samedi 2 octobre 2010

Discipline budgétaire des Etats, réforme du Pacte de Stabilité et efficacité des sanctions



Lundi dernier, les ministres des finances de l’Union Européenne à 27 ont discuté des réformes nécessaires au Pacte de Stabilité. Un des points d’achoppement lors de cette réunion a apparemment été la manière dont les sanctions financières devaient être déterminées pour les Etats membres qui laisseraient filer leur déficit public et leur dette publique en raison de politiques économiques trop laxistes. Je cite un article récent du Point publié ici pour que tout soit clair :

« Consacrée à la question de l'automaticité des sanctions et du critère de réduction de dette, cette réunion devait permettre de rapprocher les positions de l'Allemagne, qui défend une ligne dure, de celle de la majorité des Etats, dont la France, désireux de se préserver des marges de manoeuvre.
Certains s'interrogent sur le caractère trop automatique des sanctions et les critères qui doivent être retenus pour juger de l'évolution de la dette. D'autres sont réticents au principe même de sanctions financières prélevées sur les fonds européens
»

En particulier, Madame La Ministre de l’Economie et des Finances, Christine Lagarde a déclaré  la chose suivante : "La France a toujours été favorable à une gouvernance économique solide et crédible. De là à prévoir un caractère totalement automatique, un pouvoir qui serait totalement dans les mains des experts, non ». A contrario, le ministre allemand des finances, Wolfgang Schäuble, ainsi que le président de la BCE Jean Claude Trichet se sont prononcés en faveur d’un durcissement en la matière, en particulier le ministre allemand ayant milité publiquement pour des sanctions "quasi-automatiques". Plus précisément, M. Schäuble a insisté en outre sur le caractère "automatique" des sanctions à mettre en place en cas de dette ou de déficit public exagéré, la levée des sanctions devant obéir à "une majorité qualifiée inversée", c'est-à-dire que les sanctions s'appliquent sauf si une majorité d'Etat y sont opposés. J’avoue que, dans un premier temps, la position de ce monsieur m’a paru nettement plus sensée que la position française, étant persuadé que la possibilité de voter de manière discretionnaire pour des sanctions en limiterait l’efficacité voire même annihilerait totalement la simple possibilité qu’elles puissent exister.

Donc, pour résumer, certains Etats membres, dont la France, défendent des niveaux de sanctions déterminés de manière discrétionnaire par un vote ponctuel des Etats, tandis que d’autres Etats, non des moindres puisque l’Allemagne en fait partie, argumentent en faveur de sanctions automatiques ou quasi-automatiques qui ne s’appuieraient pas sur un vote politique des Etats. Nous sommes un peu dans le débat politiques réglementaires vs politiques discretionnaires (« rules rather than discretion », Kydland & Prescott 1977), l’efficacité finale du dispositif de sanction étant probablement lié à sa crédibilité. Toutefois, ce n’est pas du tout de cet aspect là dont je veux discuter aujourd’hui, mais plutôt, de manière plus basique, de l’efficacité de sanctions endogènes ou de sanctions exogènes (« automatiques ») sur la rigueur budgétaire des Etats.

Ce genre de situation dans lequel des Etats négocient les dispositifs institutionnels qui vont les gouverner dans le futur se prête à des supputations de type expérimental. Particulièrement ici, où ce qui est en jeu est l’efficacité de dispositifs particuliers de sanctions consécutives à une politique budgétaire trop laxiste de la part d’un Etat membre. En l’occurrence, il serait intéressant que les représentants des Etats de l’UE qui discutent actuellement de ces points, aient la chance d’avoir un petit exposé sur les principaux résultats de la littérature expérimentale sur l’efficacité des sanctions sur la coopération des agents. Je ne vais pas le faire maintenant, car cela m’entrainerait beaucoup trop loin, mais juste donner quelques éléments d’information sur la question suivante : est-il préférable du point de vue de l’efficacité d’avoir des sanctions automatiques qui ne seraient donc pas choisies de manière endogène par les Etats Membres, ou au contraire, vaut-il mieux que l’attribution de sanctions à un Etat membre s’appuie sur une procédure politique de vote discrétionnaire de la part de l’ensemble des Etats membres, ce en fonction des cas se présentant ?
Je vais faire une hypothèse dont je comprends qu’elle paraisse discutable (et qui me pose problème aussi), mais qui est particulièrement adaptée : le fait que chaque Etat membre respecte les règles du pacte de Stabilité s’apparente à un bien public profitant à l’ensemble des Etats membres, même s’il peut s’avérer individuellement coûteux pour un Etat membre donné. En clair, chaque Etat aurait intérêt à pouvoir jouer les passagers clandestins et à ne pas respecter les règles (faire du déficit budgétaire quand il en a besoin, ce de manière importante, au-delà des 3%) mais collectivement, l’effet serait catastrophique, l’absence de discipline budgétaire généralisée conduisant à des problèmes économiques majeurs pour la zone Euro. Exactement comme le fait qu’un Etat qui s’est engagé au niveau international à ne pas négocier avec d’éventuels terroristes le fasse éventuellement en douce, incitant les terroristes à étendre leur activité, pour reprendre l’exemple canonique de Kydland et Prescott. 

Tyran et Feld ont conduit en 2006 une expérience dont les enseignements sont, le cas échéant, intéressants me semble-t-il. Leur expérience, publiée dans le Scandinavian Journal of Economics,  s’appuie sur un problème de jeu de contribution à un bien public assorti de sanctions. Le design de l’expérience est toutefois assez différent de ce que l’on fait en général sur cette question. En effet, un grand nombre d’études expérimentales sur l’efficacité des sanctions dans les dilemmes sociaux, et j’y ai moi-même contribué, s’appuient sur des sanctions endogènes déterminées au niveau individuel par les participants qui observent le niveau de contribution au bien public des autres participants. L’article canonique sur ce genre de jeu en deux étapes, une de contribution et la suivante de sanctions, est l’article de Fehr & Gaechter, 2000.
Dans leur étude, la situation est renversée. Les participants choisissent d’abord les modalités de sanctions puis contribuent ensuite. Cette situation expérimentale correspond peu ou prou à la situation actuelle de l’Union Européenne, occupée à décider actuellement des modalités de sanctions futures qui s’appliqueraient aux Etat membres manquant de discipline budgétaire. Il est donc particulièrement intéressant d’en souligner les résultats.
Les sanctions pour contributions insuffisantes peuvent être, dans certains traitements, exogènes (c'est-à-dire déterminées par l’expérimentateur) et, dans d’autres, sont choisies de manière endogène par un vote des participants appartenant à un groupe donné. Dans ce cas, le jeu se joue en deux étapes : les participants votent d’abord pour le type de sanction qu’ils s’auto-attribuent (pas de sanction, sanction modérée ou sanction sévère) puis, une fois le dispositif de sanction collective fixé, joue un jeu de contribution au bien public classique (chaque participant d’un groupe de 3 dispose de 20 jetons et doit décider d’affecter cette dotation entre un compte privé, qui lui rapporte 1 point par jeton, et un compte public, qui lui rapporte 0.5 point par jeton, mais qui rapporte également 0.5 point aux deux autres membres de l’équipe). Une fois les contributions choisies par chaque participant, les sanctions sont appliquées. Si la contribution au bien public est égale à 20 (la totalité de la dotation), il n’y a pas de sanction. Sinon, la sanction s’applique et prend deux formes selon les traitements, une sanction modérée et une sanction sévère. La sanction modérée consiste à retirer 4 points des gains du participants n’ayant pas contribué totalement au bien public, et la sanction sévère consiste à lui retirer quatorze points. Par exemple, un participant qui contribue 0 au bien public recevra, dans le cas du traitement « sanction sévère », et si on suppose que les deux autres participants appartenant à son groupe contribuent totalement, un gain de 20 +0.5(40)-14 = 26 points.
D’un point de vue théorique, l’équilibre d’un tel jeu est l’équilibre de free riding (tous les participants contribuent zéro au bien public) dans le cas où il n’y a pas de sanction et dans le cas où la sanction est modérée. Dans le cas où la sanction est sévère, l’équilibre de Nash est a contrario un équilibre dans lequel les trois participants contribuent l’intégralité de leur dotation au bien public.
Les principaux résultats sont les suivants. Le graphique ci-dessous donne les niveaux moyens de contribution en pourcents (100% correspondant à une contribution de 20 jetons, ce qui l’optimum de Pareto si tous contribuent ce niveau), ce pour chaque niveau de sanction :

source : Tyran and Feld, 2006

Comme on peut s’y attendre, le niveau de contribution s’accroit avec le niveau de sanction. Mais en fait, si les sanctions sont imposées de manière exogène (sans vote préalable par les sujets), seule la sanction sévère est efficace pour que le bien public soit produit au maximum. La sanction modérée est quant à elle relativement inefficace, le niveau de contribution au bien public n’étant pas significativement différent du niveau issu d’une situation dans laquelle il n’y a aucune sanction.
Les résultats sont tout à fait différents dans le cas de sanctions endogènes, comme le montre le graphique suivant :

source : Tyran and Feld, 2006

Le niveau de contribution s’élève cette fois significativement même dans le cas de sanctions modérées, égal à environ 65% du maximum possible, contre seulement environ 20% dans le cas d’absence de sanctions. Dans le cas de sanctions sévères, il n’a pas de différence fondamentale entre les contributions selon que ce niveau de sanction soit voté par les participants ou fixé extérieurement par l’expérimentateur.
Je ne dirai pas cela tous les jours, mais force est de constater, eu égard à ces quelques résultats, que je suis obligé de donner raison à Christine Lagarde (arrghhh…) : il vaut mieux des sanctions déterminées de manière politique par les Etats membres que des sanctions automatiques, en particulier si le niveau des sanctions est relativement modéré (on parle en effet de 0.2% du PIB). Si les sanctions sont très fortes, ce que semble être l'option privilégiée par l'Allemagne, alors la procédure de détermination des sanctions s'avère peu importante. Que l'on ait un vote discrétionnaire pour décider de mettre en oeuvre des sanctions une fois le comportement observé, ou que l'on ait une sanction automatique dès qu'un Etat membre franchit la ligne rouge, les sanctions s'avéreront efficaces pour inciter les Etats a contribuer plus au bien public.
Toutefois, je dois souligner que, comme les sanctions sont coûteuses, la littérature expérimentale souligne un effet détrimental des sanctions : les gains des joueurs peuvent être in fine plus faibles s'il se sanctionnent trop fortement, et cela peut nuire à l'efficacité économique. Par ailleurs, j'ai déjà expliqué que ce genre de mécanismes peut provoquer un effet d'éviction des motivations intrinsèques des agents, les motivations extrinsèques (la peur du bâton) se substituant aux motivations intrinsèques (la disposition naturelles des agents à coopérer).
Le mécanisme de sanctions est donc à manipuler avec précaution et il est plus que nécessaire d'en peser les avantages et les inconvénients.

PS : l'image qui illustre ce billet est extraite de Gotlib, Rubrique à Brac, tome 4 "slowburn gag", avec toute mon admiration et mon respect.

3 commentaires:

  1. Je trouve les résultats très intéressants. Cependant, je crains le fameux sophisme dont évoquait le feu Samuelson. La réaction individuelle n'obéit pas à la même logique que celle d'un Etat.

    Par ailleurs, votre hypothèse ne me pose vraiment pas problème. Pendant que j'y suis, pourquoi elle vous pose problème?

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  2. @macroPED
    Merci pour le commentaire. En fait, l'hypothèse ne me pose pas un problème personnel, mais un problème pédagogique (je réfléchis parfois à haute voix dans mes billets), car, pour qui n'est pas économiste, il peut paraitre curieux de supposer que la discipline budgétaire de chacun des membres d'un groupe d'Etats soit un bien public... Mais je n'ai pas trouvé de manière simple et convaincante de l'expliquer en deux lignes. Si vous avez une idée je suis preneur...

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  3. En deux lignes? Je suis comme vous, il faudra multiplier des lignes sinon, je dois vraiment me concentrer pour trouver une explication en deux ligne...

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