dimanche 27 juin 2010

Le Nouveau Parti Anticapitaliste ? Plus utilitariste, tu meurs !



Il m’arrive de regarder Canal Plus à mes moments perdus, plus par nostalgie pour la période bénie des années 80 où il y avait des choses intéressantes sur cette chaine. Du reste, nous n’étions pas si nombreux à la regarder à ce moment là, et dans ces années 80 où je croyais encore que je deviendrai plus tard le capitaine Tanguy et ne pensait pas à l’économie autrement qu’en baillant aux chroniques assommantes de jean-marc Sylvestre, regarder cette chaine était la marque des personnes « branchées »…

[Que je ne t’entende pas penser, lecteur, que le modeste auteur de ce blog tient plus de Laverdure que de Tanguy. De toute façon, j’ai toujours préfére Buck Danny à Tanguy et Laverdure. Mais bon, difficile à l’époque pour un petit bourguignon de s’identifier à un pilote de chez l’oncle Sam, alors que l’escadrille des cigognes est sise à Dijon.]

.. Digression mise à part donc, lors du Grand Journal de Canal Plus qu’il m’arrive de suivre, je découvre le facteur Cheval de la politique française (on verra que cette métaphore osée n’est pas totalement gratuite), Olivier Besancenot, à qui l’on demande de donner son opinion sur les récentes affaires de rémunération de diverses personnalités politiques pour remplir des missions dont l’intérêt n’est pas évident a priori.

[Ne comptes pas me faire dire, lecteur, qu’il s’agit de la mission grassement payée de Christine Boutin sur les enjeux de la mondialisation]
Là, ce brave Olivier jette tout de go à la face de la caméra une des propositions phares du NPA : la rémunération des élus doit être fixée en fonction du revenu moyen de la population française., soit actuellement 1800 euros.

[je l’ai entendu en live dire cela, mais n’ai pas réussi à retrouver cette proposition sur le site du NPA, particulièrement touffus il faut dire. Mais je l’ai retrouvé . Si, lecteur, tu trouves une source plus directe et plus explicite je suis preneur ! Cela me permettra au moins d'illustrer mes cours sur la théorie des choix sociaux...]

J’ai trouvé cette proposition assez amusante personnellement, si on adopte encore une fois les lunettes de l’économiste, et pour tout dire au final assez incohérente avec le projet politique final qui me semble être celui du NPA, à l’égard duquel je n’ai aucune sorte d’animosité je le précise. Toutefois, comme le disait Audiard, « faut pas prendre les enfants du bon dieu pour des canards sauvages ».
En effet, à quoi peut correspondre cette proposition d’un point de vue économique ? Au-delà de l’idée de base que les élus sont comme tout le monde et doivent être payés comme tout le monde, faire une telle proposition implique certainement, entre autres choses, que l’on pense que les élus ont en quelque sorte une obligation de résultat. En effet, s’ils n’améliorent pas la situation matérielle de la population, leur propre situation ne s’améliorera pas. Vous allez me dire que j’interprète la proposition du NPA d’une manière qui n’a pas lieu d’être, et peut être est-ce le cas, mais j’estime devoir être pragmatique et pousser l’esprit d’une telle mesure dans ces conséquences ultimes pour en évaluer les conséquences.

Baser l’évolution du niveau des élus sur le bien être moyen de la population est une vision assez spécifique de ce que les économistes appellent la fonction de bien être social. En fait, sans rentrer encore dans les grands débats théoriques ou éthiques, se fonder sur le revenu moyen est assez curieux du point de vue d’un parti dont l’un des principes est je pense l’égalité des situations ou l’égalité des chances à tout le moins, Toute personne qui a des bases minimales de statistique peut comprendre cela sans aucun problème. En effet, si je suppose que j’ai deux individus et que l’un a un revenu de 0€ et l’autre de 4000€, alors le revenu moyen est de 2000 euros, en supposant que les deux individus ont le même poids dans le bien être social du point de vue de l’élu. Il gagne alors personnellement 2000 euros. Si par une mesure fiscale quelconque (genre « niche »), il fait passer le revenu du plus riche à 5000 euros mensuels, alors son propre salaire augmente de 500 euros, puisque le revenu moyen est de 2500 euros. En gros, il n’a aucune incitation particulière à augmenter le revenu des individus les plus pauvres de la société.

Keynes disait dans la théorie générale que "Les hommes d'action qui se croient parfaitement affranchis des influences doctrinales sont d'ordinaire les esclaves de quelque économiste passé", et la position actuelle du NPA en est une brillante démonstration. Le schéma de rémunération des élus qu’il propose revient de facto à doter les élus, le décideur public plus généralement, d’une fonction de bien être social qui a une forme très spécifique. Ce concept de fonction de bien être social, proposée il y a plus de 70 ans par Bergson en 1938 et explicitée par Samuelson en 1947,  doit obéir à certains principes de base, en fait assez intuitifs.La fonction de bien être social dit de quelle façon un décideur public soucieux de l'intérêt général prend en considération la position personnelle de tous les individus présents dans la société, c'est-à-dire la manière dont il s'appuie sur  les utilités individuelles pour définir le niveau de bien être social. (voir cet article de wikipedia assez bien fait) De nombreuses conceptions différentes de cette fonction sont possibles (voir ce très bon billet ), et ce billet ne fait qu'effleurer un débat théorique qui reste encore nourri actuellement.

En particulier, cette fonction de bien être social est dite utilitariste ou utilitarienne ou encore benthamienne (du nom de Jeremy Bentham, philosophe anglais de la seconde moitié du 18ème siècle qui fonde la doctrine utilitarienne selon laquelle un individu « Agis toujours de manière à ce qu'il en résulte la plus grande quantité de bonheur ») si elle prend la forme spécifique proposée par le même Bentham, à savoir :

The interest of the community then is – what? The sum of the interests of the several members who compose it.” (Cité par Mueller (2003), Public Choice.

En clair, le bien être social est la somme des bien –être des individus qui composent la société. Bien évidemment, à population constante, somme et moyenne représentent certes des concepts différents mais aboutissent aux mêmes résultats. La moyenne des revenus étant la somme des revenus divisée par une valeur n que l’on va supposer constante, et qui représente la taille de la population, dire que l’on augmente de 1000 euros le revenu du plus riche dans mon exemple ci-dessus signifie que l’on augmente la somme des revenus de 1000 euros et que cela est bon pour la société. Du point de vue de l’équité, cette manière de voir les choses est assez spéciale, puisqu’elle implique qu’un état de la distribution des richesses dans lequel Robinson possède tout et Vendredi ne possède rien est équivalent pour le décideur public à un état de la distribution des richesses dans lequel celles-ci sont distribuées en parts égales à Vendredi et Robinson. Dans le graphique ci-dessous, on a représenté une courbe d'indifférence (c'est-à-dire un niveau d'utilité sociale constant pour toutes les niveaux possibles de l'utilité des deux individus qui composent la société) pour le décideur public dans le cadre de cette conception du bien être social :




C’est assez surprenant comme manière de voir les choses de la part du NPA. J’aurai plutôt attendu naïvement, que, quitte à être révolutionnaires, ils proposent que les élus soient rémunérés sur la base du revenu minimal des individus qui composent la société française, une fonction proposée par le philosophe John Rawls en 1974 dans Theory of Justice :


Dans cette conception du bien être social, le niveau de bien être est défini par le minimum des utilités de tous les individus qui composent la société, ce que Rawls justifie par le fameux "voile d'ignorance", et pas par une quelconque vision extrêmement charitable de la distribution des revenus. Ou encore, conscients de la difficulté d'un tel programme, les militants du NPA pourraient proposer une vision du bien être social à la Bernoulli-Nash, l'utilité sociale étant e produit des utilités individuelles :

L'intérêt éventuel d'une telle conception est que, si Vendredi n'a rien (son utilité est nulle), alors le bien être social est nul, même si Robinson est infiniment riche. Par ailleurs, plus les utilités des individus sont proches, plus le produit est élevé.

J'avoue que je pouffe à l'idée qu'Olivier Besancenot, probablement sans le savoir, invoque Jeremy Bentham comme compagnon d'une hypothétique grande marche vers une société dans laquelle le capitalisme ne serait plus qu'un lointain souvenir. De mon point de vue, c'est un peu comme si Schwarzenegger justifiait ses choix de carrière cinématographique en évoquant l'oeuvre de Eric Rohmer...

6 commentaires:

  1. Je préfère et de loin la théorie de Jacques Généreux, économiste renommé également. A voir et à revoir : L'esprit de Munich a envahi les têtes qui nous gouvernent.

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  2. Il est inexact de dire que le politique n'est pas incité à favoriser les pauvres dans le schéma benthamo-besancenesque. Si par une mesure appropriée (allocation), il fait passer le revenu de l'individu A de 0 à 1000 €, tout en bloquant le revenu de B à 4000 €, le revenu moyen passe aussi à 2500 €, et il y gagne.
    PG

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  3. @anonyme1
    on aurait bien aimé connaitre la théorie de Jacques Généreux que vous évoquez, donc n'hésitez pas... Par ailleurs, je ne propose personnellement aucune théorie, je tire simplement les conséquences de la position du NPA
    @PG
    That's right. C'est vrai que stricto sensu, j'aurai du écrire : "il n'a pas plus d'incitation à augmenter le revenu des pauvres que à augmenter le revenu des riches, car dans la fonction benthamo-besancenesque, l'utilité marginale de l'euro pour le pauvre est égale à l'utilité marginale de l'euro pour le riche".

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  4. Il y a deux trois trucs qui me chiffonnent, quand même.

    Compte tenu de la proportion relative de riches et de pauvres dans nos sociétés — y compris des sociétés relativement égalitaires — le fait d'augmenter le revenu des riches ou des pauvres a des conséquences différentes en termes de bien-être social. Il y a plus de Vendredis que de Robinsons. Par conséquent, il faut, pour obtenir une équivalence, augmenter considérablement le revenus des personnes aisées.

    Par ailleurs, comme vous le soulignez, l'utilité marginale de l'euro supplémentaire est d'autant plus élevée que l'on a de faibles revenus.

    Et enfin, quand aux moyens à mettre en œuvre : il n'est rien tant de plus aisé pour augmenter les revenus des individus que leur éviter une imposition ou de distribuer des subventions. la proposition d'Olivier Besancenot a donc pour conséquence de pousser à l'endettement — la fiscalité redistributive diminuant le bien-être social. Sauf, bien sûr, à ce que les élus dussent souffrir les conséquences de leur impéritie ; ce qui suppose qu'ils restent suffisamment longtemps au pouvoir. Au diable les élections.

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  5. @Jules,
    d'accord à 100% sur les conclusions que vous tirez, et - si j'ai bien compris - je pense que les choses qui vous chiffonnent sont liées à la proposition de Besancenot, pas aux conséquences économiques que j'en tire... Mais dans la fonction benthamienne, l'utilité d'un euro donné à un riche compense la désutilité d'un euro pris à un pauvre (et bien sûr vice versa). Donc comme l'utilité marginale est la même pour tous les individus, cela signifie stricto sensu qu'il n'y a ni pauvre ni riche, ou, plus exactement que la distribution des revenus est optimale dans la société.

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  6. Il est aisé d'augmenter la richesse des riches : il suffit que le prix en euros des oeuvres d'art /de l'immobilier en centre ville /de l'or / des chevaux de course... augmente.

    Comme ces biens circulent dans un circuit économique fermé ou presque, et que la vente des uns permet de financer l'achat des autres, le niveau absolu de leur prix, et, par conséquent, la fortune des plus aisés, dépend presque uniquement de leur caprice.

    Exemple : En 2010, A vend un tableau à B au prix de 1 M€. B vend un cheval de course à A au prix de 1 M€. En 2011, B et A échangent à nouveau leurs biens, au prix de 10 M€. Rien n'a changé, mais ils se sentent 10 fois plus riches.

    C'est, à peine caricaturé, ce qui se passe depuis une vingtaine d'années.

    Il devient de plus en plus coûteux de passer du statut de classe moyenne à celui de riche car le prix des biens statutaires a fortement augmenté.

    Ce qui, corrolairement, donne une impression trompeuse d'inégalité en progression, et de croissance du PIB plus important qu'elle n'est en réalité. En fait, en 20 ans, rien n'a changé, à part la diffusion du net et des mobiles. Et, bien sûr, une plus grande rigidité du corps social.

    C'est de la fausse croissance, de la fausse inégalité, et pour Besancenot, une cible bien facile.

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