samedi 6 juin 2009

Bill Gates et l'altruisme impur


Le 3 juin dernier, Bill Gates,  dit “the funny guy”, a tenu à l’occasion d’un séminaire  ces propos rapportés par l’AFP (voir http://www.generation-nt.com/bill-gates-microsoft-milliardaire-don-fondation-actualite-751131.html )
" Je pense que tous les milliardaires devraient donner une vaste partie de leur fortune. Je ne dis pas qu'ils ne devraient rien laisser à leurs enfants ou ne pas en garder un petit peu pour eux-mêmes mais oui, je pense qu'ils y trouveraient du plaisir, je pense que leurs enfants ne s'en porteraient que mieux et je pense que le monde ne s'en porterait que mieux "
Enjoignant ainsi ses collègues milliardaires à faire de même….
Ce qui m’a frappé immédiatement, c’est le fait que Bill Gates dise trouver du plaisir à donner…  (je ne trouve pas cela bizarre, je trouve cela surprenant que le premier argument qu’il ait employé pour justifier son investissement charitable soit le plaisir qu’il en retire personnellement). Je vais donc m’empresser de montrer que le comportement de Bill Gates est un magnifique exemple d’altruisme impur.
La donation charitable peut s’assimiler assez aisément à un jeu de contribution volontaire au bien public. Un individu doit décider d’affecter une partie de sa richesse privée à un bien public dont le rendement marginal unitaire est inférieur au rendement marginal du bien privé, mais le rendement marginal social du bien public est supérieur au rendement marginal social du bien privé (ce que je garde pour moi pour acheter des écrans plats ou des bananes). J’ai déjà présenté ce jeu dans ce billet, donc je ne le refais pas. Nous sommes en présence d’un magnifique dilemme social, la stratégie dominante étant de ne rien contribuer (c’est le fameux free riding), alors que l’optimum de Pareto serait que tous contribuent au maximum au bien public.
Les résultats expérimentaux de ce jeu, abondamment testé expérimentalement (beaucoup trop même je trouve, mais il est vrai que ce jeu permet de dire beaucoup de choses sur les fondements de la coopération dans des jeux non coopératifs), sont qu’en général les contributions au bien public ne sont pas nulles mais déclinent dans le temps, bien qu’elles atteignent rarement un niveau nul (l’équilibre de Nash du jeu). Toute la question est de savoir pourquoi la coopération peut être soutenue par les individus…
En fait, les propos de Bill Gates sont particulièrement intéressants car ils donnent une actualité spectaculaire au phénomène d’altruisme impur et à ce qui peut l’expliquer dans le maintien de la coopération.
L’idée en est particulièrement simple : les gens donnent non pas tant aux autres que pour eux-mêmes, et en fait l’altruisme pur est un motif de donation charitable peu robuste pour expliquer empiriquement les dons.
Ce phénomène dit de warm-glow  a été théorisé et observé empiriquement par Jim Andreoni à partir des années 90. Cet effet de warm glow dit simplement que les individus retirent une utilité du simple fait de donner, ce qui signifie qu’il y a un fondement égoïste de la charité. Par ailleurs, ils retirent une utilité de l’existence du bien public  produit à l’aide de cette donation (en fait la charité est une forme de bien public pour lequel les contributions sont purement privées).
Formellement, comme l’explique Andreoni en 1990, la fonction d’utilité est donc pourvue de trois arguments dans un jeu de contribution standard au bien public :
Ui=U(xi,gi,G)
Où xi est le revenu que je garde de manière privative, gi la contribution au bien public et G le niveau du bien public produit à l’aide de la somme des gi pour tous les i ayant contribué (moi et les autres).
Aussi, si mon utilité est de ce type, je suis un altruiste impur, car je valorise le bien public deux fois : d’une part par l’effet de warm glow qui joue positivement sur mon utilité (égoïsme) et d’autre part par le fait que je suis content que le bien public existe (altruisme).
En 1995, Andreoni montre que cet effet de warm glow explique bien le phénomène de contribution positive au bien public, en comparant le jeu de bien public habituel (qui se base sur un contexte positif, puisque quand j’investis dans un bien public, je sais qu’il génère une externalité positive) à un jeu identique mais basé sur un contexte négatif (j’investis dans un bien privé dont je sais qu’il procure une externalité négative car « détruit » du bien public). D’un point de vue théorique, les contributions au bien public devraient être les mêmes dans les deux contextes. Or, il observe que ce n’est pas le cas, la contribution au bien public étant bien supérieure dans le contexte positif à la contribution au bien public dans le contexte négatif. Il y a quelques mois, Douadia Bougherara, David Masclet et moi-même (voir le document paru dans la Revue Economique à télécharger ici) avons étendu son étude expérimentale, et observé essentiellement les mêmes résultats (plus d’autres nouveaux heureusement !).
 « L’égoïsme » lié au plaisir de donner (warm glow effect) est donc un support réel de la coopération, comme l’explique magnifiquement ce cher Bill !
Plus récemment, une étude de Videras et Owen en 2006 montre que, sur une quarantaine de pays étudiés et ce pour 35000 individus, le niveau de bien être individuel est positivement corrélé avec le niveau de donation charitable. Beaucoup plus intéressant, ils montrent qu’en fait l’utilité retirée du fait de donner en soi (cf Bill : « ils en retireraient du plaisir) est bien plus importante que l’utilité retirée des dons comme bien public (cf Bill : « le monde s’en porterait mieux »). Ce n’est donc pas un hasard si Bill cite d’abord la première motivation, puis les suivantes, cela correspond vraisemblablement à une hiérarchie en termes de bien être. Par ailleurs, cette étude montre que les individus ayant un faible niveau de responsabilité collective augmentent le bien être en donnant car ils se conforment ainsi aux normes sociales. C’est exactement le contraire pour les individus à haut niveau de responsabilité collective, comme Bill ! Ouf, je suis rassuré, Bill Gates est et restera toujours un anticonformiste…
Du reste, il y a même des preuves fournies par des recherches dans le domaine de la neuroéconomie (voir ici)...
La conclusion de tout cela ? « Donnez et vous serez bien dans votre peau ! »

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