samedi 30 mai 2009

"Paycheck" ou la valeur de l'information



Diffusé il y a quelque temps à la télévision, et dans la série des "nanars" chers à nos coeurs (Ah la chronique de François Forestier dans l'Obs, que tu me manques !)  dans lesquels il y a quand même une idée intéressante, au moins d'un point de vue économique, j'ai décidé de parler de "paycheck" de John Woo.
L'histoire (en tout cas ce que j'en ai compris) est à peu près la suivante. Ben Affleck, aussi intense dans son jeu qu'un toast de foie gras le matin du 1er janvier après une soirée copieusement arrosée la veille, est un ingénieur qui travaille sur des projets tellement secrets qu'à l'issue de chaque projet, sa mémoire est effacée partiellement par son employeur, ce moyennant gros chèque à chaque fois.
Puis, à l'issue d'un dernier projet hyper supra confidentiel, sa mémoire est encore effacée, mais là, oh surprise, une enveloppe avec que dalle, juste des objets dont on ne voit aucunement l'intérêt  a priori.
En fait, non seulement l'employeur l'escroque mais décide de l'éliminer, ce qu'il a en fait compris avant que sa mémoire soit effacée!
Mais sachant qu' il va oublier que son employeur va essayer de l'entuber, il met dans cette enveloppe tous les objets qui lui permettront de survivre après que ses souvenirs récents soient détruits.
Euh, vous suivez encore là ?
L'histoire est absolument incompréhensible, la réalisation part en roue libre, l'interprétation est  affligeante, en particulier Ben Affleck dans le rôle principal dont on a l'impression qu'il est capable d'exprimer au plus deux expressions (colère et étonnement) dans son jeu. Bon à sa décharge, je pense qu'il n'a absolument rien compris à ce film, vu le vide abyssal de son regard face à la caméra, tout comme John Woo qui s'intéresse plus aux explosions et aux ralentis sur les tirs avec toutes sortes d'armes à feu dignes des feux d'artifice du 14 juillet ou du nouvel an chinois.
Le scénariste devait vraiment être dans un trip à l'acid, mais dans son délire non contrôlé, il a eu une idée géniale qui illustre parfaitement un concept un peu délicat en économie, le concept de valeur espérée de l'information parfaite (Expected Value of Perfect Information), abondamment utilisé en finance par exemple (voir le problème des options financières en l'occurence) mais aussi en théorie des jeux ou en théorie de la décision (introduit me semble-t-il par Luce et Raiffa dans les années 50, mais je ne suis pas sûr de leur paternité concernant ce concept, voir ou  ici).
En effet, comme Ben sait qu'il va savoir, les objets qu'il met dans l'enveloppe lui permettent à chaque fois qu'il est confronté à une situation délicate de faire le meilleur choix. Par exemple, des méchants veulent l'expédier façon puzzle, et hop! dans l'enveloppe il y a une clé qui lui permet d'ouvrir un tiroir qui contient :
1. un révolver
2. un lance flammes
3. un mixeur
(rayez la mention inutile svp)
Bref, l'information qu'il a eu ex post, et qu'il a oubliée, mais dont il savait qu'il allait l'oublier  lui permet ex ante de s'adapter à toutes les situations (je commence à avoir mal à la tête, je sens que mes billets vont épuiser mon stock d'aspirine).
En fait, ce film illustre parfaitement cette idée de valeur de l'information, c'est d'ailleurs sans doute à peu près son seul intérêt. Un petit exemple pour comprendre cette notion.
Supposons que vous ayez à faire le choix entre deux billets de loterie, et vous êtes face à la grande roue, avec un nombre égal de rouges et de noirs sur cette roue. Le forain vous propose deux billets, b1 qui vous donne 50€ si rouge sort et 150€ si noir sort. L'autre, b2,  vous donne 30€ si rouge sort et 170€ si noir sort. Compte tenu de cela, l'espérance mathématique de gain (on supposera pour simplifier que vous êtes neutre vis-à-vis du risque, c'est-à-dire qu'il vous est indifférent d'avoir l'un de ces deux billets de loterie ou d'avoir un billet de 100 €) de chaque billet est de 100€. Théoriquement, donc, les deux billets sont équivalents pour vous. Faisons l'hypothèse que le prix de chaque billet soit égal à 60€. Cela signifie que vous êtes prêt à acheter les deux billets dont le gain espéré est supérieur au prix.
Imaginons qu'avant que vous achetiez l'un des deux billets au forain (en tirant au sort a priori car vous êtes indifférent initialement), Marty Mc Fly vous propose de vous faire faire un tour dans le futur en DeLorean afin de faire un bond en avant de 5 mn, ce qui vous permettrait d'observer le résultat du tirage (vous saurez donc si c'est rouge ou si c'est noir qui est sorti). Mais comme il a besoin d'argent pour financer la production de Retour vers le futur 4, il vous propose de vous faire payer ce tour là 20€.
Question : acceptez vous le deal ?
[Je reviens dans deux minutes, je vais prendre un café]
....
Tiens vous êtes encore là ? Ah oui, la réponse... Eh, bien, non, vous ne devriez pas accepter de payer plus de 10 euros pour le saut dans le futur (enfin si c'est moi, je paye sans hésiter rien que pour monter dans la Delorean !). Pourquoi ?
La VEIP est en fait l'augmentation de gain espéré permis par la détention de l'information.
Le fait de savoir que je vais savoir avant d'arrêter ma décision devrait me faire raisonner de la manière suivante : si c'est rouge (probabilité de 50%), je choisirai alors le meilleur billet, qui me donne 50 dans cet état de la Nature et si c'est noir je choisirai le billet qui me donne 170. Comme je ne sais pas ex ante, mais que l'incertitude sera levée avant ma décision, je pondère chaque probabilité par le maximum que je peux obtenir dans chaque état de la Nature avec les décisions qui sont possibles.
cette VEIP est égale à 0.5*Max(50 ; 30) +0.5* max (150 ; 170)  - Max (0.5*50+0.5*150 ; 0.5*30+0.5*170) = 110-100=10.
Donc, le supplément d'espérance issu de l'information parfaite est de 10 euros, ce qui signifie que vous devriez être prêt à payer au plus cette somme pour avoir cette information.

Bref, même un film raté peut avoir un intérêt pédagogique...

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