de se soucier d’une allocation équitable des ressources (cette position a été définie par Vilfredo Pareto au début du 20ème siècle).

Bon, je ne parlerai pas ici d’équité, me réfugiant, avec un brin d'hypocrisie intellectuelle, derrière cette position (heureusement que Piketty, Bourguignon et d’autres n’ont pas suivi ce dogme), et parlerai donc d’efficacité, plus pour tenter d’éclairer le débat que pour prendre position. D’ailleurs, je pense vraiment qu’il est en fait impossible d’être contre le principe de la taxe carbone, tout le problème étant en fait d’en fixer le niveau et les modalités de recouvrement. Si je voulais être un peu polémique, je pourrai suggérer que je préférerai la mise en place en place de quotas d'émissions au niveau des agents plutôt que l'instauration d'une taxe (après tout, Charlie Plott a montré il y a longtemps , à l'aide d'expérimentations de laboratoire, que, bien que la théorie économique considère les deux comme équivalents du point de vue de l'efficacité, les marchés de droits à polluer sont plus efficaces que la taxe).

En fait, le propos de ce billet est de montrer, avec un brin de provocation gratuite qui me caractérise, que cette taxe carbone existe déjà et peu ou prou est déjà égale aux 32 euros la tonne préconisés la commission Rocard !

Ach so, damned comme on dit dans la rubrique-à-brac ! Vous n’étiez pas au courant ? Vous doutez de ma santé mentale à présent ?

Et bien, elle ne s’appelle pas « taxe carbone » ou «  contribution climat énergie », mais « valeur tutélaire du carbone ». La valeur tutélaire du carbone est la valeur économique de la tonne de CO2 prise en compte dans les évaluations socioéconomiques des investissements publics.

Quelle est la logique économique de sa fixation ? C’est un peu complexe de rentrer dans les détails, et lecteur curieux, tu iras lire les rapports mentionnés, mais le principe est un principe microéconomique de base : la valeur tutélaire du carbone correspond grosso modo au prix optimal de la tonne de CO2. Comment est fixé ce prix optimal ? Un prix optimal correspond à un prix qui va minimiser le coût marginal total de la pollution. Ce coût total est la somme en fait de deux coûts impliqués par les tonnes de CO2 émises : d'une part le coût des dommages (le coût des atteintes à l'environnement pour la société, par exemple des dégâts économiques provoqués par les catastrophes naturelles issues de l'accélération du cycle du climat impliqué par l'accroissement de l'effet de serre), d'autre part, le coût d'évitement de la pollution (ce que cela coûte à la société de diminuer la quantité de pollution, par exemple quant un ménage s'équipe d'une coûteuse chaudière à basse consommation ou d'équipements géothermiques qui diminuent les émissions de CO2). Or, ces coûts marginaux évoluent en sens inverse. Le coût marginal des dommages s'accroit exponentiellement quand le niveau d'émission augmente, à l'inverse du coût marginal d'évitement qui croît exponentiellement quand le niveau d'émission diminue.. Le graphique ci-dessous, que l'on peut trouver dans n'importe quelle pharmacie faculté d'économie, représente cela :




Le prix optimal de la tonne de CO2 correspond au P* du graphique, point où le coût économique de la nuisance est minimum et où on est au niveau optimal de nuisance - qui ne peut donc pas être zéro comme nous le disent certains écolos, le coût d'évitement tendant virtuellement vers l'infini, ou le niveau maximum, le coût des dommages tendant à son tour vers l'infini-.
Ce raisonnement est souvent utilisé comme base pour fixer la valeur tutélaire d'une nuisance. Les différents rapports déjà mentionnés, moyennant divers arbitrages théoriques et empiriques - il s'agit d'arriver à estimer correctement coût d'évitement et des nuisances, ce sur le long terme, d'où de redoutables problèmes d'appréhension de l'incertitude sur l'évolution de ces coûts -. Je simplifie donc pour que le lecteur non initié comprenne l'intuition qui préside aux modalités de fixation de cette valeur tutélaire de la tonne de CO2, fixée donc à 32 euros à l'horizon 2010.
Par exemple, lors de la réalisation d’un bilan coûts-avantages pour un projet d’infrastructure de TGV, cette valeur de 32 euros la tonne de CO2 doit être utilisée. Supposons par exemple que le projet en question permette à la collectivité d’éviter 100 000 tonnes de CO2 chaque année. En effet, compte tenu des prévisions de trafic que je peux faire sur les années à venir à compter de l’ouverture à l’exploitation du TGV, un phénomène de report d’une partie des voyageurs qui utilisaient auparavant leur voiture ou l’avion pour aller du point A au point B sur la dite ligne de TGV peut se produire (s’il n’y a pas de report du tout, il y a très peu de chances que le projet soit rentable économiquement d’ailleurs). Concrètement, cela implique que dans le bilan ex ante de la ligne, je vais créditer le projet d’un avantage de 100 000 que multiplie 32€ soit 3,2 millions d’euros. Cela va dont renforcer la rentabilité de ce projet ferroviaire par rapport à un projet, au hasard, routier. Il est en effet à peu près sûr que j’évite plus de pollution globale avec un projet ferroviaire qu’avec un projet autoroutier.
Bon, vous me direz que tout cela ne concerne que des projets dont on n’est même pas sûr qu’ils seront réalisés. Toutefois, l’arbitrage de l’Etat doit se faire sur cette base là ! Ainsi, si le projet de TGV est plus rentable (en prenant en compte tous les impacts qu’ils portent sur la pollution, la sécurité ou sur le chiffre d’affaires des exploitants routiers et de la SNCF) que le projet autoroutier, la contrainte budgétaire du Gouvernement étant plutôt importante, le projet autoroutier sera écarté et le projet de TGV mis en œuvre.
Cette règle d’évaluation des coûts et avantages, qui intègre donc une valeur tutélaire du carbone peu ou prou égale à la valeur de la taxe dont nous discutons tous actuellement, est appliquée pour l’essentiel dans le cas de tous les grands projets d’infrastructures (ou devrait l’être), ce au moins depuis 2001. (en fait officialisée en 2004, voir ici). Donc des projets déjà réalisés ou en cours de réalisation ont été décidés sur la base d’évaluations fondées sur cette valeur tutélaire du carbone. Comme ces projets sont largement financés par vos impôts (et les miens), qu’ils soient locaux ou nationaux, nous payons en fait tous indirectement déjà cette « taxe » carbone. Il ne s’agit pas certes d’une taxe sur l’usage des biens et des services que nous consommons mais d’une « taxe » intégrée en amont dans la fiscalité directe, alors que nous parlons de l’intégrer maintenant et en plus dans la fiscalité indirecte.
Cela pose d’ailleurs un problème, puisque en fait, d’une manière ou d’une autre, nous paierons deux fois cette taxe carbone, à la source par nos impôts qui financent des projets économes en carbone, et à l’usage par des taxes qui pénalisent les émissions que nous impliquons pour la société…
Bon on peut vendre cela en insistant sur l’aspect incitatif concernant les comportements des ménages en matière de consommation d’énergie et de responsabilité environnementale, mais cela devient un peu acrobatique, et surtout c'est un autre sujet…

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